lundi 2 décembre 2019

« La révolution ne sera pas un dîner de gala » (quelques leçons en provenance de Bolivie)


De bien graves événements se produisent en Amérique latine depuis quelque temps. Une contre-révolution féroce est à l’œuvre et celle-ci ne fait pas de quartier. Cependant, celle-ci est heureusement contre balancée par une résistance intense de la part des forces sociales de tous ces pays. De l’Équateur, au Chili, en passant par Haïti, bien des peuples ont su démonter qu’ils ont soif de justice, malgré qu’ils soient bien conscients que les gouvernements du Nord ne leur feront pas de cadeaux. Malheureusement, seuls les « opposants » de droite et d’extrême droite ont ce privilège ! 

Le plus souvent, l’information qui nous parvient est savamment filtrée et interprétée de manière tordue afin d’atténuer une réalité qui pourtant crève les yeux, c’est-à-dire une guerre de classes ! Tout est généralement fait pour associer les gouvernements progressistes à des « dictatures », alors que ceux-ci sont simplement la cible de déstabilisation et d’actions violentes qui les contraignent à utiliser la force. Même si ceux-ci savent parfaitement qu’elle est contre-productive, puisque l’opposition l’utilisera contre lui.

J’imagine sans peine que les personnes qui me lisent ne seront pas dupes de cette propagande, mais rappelons tout de même cette évidence : le centre de préoccupation de ces opposants n’est pas la démocratie, mais bien le retour de leur domination! Les slogans bon chic bon genre utilisés par l’opposition servent surtout à berner le public international et faciliter la communication des États qui ne supportent pas que les richesses de leur pays soient socialisées. Le scénario « du peuple qui lutte contre un dictateur » (forcément de gauche) est devenu tellement cliché depuis la fin de la Guerre froide que ça en devient vraiment ridicule. Surtout quand on sait que ce fameux « peuple » est guidé par l’ancienne oligarchie et l’extrême droite du pays.

Malgré tout, ce scénario semble encore fonctionner. Du moins tant que nos médias mutilent le contexte et brouillent les cartes, en relayant systématiquement la communication de l’opposition de droite et ne donnant JAMAIS le micro aux masses qui soutiennent l’action gouvernementale. De toute façon, les pauvres se trouvent généralement loin des beaux quartiers, secteurs où se situent les bureaux des chaines télévisées et l’action des « rebelles » !   

Ce qui s’est passé en Bolivie le mois dernier ne fait évidemment pas exception. Si ce n’est que cette fois la propagande s’est fait quelque peu berner par la facilité déconcertante avec laquelle elle a pu renverser le gouvernement d’Evo Morales. Le plan prévu était pourtant la copie conforme de celui qui a échoué au Venezuela en début d’année, mais le personnel du MAS (mouvement vers le socialisme) ne s’est pratiquement pas défendu. Celui-ci a joué à fond la carte de la légitimité démocratique et a voulu éviter à tout prix toute effusion de sang. Ce qui n’a pas empêché l’opposition de maintenir son scénario fantaisiste de « dictature communiste ».

Pourtant, les menaces de coup d’État étaient évidentes. La presse internationale s’en était même fait l’écho. La nationalisation des matières premières très demandée, comme le lithium, n’est sans doute pas étrangère à tout ça. Il aurait été parfaitement légitime de riposter à ce coup d’État, puisque c’en était bien un, mais le président est resté figé par l’évolution rapide du conflit et par l’étendue de la traitrise des hauts fonctionnaires sur lesquels il s’appuyait. De plus, le peuple autochtone, dont est issu Evo Morales, est massivement situé dans les campagnes et sa police n’était pas du tout fiable. La sympathie entre ces derniers et les manifestants était évidente. Ajoutons à cela une armée encore moins fiable (celle qui, rappelons-le, assassina le Che quelques décennies plus tôt !), une Église catholique de type franquiste et un groupe de Lima cherchant à se venger de leur échec vénézuélien et nous avons une situation particulièrement ardue.

Le plan de départ était clair et bien peu original, comme vous savez. Il ne s’agissait que d’attendre le jour des élections et de les contester avant même que les résultats soient officiellement connus. L’Organisation des États américains ou OEA (qui appartient à 60% aux États-Unis) n’a eu qu’à allumer la mèche en publiant un frauduleux rapport dénonçant des « anomalies électorales » avant même que l’institution électorale officielle n’ait confirmé les résultats ! 

Selon la constitution bolivienne, le candidat de tête doit recevoir plus de 50% des suffrages ou être au-dessus de 10% de son plus proche rival, s’il obtient moins de 50%. Autrement, un second tour doit être organisé. Comme l’estimation de fin de journée était sous ce barème (45,3 % contre 38,2 %) et que les chiffres finaux n’ont été connus que le lendemain matin, le prétexte était déjà tout trouvé. Les manifestations ont été presque instantanées et ont précédé l’arrivée des chiffres définitifs. C’est-à-dire 47,1% pour Evo Morales contre 36,5% pour Carlos Mesa (nos propres gouvernants rêveraient d’une victoire aussi éclatante !). Mais qu’importe ces chiffres, puisqu’ils seront remis en cause par la presse internationale, via la propagande de l’opposition. Evo Morales pourra bien faire volte-face et accepter de nouvelles élections, mais rien n’arrêtera les événements en cour, car, ne l’oublions pas, l’objectif de la bourgeoisie bolivienne n’est pas la démocratie, mais la prise du pouvoir!  

Dès lors que l’armée cessa son soutien au gouvernement, le président et les hauts membres de son parti ont tous été contraints de démissionner. Parfois même par la force! Par exemple, la mairesse de Vinto a fait les frais d’un enlèvement et d’une humiliation publique, en plus d’avoir été forcée à la démission ! Toutes les personnalités du MAS ayant le mandat de remplacer le président en cas de démission ont donc été priées de quitter le pouvoir, afin de laisser la place à la seule personne de l’opposition assez haute dans les institutions pour maintenir un semblant de constitutionnalité. Cette personne ne fut nul autre que Jeanine Áñez, deuxième vice-présidente du Sénat et bigote raciste notoire.

À la suite de ces démissions forcées et la prise en charge de l’État par la bourgeoisie évangéliste, une violence intense se déchaîna à l’encontre les membres importants du MAS dans les secteurs-clés de l’État. Un mandat d’arrêt fut même délivré contre l’ancien président, ce qui l’obligea à demander l’asile au Mexique. La maison d’Evo Morales a bien sûr été pillée, mais c’est surtout l’agression massive des partisans du MAS et des communautés autochtones qui porta le coup de grâce à toute forme de légitimité démocratique. Même les médias internationaux ont été obligés de reconnaître la violence du nouveau gouvernement. Des élections seront probablement organisées dans un futur proche, mais soyons sûrs que tout sera fait pour que le MAS reste décapité suffisamment longtemps pour qu’il ne puisse être en état de participer. Les élections sont acceptables pour cette caste de nantis, mais seulement s’ils sont certains de les gagner !

