vendredi 26 octobre 2018

Nouveaux enjeux, même lutte politique …


Après une campagne électorale exaspérante à tous les niveaux[1], c’est dans un état d’agacement assez avancé que j’ai pu enfin contempler ses résultats. C’est donc avec une nette majorité de députés que cette fameuse « Coalition avenir Québec » (CAQ) s’est fait élire par un peu moins de 25 % la population québécoise. Même s’il faut bien sûr relativiser la masse de ce vote en faveur de la CAQ, il est incontestable qu’une bonne partie de la population a choisi de donner congé aux libéraux via une vague du genre de celle de 2011, avec le NPD de Jack Layton. Cette vague mit donc en grave déroute le Parti libéral (PLQ), mais frappa encore plus son ancien rival, c’est-à-dire le Parti Québécois (PQ), qui a fait un score record en termes d’effondrement. De son côté, Québec solidaire récolte l’ensemble de toutes les circonscriptions que le parti estimait « prenables ». Ce qui n’est pas anecdotique, étant donné que le parti de gauche prend enfin des places hors de l’île de Montréal pour s’installer à Québec, Sherbrooke et Rouyn-Noranda.

La nouvelle députation est donc de 74 pour la CAQ, 31 pour le PLQ et de 20 pour le PQ et QS (10 pour chacun). Évidemment, l’analyse des résultats sera en fonction d’où l’on trouve notre sympathie dans le quatuor, mais il est incontestable que les lignes ont bougé et que les perspectives politiques entrent désormais dans une nouvelle ère. Cette nouvelle ère devra nécessairement ouvrir de nouveaux enjeux et changer les thèmes habituels qui, il faut bien l’admettre, sont vraiment usés au dernier degré…

Enfin, ce n’est peut-être pas le meilleur moment pour chercher de « nouveaux débats », puisqu’une semaine à peine s’est-elle passé que le cirque des « accommodements raisonnables » et de l’identité est revenu hanter le débat public, comme aux époques peu bénies de la commission Bouchard-Taylor et de la charte des valeurs! Il fallait de toute façon s’y attendre, car il est clair aujourd’hui que la question identitaire a énormément joué dans le plébiscite, malgré les incohérences du projet caquiste. Mais enfin, tout cela est un autre sujet.

Ce que j’entends par « nouveaux enjeux » a plutôt à voir avec la conjoncture « gauche/droite » contre « indépendantisme/fédéralisme », puisque la seconde division politique, lors de cette campagne électorale, s’est complètement fait enterrer sous la première. Et notons que bien peu de commentateurs, en dehors de quelques irréductibles indépendantistes, s’en soient vraiment désolé. La montée de la CAQ, de QS et de ce qui les oppose en est la démonstration la plus évidente, même si le mode de scrutin et les positionnements des partis traditionnels obscurcissent encore cette tendance. Les indépendantistes « purs et dures » auront beau s’en désespérer, mais il semble en aller ainsi depuis bien des années et je me permets de rappeler que les partis qui se disent indépendantistes en sont eux-mêmes largement responsables.

Depuis la fusion d’Option nationale avec QS et le suicide du Bloc Québécois[2], il n’existe plus de parti politique strictement indépendantiste, alors il n’est pas anormal de voir cette cause perdre de l’importance dans le débat public. D’autant plus que le « vaisseau amiral » du mouvement n’a strictement rien fait sur le sujet en plus de 20 ans! Évidemment, QS propose l’indépendance, via la mise en place d’une constituante, cela est un fait, mais le parti n’est pas totalement indépendantiste dans sa composition, étant donné qu’une part minoritaire, mais non négligeable de ses membres et de son électorat est indifférente, voire hostile, à la question. Néanmoins, j’admets sans peine que QS a fait quelques bons points dans cette direction et qu’il offre un renouveau à la question qui doit être salué.

Du côté du PQ, je ne crois plus vraiment nécessaire de rappeler ce que je répète depuis des années maintenant, à savoir que ce parti est gangrené par l’opportunisme et le carriérisme le plus incurable. Ce qui fait qu’il est incapable de servir la cause de l’indépendantiste sérieusement. En réalité, le PQ se sert beaucoup plus des indépendantistes qu’il sert l’indépendance.  

De plus, l’instrumentalisation partisane qu'en a fait le PQ depuis 1995 et le fait de tergiverser entre la droite et la gauche sur les autres questions devaient forcement porter ses fruits. Disons que maintenant le fruit est tombé, puisque le parti a réussi l’exploit de perdre à la fois son électorat identitaire et progressiste. De toute évidence, il ne pouvait en être autrement, car le ciment qui unissait le parti (la cause indépendantiste) a été volontairement et officiellement mis de côté par son ancien chef. François Lisée a donc misé sur le dépassement de la raison d’être du parti pour essayer de remodeler le PQ selon la thèse de « l’autre gauche » avec les résultats que l’on connaît aujourd’hui. J’ajouterais qu’ils ont précédemment politisé la question identitaire, avec l’épisode de la charte des valeurs ainsi qu’avec les thèmes de l’élection de Lisée comme chef du PQ, pour ensuite l’abandonner à la CAQ et finalement se positionner au centre gauche. Enfin, il y a des raisons que la raison ignore !

De toute façon, les tactiques électorales du PQ manquent cruellement de sérieux depuis bien des années et je crois avoir fait le tour de la question. Pour le moment, ce qui importe c’est l’évolution de la question nationale, puisqu’elle est la clé de voûte de la question sociale et environnementale. Mais dans l’état actuel des lieux, que pouvons-nous espérer du futur ? De toute évidence, il serait absurde de compter sur un changement de cap en provenance de la CAQ.