Comme vous le voyez, l’avenir de la Bolivie n’est pas très enviable et bien que le gouvernement soit soutenu par la majorité de la population, la seule démocratie n’a pas suffi. Le mouvement de Morales manquait visiblement de force et ses partisans étaient beaucoup trop éloignés des centres du pouvoir, pour organiser des contre-offensives efficaces, à l’image de celles organisées par les partisans bolivariens du Venezuela. Malgré tout, je me garderai bien de donner des leçons au Mouvement vers le socialisme, car les mouvements de gauche de nos pays sont loin d’être mieux outillés. Disons même que nous avons encore énormément à apprendre de nos camarades du Sud.

Comme je l’ai évoqué plus haut, il ne s’agit pas seulement d’élections, quand l’ordre social est en jeux, mais d'une véritable guerre! Le mot n’est pas trop fort, car la légalité et la légitimité des moyens n’ont jamais pu garantir une révolution politique et sociale, soit-elle parfaitement légale et pacifique. La bourgeoisie locale et leurs alliés à l’étranger savent parfaitement s’asseoir sur celles-ci lorsque nécessaire. La plupart du temps, la diabolisation des leaders et les magouilles électorales et juridiques suffisent à les maintenir loin du pouvoir. Mais dès lors que les mouvements progressistes réussissent à gagner les élections et qu’il n’est pas possible de corrompre le mouvement de l’intérieur, le coup d’État devient une option parfaitement envisageable, même encore aujourd’hui. Parfois il arrive dès le premier mandat, comme celui de 2002 au Venezuela, parfois au 4e, comme en Bolivie, mais il sera inévitablement tenté.

C’est triste à dire, mais pour qu’une révolution puisse aller jusqu’au bout, il est nécessaire d’assumer une bonne dose de violence, puisque la guerre avec la classe dominante est inévitable. Cette dernière n’acceptera jamais la perte de ses privilèges et utilisera toutes les armes à sa disposition pour le reprendre et disposera d’une solidarité sans faille des États et des bourgeoisies voisines.

Pour y faire face, il faut se battre à armes égales ou du moins, ne pas se priver des nécessités qu’impose le changement social. La première d’entre elles est la solidarité avec ces États en guerre, au même titre que les mouvements de masse qui luttent contre le néolibéralisme, même s’ils ne sont pas parfaits. Il faut savoir défendre les expériences progressistes dans le monde et contrebalancer la diabolisation et la désinformation médiatique. Personne à gauche n’aime la violence et les mesures autoritaires, mais il faut savoir résister à l’intimidation de la bien-pensance qui croit que l’élection d’un gouvernement socialiste (voire seulement social-démocrate) puisse être tolérée par les puissants de ce monde.

Ce qui se passe au Venezuela et en Bolivie n’est pas le fruit d’une dictature qui s’installe (les deux gouvernements sont parfaitement légitimes), mais de manœuvres de déstabilisation parfaitement antidémocratiques, fomenter de l’intérieur et soutenu par des États hostiles. Les partis politiques réellement progressistes de nos pays, s’ils devaient arriver au pouvoir, seraient soumis aux mêmes difficultés. Gageons qu’un parti comme Québec solidaire, s’il devait maintenir leur programme comme il l’est présentement, subirait les foudres d’une réaction particulièrement déchaînées et de réactions très sévères de la part de l'État fédéral, comme de notre voisin du Sud. Et pour reprendre la célèbre citation de Mao Zedong :

« La révolution n'est pas un dîner de gala ; elle ne se fait pas comme une œuvre littéraire, un dessin ou une broderie ; elle ne peut s'accomplir avec autant d'élégance, de tranquillité et de délicatesse, ou avec autant de douceur, d'amabilité, de courtoisie, de retenue et de générosité d'âme. La révolution, c'est un soulèvement, un acte de violence par lesquels une classe en renverse une autre. »    

La politique est sale par définition et les moyens pour arriver aux changements structurels le sont encore plus. C’est pour cette raison qu’il faut éviter de se faire des illusions sur les institutions politiques, car elles ont été mises spécialement en place pour que rien ne change !

Benedikt Arden (décembre 2019)

mercredi 6 novembre 2019

Perspectives fédérales pour une fin de décennie


Les perspectives n’étaient pas réjouissantes au départ et je n’attendais pas grand-chose du scrutin du 21 octobre dernier, mais avec l’arrivée des résultats, j’ai vite réalisé que cette nouvelle conjoncture politique pourrait finalement apporter un peu plus qu’un autre constat sur la division du Canada, mais également quelques opportunités politiques. Même dans un État aussi mal fichu et politiquement bloqué que peut l’être le Canada, il arrive parfois que certaines circonstances favorables se dégagent. Sans exagérer non plus ces circonstances, il est néanmoins important d’en prendre pleinement conscience avant que l’un des deux partis cartels ne soit en mesure de former un autre gouvernement majoritaire. C’est-à-dire, probablement bientôt !

Avant d’aller plus loin, quels sont ces fameux résultats ? D’abord, un recul assez prévisible du parti libéral (PLC), qui passe de 184 à 157 député(e)s. En suffrage net, cela représente une baisse de plus de 900 000 voix (8,5%). Montée (également prévisible) du parti conservateur (PCC), qui gagne plus de 600 000 voix pour un total de 121 député(e)s. Enfin, net recul du Nouveau parti démocratique (NPD), qui passe de 44 à 24 député(e)s. Enfin, notable hausse du Bloc québécois et du parti vert qui triplent tous deux leur ancien score et remportent 32 et 3 député(e)s chacun, contre 10 et 1 en 2015.

Ceci étant dit, hormis l’énorme décalage que nous enregistrons entre le soutien populaire et la représentation parlementaire, que représentent ces résultats et quelles seront les relations potentielles entre ces partis ? 

Le fait majeur est d’abord qu’il n’y a pas de majorité parlementaire, donc pas de semi-dictatures de parti pour 4 ans. Certains parleront probablement d’instabilité politique, mais moi je préfère parler de cohabitation, car il ne me semble pas si aberrant que des parlementaires aient à parlementer un peu leurs politiques dans un « parlement ». Ensuite, même si le NPD s’est fait radicalement détruire ses espoirs de remplacer le PLC, (comme le labour a pu le faire, en Angleterre, au début du siècle dernier) il n’en demeure pas moins qu’ils ont maintenant la balance du pouvoir.

Comme les deux partis se partagent une bonne partie du même électorat et que le PLC de Justin Trudeau se la joue « progressiste », il serait logique que le NPD profite de cette conjoncture pour forcer le PLC à respecter un tant soit peu ses prétentions de centre gauche. Une bonne communication sur ce rapport de force pourrait aider à redonner un peu de popularité à un parti qui tombe vraiment de loin. Après tout, ils avaient 103 député(e)s il y a un peu plus de 5 ans ! Sans compter qu’une des raisons qui explique le déclin du PLC est justement les promesses trahies en ce qui a trait à ses réformes politiques et environnementales. Enfin, la situation du NPD est particulièrement cruciale, car (dans ces conditions) soit le parti rebondit, soit il se fait avaler par le PLC.

Pour ce qui est du parti conservateur, disons que la campagne n’a pas été aussi facile que prévu et que ses gains se concentrent dans l’Ouest. Le PCC est pratiquement devenu le parti unique de l’Ouest (hors Pacifique et du centre d'Edmonton). Cependant, leur style de communication passéiste et leurs candidat(e)s, tous plus ou moins semblables à des caricatures de petits entrepreneurs, étaient condamnés à ne pas faire de raz-de-marée hors de leur pays naturel. La baisse des impôts, comme carotte à donner aux classes moyennes, n’est plus aussi séduisante que par le passé, étant donné que cette même classe moyenne n’en voit que rarement la couleur. D’autant plus que leur projet de société basé sur l’exploitation pétrolière ne séduit plus grand monde en dehors de ceux qui en tirent directement profit. En conséquence, malgré les gains obtenus par les conservateurs, ces élections restent tout de même un échec, puisque le parti est maintenu dans l’opposition et ne compte pas vraiment d’allier potentiel.

Pour ce qui est du Bloc québécois, disons que (comme pour le PCC) c’est une victoire qui cache en réalité une défaite. Je m’explique.

Si le bloc a rebondi, c’est essentiellement pour trois grandes raisons, dont la première est le mode de scrutin maintenu par le PLC, qui a grossièrement avantagé le parti. Pour s’en convaincre, il ne suffit que de comparer son score avec celui du NPD. Le bloc a fait élire 32 député(e)s avec 1 376 135 voix, alors que le NPD en a 24 avec plus du double (2 849 214) ! Dans un scrutin proportionnel intégral, le bloc en aurait eu 26 et le NPD 54. Gageons donc que le parti ne risque pas de trop faire de bruit sur la remise en cause du mode de scrutin, même si la cohabitation pourrait être favorable à cette cause.

La seconde raison est la mauvaise campagne des autres partis. Ils ont tous perdu des plumes au Québec et ce n’est pas sans raison, car aucun des gros partis n’a laissé ses marques, si ce n’est le PCC dans la région du même nom. Le bloc a rebondi en bonne partie parce qu’il y avait vide à combler. Vide évidemment provoqué par la nullité du NPD et du PLC comme représentant du Québec. Même si la nullité du PLC était connue depuis belle lurette !

Enfin, la raison principale est liée, quant à moi, à la révolution de palais qui a eu lieu en 2018. Révolution que j’ai déjà traitée dans deux articles, mais qui se résume en une prise de pouvoir de l’aile autonomiste sur sa majorité indépendantiste et sur la stratégie d’arrimage à la popularité de la CAQ. Évidemment, l’électorat de la CAQ n’a pas massivement voté bloc, mais on note un bon 40% qui l’a fait. Ajoutons à ce pourcentage une petite partie de l’électorat de Québec solidaire et le gros de l’électorat du parti québécois et nous arrivons assez bien au résultat obtenu.

Cependant, cette victoire cache aussi une défaite, comme je le mentionnais. Les cris de victoire des militants bloquistes ont certes évoqué le retour de l’espoir après la série de défaites qu’ils se sont tapée.  Mais le mal qui dégrade le mouvement souverainiste est pire que jamais, puisque leur communication s’est justement faite sur un nationalisme très provincialiste. La théorie dite des « intérêts du Québec », cher à Duceppe et aux 7 renégats du printemps 2018, n’est certes pas favorable au centralisme canadien et demeure francocentrée, mais n’en reste pas moins fédéraliste pour autant, puisqu’elle le fait fonctionner ! C’est d’ailleurs bien ce que rappelle le très fédéraliste Michel C. Auger dans un article où il lève son chapeau à cette stratégie qu’il qualifie de « constructive » !

« Ce Bloc-là ne se souciait pas seulement de compter des points partisans à la période des questions, il était là pour exercer son pouvoir de surveillance du gouvernement. […] C’était un parti formé de souverainistes qui utilisaient cette grille d’analyse dans leur travail de députés au Parlement fédéral. »

Autrement dit, le bloc, via son travail au parlement fédéral, démontre qu’un Québec peut aisément faire partie de la fédération, comme société distincte, s’il est bien représenté au parlement. C’est d’autant plus le cas si le bloc est en mesure d’aller chercher des avantages pour Québec au fédéral. Et comme vous l’avez bien remarqué, la situation de cohabitation actuelle est particulièrement favorable aux revendications du Bloc québécois, puisqu’il est en mesure de bloquer des lois libérales, voire même de faire passer des lois conservatrices[1] !

Disons les choses clairement, l’alignement du bloc sur la CAQ, de bons résultats parlementaires et une division renforcée sur l’axe gauche/droite (sur le plan provincial) aura tôt fait de creuser la tombe du PQ en 2022. Surtout si les questions identitaires, la lutte contre l’Islam et surtout cette guerre idiote à l’encontre de Québec solidaire restent le cœur des préoccupations péquistes[2]. À moins, bien sûr, que le PQ abandonne la souveraineté comme sa revendication principale et devienne simplement un parti identitaire, comme le souhaite tant les Mathieu Bock-Côté du PQ …

Comme je l'ai rapidement abordé, la conjoncture actuelle, même si elle n’est pas rose pour personne et surtout pas pour le mouvement souverainiste et le mouvement social, est tout de même favorable à ceux qui luttent pour ces causes en dehors du parlement. Je dois préciser ce point, car la députation de tous ces partis est tout sauf fiable!

D’un côté, il n’y a plus d’hégémonie du PLC, donc possibilité de pousser ce gouvernement à faire beaucoup plus qu’il ne le souhaiterait sur la cause environnementale. Le PLC est loin d’être sincèrement écologiste et il est même à douter que le NPD le soit vraiment lui aussi (nous avons le bilan de sa version albertaine), mais un front écologiste massif pourrait faire la différence.

Pour ce qui est de la question sociale, même si celle-ci est institutionnellement bloquée par les champs de compétences[3] du système canadien, la crise économique qui vient pourrait vraiment être dramatique pour les pauvres de l’ensemble canadien. L’effondrement imminent des bulles spéculatives qui se sont créées depuis 2008 pourrait créer une situation de crise très grave. Crise qui risque de pousser l’État fédéral à transférer massivement les dettes privées des multinationales et des banques à charte à l’État. Un tel renflouement de capitaux sauverait peut-être le capitalisme canadien, mais servira aussi d’arme idéologique aux dirigeants provinciaux afin d’imposer des privatisations massives et la précarité que les traités de libre-échange demandent.

C’est pour cette raison que les peuples du Canada devront s’opposer à ces mesures en faisant pression sur tous les partis qui ont des prétentions sociales. Ne doutons pas que tous les parlementaires seront unis dans la votation des futurs plans de sauvetage sans contrepartie[4], mais un front social large pourrait aussi le mettre en échec. C’est pourquoi un gouvernement minoritaire serait plus que préférable dans ce genre de circonstance.