De plus, la députation du PQ et de QS est anecdotique en plus d’être dans l’incapacité de s’entendre. Il est vrai que la CAQ a promis de réformer le mode de scrutin... Mais, comme on dit « les promesses n’engageant que ceux qui les croient ». J’imagine que notre nouveau premier ministre ne me reprochera pas d’être septique sur cet engagement mainte fois trahi par ses anciens collègues. Je comprends bien que la mise en place de la proportionnelle est le genre de mesure qui est malaisante à faire lorsque le vieux mode de scrutin vous fait gagner les élections ! Cependant, laissons la chance au coureur et, qui sait, serons-nous témoin d’une réelle avancée progressiste opérée par la CAQ?!

Pour le moment, la perspective semble toujours bloquée et il n’y a pas trop de raisons de se faire optimiste. Après tout, la droite est au pouvoir, même si elle l’est depuis toujours d’un point de vue socialiste. Toutefois, il y a certaines avenues qui peuvent être envisagées. La première est l’échec plus que prévisible de la CAQ dans l’ordre canadien. À moins que le Parti conservateur soit en mesure de faire réintégrer les dissidents, qui ont suivi Maxime Bernier au Parti populaire du Canada, il est peu probable que le Parti libéral de Justin Trudeau (le PLC) soit radicalement battu aux élections fédérales de 2019, comme le fût le PLQ. Dans ce cas, François Legault et sa CAQ risquent fort de redonner indirectement un second souffle à l’option indépendantiste, s’il devait se tenir minimalement debout, puisqu’ils tomberont inévitablement en guerre avec le fédéral. Et si, cas plus probable, Legault se couche pour faire plaisir à son aile fédéraliste, il sera déconsidéré très rapidement par son électorat, ce qui offrira des conditions plus que favorables à une montée de Québec solidaire.

En second lieu, la question des relations entre QS et le PQ. Loin de croire en un rapprochement, je crois plutôt que les lignes de partis actuelles devraient diverger fortement. Les plateformes seront nécessairement amenées à changer, puisqu’elles se partagent en bonne partie le même électorat et ceci avec les résultats qu’on connaît.

À mon avis, le balancier idéologique du PQ devrait continuer, mais plutôt vers la droite. Je serais bien surpris de les voir en revenir à l’indépendance après une génération tergiversation. Mais pour le moment, rien n’est définitif et il est possible d’avoir quelques surprises en provenance d’un futur chef, mais la culture interne du parti et la jurisprudence qu'a créée la crise du Bloc québécois ne semblent pas du tout favorables à cette option.

Ensuite, en ce qui concerne QS, je crois assez crédible qu’ils se maintiennent dans la voie du populisme de gauche. Cependant, ils ont encore beaucoup à faire pour s’y épanouir pleinement, car le parti reste encore très idéologique sur des questions qui sont loin de faire consensus et ainsi véritablement percer dans le reste du Québec. Et je ne parle pas de la question nationale.

Par exemple, la question identitaire qui défraie présentement la chronique. Même si elle est organisée par les médias de la pire façon qui soit, les forces de gauche ne devraient pas interpréter les relations entre la majorité et les minorités sous le filtre « dominant/dominé ». Mais bien comme des populations qui ont des sensibilités différentes, mais qui souffrent des mêmes problèmes.

La lutte contre le racisme ne devrait pas être un obstacle à l’empathie qu’on doit à ceux qui craignent l’évolution identitaire du Québec, puisque cette crainte n’est bien souvent que le reflet de la peur du déclassement social. L’extrême droite en occident se fait aujourd’hui le champion des classes moyennes en phase de paupérisation et les manipule en luttes religieuses, voire raciales. C’est ce terreau mal irrigué qui a propulsé Trump et la CAQ au pouvoir et qui fait monter les partis hostiles aux immigrants un peu partout. Pourtant, un tant soit peu de travail envers cette population pourrait transformer cette peur et cette haine en conscience de classe. Ce qui serait plus que la bienvenue par les temps qui courent.

Pour finir, je crois que les prochaines années seront bien difficiles pour le mouvement indépendantiste. Toutefois, l’indépendance n’est pas le genre de cause qui se dépasse si aisément, puisqu’elle est issue des vices profonds de l’État canadien. C’est pourquoi il ne m’est pas douteux qu’elle revienne en force lors du prochain duel avec le fédéral. Si aujourd’hui l’indépendance politique semble céder le pas au nationalisme culturel pour les gens de droite, la gauche la reprendra d’autant plus volontiers que la division gauche/droite du débat s’opérera. Je sais bien que la cause de l’indépendance doit passer par un soutien qui va au-delà de la gauche, mais le problème actuel est plus de remettre à jour les contours du projet que de le réaliser. Alors il ne me semble pas sans intérêt que celle-ci campe temporairement à gauche afin qu’elle soit redéfinie dans des termes plus politique et moins identitaire. De toute façon, j’ai déjà démontré que la cause indépendantiste était une idée fondamentalement de gauche, même si une portion de la droite pouvait s’y rallier pour des conceptions qui lui sont propres.   

Enfin, souhaitons que cette nouvelle donne politique soit un nouveau point de départ!

Benedikt Arden (octobre 2018)                 




[2] J’ajouterais que le Bloc s’est depuis officieusement rallié au fédéralisme, lors du retour des renégats, puisque c’était leur condition de retour.