Sans faire l’éloge d’aucun des partis représentés à l’assemblée, il est tout de même possible d’en tirer quelques avantages comme vous voyez, mais uniquement si le peuple suit. Le monde est présentement en effervescence et le Canada semble être l’un des rares pays qui se maintient dans la stabilité. Cependant, ce pays ne vit pas dans une dimension parallèle et les circonstances qui font se lever les peuples partout sur Terre se présentera bien assez vite au Canada et au Québec. La seule question qui reste encore à savoir est si c’est le populisme de droite qui en tirera profit. Et comme celui-ci en est encore à ses balbutiements, il est encore possible de faire émerger une force sociale encore plus grande à sa gauche.

Benedikt Arden (novembre 2019)


[1] Souhaitons quand même que cela n’arrive pas trop.
[2] La cause de la souveraineté nécessite l’alliance des partis, groupes et électorats souverainistes. Donc focaliser sur ce qui divise l’électorat souverainiste revient à desservir cette cause.
[3] Les leviers économiques sérieux sont presque tous au fédéral, alors que sa gestion se trouve essentiellement au provincial.
[4] Notamment sans socialisation ou nationalisation de ses actifs.

mardi 15 octobre 2019

Écologie ou libéralisme économique ?


Après plus d’une trentaine années à délibérer sur la question, l’écologie est maintenant devenue centrale dans le débat public. Et ceci à un point tel que même les vieux partis conservateurs sont forcés de se plier à cette tendance. Malgré tout, le problème du dérèglement climatique et des formes diverses que prend la pollution n’ont pas encore été réellement abordés autrement que par de beaux discours, de bonnes intentions et des accords internationaux non respectés... Les gestes volontaires des citoyens et le gaspillage un peu trop ostentatoire de certaines entreprises ont certes fait quelques avancées, mais rien de significatif (et surtout de systémique) n’a encore vraiment été initié, malgré tout le sérieux de l’enjeu.

C’est dans ce contexte d’attentisme exacerbé que Greta Thunberg a fait son apparition sur la scène internationale. Cette jeune Suédoise, qui interpelle et juge les principaux dirigeants du monde au nom de la jeunesse, est devenue le symbole de la lutte aux changements climatiques. L’apparition médiatique de cette jeune fille n’est cependant pas sans poser quelques questions, puisque son profil n’a rien d’extraordinaire et son abnégation envers la cause est loin d’être une exception. En réalité, la soudaine popularité médiatique de Greta Thunberg a plutôt à voir avec le carnet d’adresses de ses parents et des entreprises de communication dite « verte » plutôt que sur ses seuls faits. Mais enfin, comme le dit l’adage des dernières semaines : « Quand Greta montre la catastrophe, l'idiot regarde Greta ! »

Et ce n’est pas peu dire, puisque l’immense popularité de Greta Thunberg a immédiatement généré des réactions tout aussi démesurées que l’idolâtrie dont elle a bénéficié. Passant de la psychologie de comptoir, jusqu’aux plus ridicules théories du complot, à peu près tout a été dit sur sa personne. Pourtant la réalité est assez banale. La jeune fille est devenue une icône, simplement parce qu’elle est apparue au moment opportun, mais surtout parce que les jeunes se reconnaissent en elle et les plus âgés y voient la génération qui fera face aux conséquences des choix des précédentes. Greta Thunberg est donc un « signifiant vide », comme dirait la théoricienne post-marxiste Chantal Mouffe. C’est-à-dire une entité dans lequel on se reconnait soi-même et qui est en mesure de fédérer des gens aux intérêts et volontés divergentes sur la base d’un projet unificateur. Il faut dire que la petite est aussi très bonne oralement et même si elle ne rédige surement pas elle-même ses discours, l’effet de ses reproches semble agacer certains politiques qui auraient bien aimé la récupérer politiquement (je pense ici tout particulièrement à Emmanuel Macron !).

Ce rôle de symbole de la défense de l’environnement est, comme je le mentionnais, accompagné de celui de « tête de Turque » pour ses opposants, ce qui fait que la vie de la jeune femme est désormais scrutée à la loupe afin d’y déceler la moindre trace de contradiction. Comme la solution au dérèglement climatique est encore perçue par bien des gens comme une question de vertu individuelle, la personne qui sermonne les décideurs se doit d’être un exemple d’intégrité écologique. « L’écologisme » serait, selon eux, comme une espèce « d’art de vivre », voire une « religion » qui impliquerait une simplicité volontaire radicale. En conséquence, le niveau de prise de parole devrait être au prorata de l’ascétisme affiché.

Cette façon de voir la cause de la sauvegarde de notre environnement est évidemment ridicule et est un simple stratagème pour faire taire le messager. Rappelons que la meilleure façon de lutter contre la prise de conscience de notre rôle sur le climat est bien sûr de tirer sur le messager en dénigrant la fausse « vertu de Sainte Greta ». De cette manière, on évite de parler des causes systémiques du problème et, comme personne n’est parfait, on finit fatalement par « jeter le bébé avec l’eau du bain », comme le dit si bien l’expression.

De l’autre côté, nous trouvons la sempiternelle bonne vieille bourgeoisie progressiste, au côté des activismes pour le climat, fin prête pour une énième tentative de récupération d’une cause qui est fatalement trop radicale pour elle. Dans le palmarès des farces douteuses, notons la présence de Justin Trudeau à la dernière marche pour le climat de Montréal. Marche qui avait pour principal objectif d’influencer le pourvoir en place ! Hormis l'énorme ironie que constitue la présence du premier ministre canadien dans une marche qui le vise directement, constatons que la récupération de la cause est devenue un problème presque plus grave encore que sa négation. Si la négation du problème par les climatosceptiques peut se combattre par des idées, des données scientifiques et beaucoup de patience, le « greenwashing » quant à lui endort les consciences dans la pensée magique tout en maintenant en place la source même du problème. C’est-à-dire l’anarchie économique que constitue le libéralisme économique.  

Je souligne ici « libéralisme économique » et non le terme plus englobant de « capitalisme », car il existe bien des formes de capitalisme autoritaire qui pourraient très bien s’adapter à la rareté et se maintenir dans des activités économiques liées à la survie des pauvres. Autrement dit, s’enrichir sur la faim, le froid et la maladie d’une classe dont on a coupé toute forme d’ascenseur social[1]. Ce type de capitalisme étant particulièrement dégueulasse, il ne peut bien sûr pas être promu par quiconque se présente à des élections. A contrario, le libéralisme économique a historiquement justifié les inégalités par une théorie éthique. Selon cette idéologie, l’inégalité serait le résultat de la « liberté » ! Ce serait nos capacités personnelles dans le cadre de la compétition qui seraient à l’origine de notre position sociale et non pas le capital social, culturel et économique que comporte notre classe sociale d’origine[2].

La malice du libéralisme ne se limite évidemment pas à ça, puisqu’il y a aussi une certaine redistribution dans sa version dite progressiste. Néanmoins, cette redistribution est au fort prix d’une croissance économique constante, puisque la bourgeoisie n’est pas généreuse au point de limiter ses attentes de profits liées à sa position sociale et à ses droits sur les moyens de production. Les classes moyennes et populaires peuvent bien se partager les surplus de la croissance, mais en autant quelles consommes suffisamment pour la soutenir et, plus important encore, qu’il y ait suffisamment de croissance pour d’abord satisfaire l’actionnariat et le système financier.

Vous tous qui savez pertinemment que l’économie n’est pas en grande forme et que la croissance n’est plus au rendez-vous, devez deviner que le logiciel libéral-progressiste (ou social-démocrate) a du plomb dans l’aile depuis que les libéralisations massives de l’ère postsoviétique ont saccagé le compromis keynésien d’après-guerre. Comme le modèle néolibéral redoute plus que toute l’inflation, les besoins de crédits et l’investissement passent désormais par la dette publique & privée et engendrent des bulles spéculatives monstrueuses. Le besoin de croissance économique est donc devenu absolument nécessaire afin de simplement éviter le krach qu’occasionnerait l’éclatement de ces bulles[3].

Dans ces conditions, la redistribution et la planification économique, qui devrait être la base même de la reprise économique, sont devenues les ennemies à abattre. De là les accusations ridicules de « communisme », que chantonne la droite réactionnaire à tout va, lorsqu’il est question de changement de paradigme. Il en va de même de l’écologie politique, car le sérieux de l’enjeu impose de revenir sur terre, alors que notre société semble incapable de réaliser que le capitalisme n’est qu’une façon comme une autre d’organiser le travail humain. La fameuse opposition entre « économie » et « écologie » n’a de sens que dans ce refus de voir la réalité.       

Greta Thunberg martèle qu’il faut écouter les scientifiques. C’est vrai, mais ceux-ci sont bien avare de solution politique et c’est bien normal, ce n’est pas leur rôle. Cependant, il est bien difficile de faire l’impasse sur un point, c’est-à-dire la décroissance, puisque la production de gaz à effet de serre est directement liée à l’activité économique. Mais qui dit décroissance, dit rareté donc gestion et planification. Et qui dit gestion et planification dit redistribution, puisque la croissance n’est plus là pour gaver les riches tout en entretenant une consommation décente pour le reste de la population.

Les scientifiques évitent et récusent généralement le concept, mais tout ça fait vachement penser à du socialisme ! C’est pourquoi la droite réactionnaire parle (à juste titre d’ailleurs) « d’idéologie pastèque », c’est-à-dire verte à l’extérieur et rouge à l’intérieur. Cependant, les partis politiques dits écologistes restent très discrets eux aussi sur la question. Parfois volontairement, pour des raisons électoralistes, mais, plus souvent, parce qu’incapable de sortir eux-mêmes du paradigme du libéralisme économique. C’est pour cette raison que la rhétorique des « petits gestes » est aussi présente dans les têtes et les discours. Et c’est aussi pour cette raison que le « greenwashing » a à ce point monopolisé le problème environnemental. Comme ils ont peur de dire les choses comme elles le doivent, on tourne autour du pot et on attend de régler la quadrature du cercle ! Mais pendant ce temps le climat continue de changer et les années se perdent.  

Dans un article sur le cas du 3e lien à Québec, j’avais proposé de revoir l’urbanisme des villes afin de réduire, non pas le transport routier, mais le besoin de transport. Ici, il m’apparait clair que l’anarchie productiviste qu’impose le modèle économique des traités de libre-échange est l’une des raisons qui provoquent la grande majorité des GES, mais aussi limite la souveraineté politique des États[4], donc leur possibilité d’agir sur l’économie et le climat. Cette situation est aisément compréhensible, puisque ces traités sont justement signés dans le but d’entrainer de la croissance.

À l’inverse, c’est le circuit court qui doit être envisagé et tout ce qui peut être relocalisé doit l’être par principe. Cependant, ce genre de politique va à l’encontre des volontés d’enrichissement de la bourgeoisie (qu’elle soit de droite ou de gauche) et impose la redistribution, sans quoi le système d’échange se bloquera rapidement[5].

Comme on le voit, derrière l’écologie politique, se cache réellement un projet socialiste. Peut-être pas du genre marxiste-léniniste, mais socialiste quand même ! Il me semble urgent que les partis verts du monde le réalisent, car autrement ils seront dans l’incapacité de faire autre chose que ce que font déjà les vieux partis sociaux-démocrates et libéraux-progressistes. C’est-à-dire, taxer et sermonner les pauvres pour un mode de vie que les bourgeois ont imposé et construit à leur seul profit !

Benedikt Arden (octobre 2019)


[1] Je pense ici à un capitalisme de « castes », dans lequel la bourgeoisie devient héréditaire en droits et dont la liberté économique est supprimée au profit des privilèges. Autrement dit, un capitalisme féodal.
[2] Pour les intéressés, j’ai rédigé un texte qui traite spécifiquement de la question.
[3] Je résume évidemment ici à l’excès !
[4] Il n’est pas ici question de nationalisme, puisque la souveraineté est également nécessaire à la coordination internationale en fut d’une décroissance équitable.
[5] Les riches ont besoin des bras des pauvres, mais aussi qu’ils consomment. C’est ce qu’avait compris la bourgeoisie antiesclavagiste aux É-U lors de la Guerre de Sécession. 

lundi 30 septembre 2019

Au-delà de la réforme électorale


Si, lors de la dernière campagne électorale provinciale, la Coalition avenir Québec (CAQ), Québec solidaire (QS) et le Parti Québécois (PQ) se sont livré bien des batailles, ils se sont au moins entendus sur un point : la mise en place du mode de scrutin proportionnel mixte compensatoire. Beaucoup s’en sont félicités, en se disant que l’affaire était dans le sac. Effectivement, la représentation parlementaire était pour une fois très majoritairement favorable à cette vieille réforme qui traine depuis plus de cent ans, mais c’était ne pas tenir compte de la bonne vieille tradition du rétropédalage que nous a habitué le PQ d’avant 2006 et qui a été une nouvelle fois honoré le PLC.

Il est malheureusement tout à craindre que cette tradition soit encore une fois respectée par la CAQ, puisque ses député(e)s semblent plus craindre pour leur siège que pour leur parole, car, plus les échéances se rapprochent, plus la remise en cause de cette réforme se fait sentir. Il est d’ailleurs pratiquement admis que celle-ci ne sera pas mise en place pour l’échéance de 2022. Le « joker » d’un référendum sur cette question, en même temps que ces prochaines élections, a même été mis de l’avant par François Legault ! Peut-être s’imagine-t-il que de noyer le débat parmi l’ensemble des polémiques d’une campagne électorale pourra l’aider à se sortir de l’impasse dans lequel il s’est embourbé.

Il est en effet facile de promettre plein de choses avant d’être aux affaires et la réforme du mode de scrutin est le genre de promesse que les partis font dans l’opposition, mais abandonnent rapidement après avoir goûté au privilège du système uninominal à un tour ! Il est connu que ce système avantage les partis en tête et déforme la députation, au point même où il arrive qu’un gouvernement puisse être majoritaire avec moins de voix que l’opposition. C’est ce qui est arrivé en 1998, avec le PQ de Lucien Bouchard, qui avec 42,9% du vote s’est vu attribué 77 député(e)s contre 47 député(e)s pour un score de 43,6% pour le PLQ.

Le souci est bien évidemment celui de la disparité de l’électorat par circonscription qui désavantage les partis qui ont un électorat très concentré. Un parti comme la CAQ est désormais très avantagé par le mode actuel de scrutin puisque son électorat est très étendu, car composé de la majorité francophone, et peut reprendre facilement le pouvoir. À contrario, l’électorat pur & dur du PLQ (les anglophones et allophones) et celui de QS (étudiants et jeunes urbains) sont très concentrés dans les circonscriptions des grandes villes, ce qui limite le nombre de députés potentiel.

Ces partis peuvent bien sûr prendre des sièges en dehors de ses circonscriptions (les libéraux l’ont souvent fait), mais cela peut aussi prendre beaucoup de temps puisque la tentation du « vote utile » est très tenace, surtout à l’encontre des tiers partis. Notons que quand cela finit par arriver, les gains en députés sont généralement beaucoup plus massifs que l’augmentation du nombre de voix pourrait le laisser croire. C’est aussi à ce moment que l’envie de réformer le mode de scrutin perd de son intensité. C’est tout le paradoxe que nous vivons depuis des décennies.

Notre système électif, hérité du parlementarisme britannique, est un système oligarchique, essentiellement pensé pour le bipartisme. Dès lors que plusieurs partis politiques animent l’électorat, comme c’est le cas au Québec, le système devient bancal et mésadapté. Il y a évidemment quelques avantages, qui sont et seront matraqués (notamment la relation entre le député et sa circonscription, la stabilité gouvernementale …), mais rien qui suppose un grand soucie de la démocratie.

À contrario, les défauts du système actuel sont légion et le premier (et non le moindre) est l’inutilité de la plupart des votes. Il est effectivement peu attractif de faire l'effort de voter lorsque l’on vit dans le « château fort » de l’autre camp, puisque le vote n’aura aucun n’impact hormis les quelques sous que donne cet effort pour le parti. En réalité, le vote qui compte vraiment est celui des circonscriptions pivots. Dans les autres cas, le vote est plus symbolique qu’autre chose.

En parallèle du système électif, la représentation par circonscription a, quant à lui, surtout été pensée pour être un scrutin personnel et peu partisan. Un peu comme le maire d’une ville, que l’on choisit plus pour sa personne que pour son parti d’appartenance (quand il en a un). Mais, comme chacun sait, la vie politique du Québec est d’abord centrée sur les partis, c’est pourquoi le mode de scrutin proportionnel compensatoire mixte semble être le plus admis parmi les partisans de la réforme. Parce que c’est le plus facilement adaptable à notre situation.

Ce système se caractérise par une grande ressemblance à celui qui existe déjà, mais avec moins de circonscriptions et avec l’ajout d’une compensation sur la base du score global. De cette manière, les scénarios à l’italienne (ou à l’israélienne!) deviennent beaucoup moins probables. Cependant, la réforme n’est quand même que compensatoire et la représentation pourrait encore être biaisée à l’avantage du gagnant, tout dépendant la méthode de compensation qui sera retenue.

Mais pourquoi opter pour un mode de calcul qui avantagerait le gagnant, si l’objectif est de justement y mettre un terme ? « Question de stabilité politique ! » riposteront les habitués de la représentation oligarchique. Ceux-ci ne manqueront pas non plus de rappeler tout plein de réformes qui ont dû passer outre le consensus parlementaire pour se faire. La récente décriminalisation du cannabis par le PLC ou l’adoption de la loi 21 seraient des exemples de réformes qui auraient pu être bloquées si la représentation avait été compensée. Cet argument est effectivement valable et il est vrai que de changer le mode de scrutin actuel, par un système compensatoire, est loin de régler le déficit de démocratie du régime de Westminster. 

Mais en prenant un peu de hauteur, il s’avère parfaitement possible de garantir la stabilité du pouvoir politique tout en étant parfaitement démocratique. Pour ce faire il nous faut cependant sortir des réformettes et repenser complètement l’héritage du parlementarisme britannique. Dans cette optique, il est toujours bien de revoir ce que les penseurs du politique ont déjà proposé il y a déjà plusieurs centaines d’années. Car, notons-le, tous ces débats ne datent pas d’hier ! 

Pour ce faire, il faut se rappeler que les fonctions du pouvoir politique sont multiples. Nous avons pris l’habitude de les confondre, mais ce pouvoir se sépare en pouvoir « législatif » et « exécutif ». En somme, le député propose et vote les lois et le ministre dirige et oriente son exécution. Dans le système actuel, le ministre doit d’abord être législateur. Cela pourrait sembler légitime, puisqu’il doit passer par les urnes, mais bien des problèmes de représentativité viennent aussi de là, étant donné que l’exécutif porte une double casquette.

Les deux types de pouvoir se confondant, le parti obtenant la majorité des députés dans notre système peut devenir une quasi-dictature pour 4 ans, étant donné que les réformes souhaitées peuvent être réalisées sans une majorité de soutiens dans la population. Je dis ça je ne dis rien !

Là-dessus, plusieurs pistes existent, notamment celle des États-Unis. Cependant, la nature confédérale de ce pays, son immensité en termes de population et sa diversité économique en font un cas spécial. Sans compter que l’élection du président se fait de manière indirecte et n’est pas dépourvue de déformation elle non plus. Comme pour l’élection de Trump, qui s’est faite avec moins de voix que son adversaire. Néanmoins, le système présidentiel de base reste une bonne alternative s’il est adapté à la réalité du pays.

Par exemple, on pourrait imaginer un parlement législatif renouvelé aux 4 ou 5 ans par un suffrage proportionnel intégral et une élection présidentielle séparée (qui aurait lieu idéalement une année différente) au suffrage universel direct (probablement en deux ou trois tours). De cette manière, l’exécutif se concentrerait sur ses affaires et laisserait les réformes aux députés. Ce faisant, le pouvoir devient beaucoup moins fort et autoritaire, sans toutefois se bloquer complètement. Les réformes promises par le gagnant de l’élection présidentielle[1] ne passeront peut-être pas aussi facilement que dans notre présent système, mais consolons-nous en nous disant que les réformes antisociales pourront également être bloquées sans avoir à constamment mobiliser le mouvement social dans des grèves interminables et des moyens de pression parfois contraignants pour le public. 

De toute façon, les réformes les plus polémiques n’ont pas vocation à passer par un gouvernement ou par une majorité de députés, puisque dans chacun des cas, l’élection seule ne signifie pas accord global sur le programme. Par exemple, l’électorat du PLQ et du PQ est surtout polarisé par la seule question du fédéralisme canadien. L’électorat de la CAQ et de QS se constitue à contrario plus sur une vague opposition entre gauche et droite. Autrement dit, le vote pour l’un où l’autre de ces partis représente un accord général sur les principaux points de la plateforme du parti et une position générale dans le débat public, mais certainement pas un accord à 100% sur le programme du parti soutenu.

On a tous des réserves sur l’un ou l’autre des points d’un programme et c’est tout à fait normal. Un parti est généralement élu sur la base de quelques questions clés, voire par le rejet du concurrent (donc par défaut). C’est pourquoi les réformes les plus polémiques doivent nécessairement passer par référendum pour être démocratiquement valides. Et ceci, peu importe le système électoral en place, puisque ce problème est directement issu de la partisanerie politique. Qui, il faut bien l’avouer, n’est pas sans défaut elle non plus !

Dès l’instant où les pouvoirs sont séparés et que les institutions sont pensées pour trancher les grandes questions de société, plus besoin de gouvernement fort, de mesure antidémocratique et (surtout) plus besoin de s’en faire pour la stabilité du gouvernement, puisque celui-ci est directement élu et non plus désigné par le parti ayant le plus de députés.

Néanmoins, un élément fondamental reste encore à la décharge de ces propositions. Il s’agit bien sûr de l’éducation politique des citoyens en ce qui a trait aux responsabilités qu’implique un renforcement de la démocratie. L’éducation politique et philosophique est déjà de mise dans une société moderne, mais dans une société qui vise le plus haut niveau démocratie, un effort substantiel doit également être fait du point de vue de l’éducation.

L’éducation gratuite et universelle, de la maternelle à l’université, va de soi comme présupposé à la démocratie participative et directe. Démocratie, qui d’ailleurs, n’a aucune raison de se limiter au débat public et au régime politique, mais devrait également s’étendre à tous les secteurs de l’économie dans lequel le citoyen est impliqué. Cependant, cela nous mènerait peut-être un peu trop loin (le socialisme) et les populistes de droite, partisans de la propriété privée des moyens de production, risquent de moins apprécier ce genre d’appel au peuple !

Évidemment, un renforcement de la démocratie ne se fait pas comme ça et une personne seule ne peut prétendre détenir le modèle ultime, car celui-ci doit être en phase avec la réalité du peuple. Je ne prétends donc pas que le modèle que je propose soit indépassable, mais je crois néanmoins qu’il répond bien aux quelques arguments que les partisans du modèle actuel nous rabattent dans leurs multiples tribunes.

En conclusion, j’ajouterai que la remise en cause du système électoral et, plus encore, à la remise en cause de la constitution canadienne rime en tout point avec le projet d’indépendance du Québec. Loin d’être une lubie nationaliste servant à protéger la religion et les mœurs d’antan, l’indépendance du Québec est d’abord et avant tout un projet de construction politique inclusif. C’est-à-dire une constituante dans lequel la construction d’un système électif pourra émerger sans avoir à tenir compte des traditions britanniques issues du 18e siècle.

Je dis ça, je dis rien !

Benedikt Arden (septembre 2019)  




[1] En fait, il n’y aurait plus de promesse de réforme au niveau présidentielle, mais uniquement au niveau législatif. Le président serait choisi sur base moins idéologique que pragmatique.



mercredi 12 juin 2019

La gauche radicale doit-elle boycotter les élections et les institutions ?


L’idée n’est pas neuve et celle-ci existe depuis le tout début de nos systèmes électifs représentatifs, ceux que nous appelons un peu vite « démocratie ». Tous les courants de pensée radicalement opposés au système en place ont d’ailleurs leurs franges antiparlementaires et ceci autant à droite qu’à gauche. C’est d’autant plus le cas pour la gauche, que l’un de ses principaux courants de pensée (l’anarchisme) est ontologiquement opposé à toute forme de pouvoir. C’est-à-dire que celui-ci est opposé au principe même d’autorité politique, eut-elle pour fonction de changer l’ordre établi.

Cependant, ici, l’idée n’est pas de traiter des idéaux anarchistes, mais bien de la tactique du boycott des élections et des institutions bourgeoises en général. La gauche radicale s’est depuis toujours déchirée sur la question. Et encore aujourd’hui, le bien-fondé de la question reste encore tout à fait d’actualité, puisque plusieurs groupes politiques ont récemment appelé à participer comme à boycotter les dernières élections européennes, qui a d’ailleurs eu un d’abstention de près de 50% !

L’idée des partisans du boycott est bien sûr de ne pas se rendre coupables de participer au système qu’ils combattent. Ce fut le cas, par exemple, pour les « frexiters » du PRCF[1], lors des dernières élections européennes, mais ce fut également le cas du parti communiste révolutionnaire, lors des élections provinciales québécoises d’octobre 2018. Même si d’innombrables cas équivalents peuvent être retrouvés ici ou là, le modus operandi est presque toujours le même, soit officiellement dénoncer le système par le boycott et officieusement s’accaparer d’une façon ou d’une autre le score de l’abstention comme d’une victoire électorale.

Pourtant, une chose est sûre, l’abstention est aussi vieille que les élections elles-mêmes et jamais aucune d’entre elles ne s’est fait annuler pour cause de manque de participation. Même des élections aussi ignorées que celles des commissions scolaires, qui ont un taux de participation d’environ 5% (c’est-à-dire une abstention d’environ 95%!), n’ont jamais été annulées pour cette raison. Les organisateurs et les participants s’offusquent bien sûr du manque de participation des citoyens, mais le message qui est généralement perçu est surtout que les gens sont désintéressés à la chose publique et développent du cynisme, mais jamais qu’ils s’opposent au système en place. Même dans un pays rongé par une guerre de sécession, comme celle qui a lieu en ce moment même en Ukraine, ne suffit pas à faire admettre aux dirigeants que l’abstention puisse s’apparenter à un boycott. Et c’est bien normal, puisque ceux qui dominent le système en place n’ont aucun intérêt à délégitimer un système électif qui les favorise. Cela reviendrait à saper leur propre légitimité « démocratique ». 

Mais alors, pourquoi est-ce que des organisations d’extrême gauche continuent-elles à faire du tapage autour d’un boycott qui n’a historiquement jamais porté de fruits ? Après tout, si l’on ne souhaite pas participer aux élections, rien ne nous y oblige. Il y a toute sorte d’autres moyens de faire de la politique, même que certains diront que c’est justement hors des élections que la vraie politique se pratique. En fait, la vraie question serait surtout de savoir qu’elle est le rôle que l’on souhaite se donner dans tout ça, car le lobbying social et écologique de bien des ONG a démontré qu’il est tout à fait possible d’avoir un impact sur le monde sans gagner une quelconque élection.

Le dilemme de la participation ne vient donc pas des organisations de la « société civile », mais bien des organisations révolutionnaires, puisque celles-ci se donnent pour vocation de prendre les reines du pouvoir ou de le détruire pour créer un autre ordre. Ils ne peuvent donc pas se contenter d’influencer le pouvoir. Ils ont besoin d’éliminer complètement le pouvoir en place pour mettre en pratique leurs idées. C’est dans cette optique que la question de la participation aux élections se pose. Dans pareil cas, les données du dilemme sont très simples. Soit on joue le jeu institutionnel, soit on entreprend des actions clandestines en vue d’une prise de pouvoir illégale soit on tente de faire les deux à la fois.
C’est en partie pour résoudre ce dilemme que Lénine écrivit le 7e chapitre de « La maladie infantile du communisme », dans lequel il répondait aux « gauchistes[2] » allemands et hollandais qui souhaitaient boycotter les élections et les institutions bourgeoises comme pratique révolutionnaire :

Si même ce n'était pas des "millions" et des "légions" [comme le concède les communistes de « gauche» NDLR], mais simplement une minorité assez importante d'ouvriers industriels qui suivait les prêtres catholiques, et d'ouvriers agricoles qui suivait les grands propriétaires fonciers (…), il en résulterait déjà sans le moindre doute que le parlementarisme en Allemagne n'a pas encore fait son temps politiquement, que la participation aux élections parlementaires et aux luttes parlementaires est obligatoire pour le parti du prolétariat révolutionnaire précisément afin d'éduquer les couches retardataires de sa classe, précisément afin d'éveiller et d'éclairer la masse villageoise inculte, opprimée et ignorante. Tant que vous n'avez pas la force de dissoudre le parlement bourgeois et toutes les autres institutions réactionnaires, vous êtes tenus de travailler dans ces institutions précisément parce qu'il s'y trouve encore des ouvriers abrutis par la prêtraille et par l'atmosphère étouffante des trous de province. (…)

Nous, bolcheviks, avons participé aux parlements les plus contre-révolutionnaires, et l'expérience a montré que cette participation avait été non seulement utile, mais même indispensable au parti du prolétariat révolutionnaire, précisément après la première révolution bourgeoise en Russie (1905), pour préparer la seconde révolution bourgeoise (février 1917) et puis la révolution socialiste (octobre 1917). (…) Les Hollandais et les "gauches" en général raisonnent ici en doctrinaires de la révolution, qui n'ont jamais participé à une révolution véritable, ou qui n'ont jamais médité l'histoire des révolutions, ou qui prennent naïvement la "négation" subjective d'une institution réactionnaire pour sa destruction effective par les forces conjuguées de divers facteurs objectifs. Le moyen le plus sûr de discréditer une nouvelle idée politique (et pas seulement politique) et de lui nuire, c'est de la défendre en la poussant à l'absurde.

Ce que Lénine présente ici comme une « idée poussée à l’absurde » est ce besoin de boycotter par principe l’élection et l’institution combattue, puisqu’elles offrent tout de même des opportunités au combat révolutionnaire clandestin. Il faut simplement s’ajuster à la situation pour en tirer le meilleur profit et ne pas être dogmatique. Ce sur quoi Lénine insiste est qu’il peut être tout à fait juste de participer à toutes les élections, comme a aucune. Il peut aussi être pertinent de donner des consignes de vote ou d’appeler au vote blanc[3], mais le boycott par principe des institutions qui touche les masses prouvent simplement que leurs partisans ne font pas de politique, mais plutôt de l’idéologie.

Je précise qu’il en va de même pour les syndicats réformistes et leurs manifestations, trop souvent boycottés par l’extrême gauche au nom de la « radicalité ». Prêcher la pureté dans son coin et agir en dehors des masses n’apporte rien de plus que la marginalisation et laisse le champ libre aux organisations centristes, voire réactionnaires.

Je fais la nuance, car pour agir politiquement, il faut avoir une prise sur le réel et la théorie marxiste précise bien que c’est dans le nombre que se joue la force des faibles. Évidemment, on peut parfaitement être en désaccord avec le marxisme et plutôt favoriser le réseautage et le complot au combat de classes, mais dans tous les cas, le boycott des institutions comme action proactive ne présente aucun intérêt.

Les systèmes électoraux ainsi que les institutions sont effectivement biaisés, puisque façonnés par ceux qui en tirent profit, mais l’intérêt pour les révolutionnaires ne devrait pas être de nuire à la gauche radicale quand elle participe aux élections. D’un point de vue purement théorique, le choix de la politique du pire pourrait se justifier par un résonnement dialectique[4], mais comme le dirait Frédéric Lordon, la politique du pire peut se révéler du provisoire qui dure ! Il est donc très hasardeux de valoriser la victoire de nos adversaires pour favoriser la radicalisation de l’opposition, puisque l’Histoire a démontré mainte fois que l’hégémonie favorise d’abord et avant tout l’hégémonie! Le matérialisme dialectique, ou plus précisément « le passage du quantitatif au qualitatif », ne doit pas être compris comme une mécanique de science naturelle, mais comme une tendance de long terme. C’est pourquoi l’espoir et les petites victoires participent aussi à la montée des mouvements radicaux. Les années soixante l’ont d’ailleurs largement démontré, avec cette émergence protéiforme de contestations, qui ont caractérisé cette époque.

En fait, tout est question de contexte et de dosage. Il n’y a pas de recette magique, si ce n’est une bonne capacité à analyser les rapports de force et les causalités de nos gestes. Parfois, la gauche institutionnelle peut être le pire ennemi du progressisme, quand celle-ci usurpe l’étiquette de « gauche », comme pour le parti socialiste (voir parfois les macronistes) en France, le parti démocrate aux États-Unis ou le nouveau parti démocratique et le parti libéral au Canada. Dans pareille cas, le vote dit « utile » est absurde, puisque ces partis pourront opérés des politiques de droite, avec l’assentiment des syndicats et de leur électorat, ce qui rendra encore plus difficile de résister à leurs politiques. Néanmoins, les partis qui comportent encore un personnel combattant et minimalement désintéressé, même si social-démocrate et modéré, peuvent s’avérer pertinents à soutenir.

Il faut tout de même maintenir du recul vis-à-vis de la partisanerie, car des trahisons, comme celle de SYRIZA en Grèce, sont toujours à risque de survenir. Dans pareil cas, la leçon a tirée n’est pas le boycott des institutions, mais plutôt celui des traitres.

Rappelons ce qu’écrivait Lénine « tant que vous n'avez pas la force de dissoudre le parlement bourgeois et toutes les autres institutions réactionnaires, vous êtes tenus de travailler dans ces institutions », car elles font partie de la réalité. Une réalité à combattre, n’en reste pas moins une réalité et vivre dans le déni de cette réalité, c’est abandonner le monde que l’on souhaite changer !

Benedikt Arden, juin 2019


[1] Pôle de renaissance communiste en France, une organisation marxiste-léniniste et souverainiste.
[2] Dans le sens qu’ils étaient à gauche de la ligne que Lénine jugeait juste.
[3] Notamment pour des cas comme le deuxième tour de la présidentielle de 2017, entre Lepen et Macron.
[4] Au sens où la souffrance des victimes de l’État en place, amplifie l’appui à la révolution souhaitée.