mardi 29 août 2017

Un paradoxe qui n’en est pas vraiment un

Depuis peu, je note que l'usage du paradoxe de la tolérance, du philosophe Karl Popper, est souvent utilisé afin de servir de justification morale à certaines formes de violence faite aux militants de La Meute et plus généralement aux militants d’extrême droite. Cette justification, issue d’une réflexion purement conceptuelle, pose évidemment plusieurs problèmes politiques assez lourds de conséquences, car remettant en question le principe même de l’égalité devant la loi. Sans compter qu’elle pose de sérieuses implications à des accusations qui sont par nature du domaine de l’arbitraire.

Si nous mettons un instant de côté le fond du message de Popper, l’interprétation qui en est faite par les militants antifascistes ressemble surtout à la déclaration de guerre qu’Antoine de Saint-Just envoya aux contre-révolutionnaires de son époque, soit : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ! » Mais peu importe la formulation, il s’agit avant tout de justifier l’usage de moyens qui vont à l’encontre des principes défendus par les acteurs des luttes progressistes envers les réactionnaires qui tentent de rétablir l’ordre ancien. L’interprétation que certains se font du paradoxe de la tolérance ne fait donc que schématiser une pratique qui est depuis longtemps établie. Soit de sanctuariser les conquêtes des droits politiques durement acquis.

Avant de commenter plus avant le paradoxe, relisons ce que Karl Popper propose dans La Société ouverte et ses ennemis :

« Moins connu est le paradoxe de la tolérance : la tolérance illimitée doit mener à la disparition de la tolérance. Si nous étendons la tolérance illimitée même à ceux qui sont intolérants, si nous ne sommes pas disposés à défendre une société tolérante contre l'impact de l'intolérant, alors le tolérant sera détruit, et la tolérance avec lui. […] nous devrions revendiquer le droit de les supprimer [les intolérants], au besoin, même par la force […] Nous devrions donc revendiquer, au nom de la tolérance, le droit de ne pas tolérer l'intolérant.
Je ne veux pas dire par là qu’il faille toujours empêcher l’expression de théories intolérantes. Tant qu’il est possible de les contrer par des arguments logiques et de les contenir avec l’aide de l’opinion publique, on aurait tort de les interdire. Mais il faut toujours revendiquer le droit de le faire, même par la force si cela devient nécessaire, car il se peut fort bien que les tenants de ces théories se refusent à toute discussion logique et ne répondent aux arguments que par la violence. Il faudrait alors considérer que, ce faisant, ils se placent hors la loi et que l’incitation à l’intolérance est criminelle au même titre que l’incitation au meurtre, par exemple.
Si l’on est d’une tolérance absolue, même envers les intolérants, et qu’on ne défend pas la société tolérante contre leurs assauts, les tolérants seront anéantis, et avec eux la tolérance. »

Comme vous l’avez probablement remarqué, le paradoxe de Popper repose sur une impossibilité pratique et le paradoxe n’existe que sur une forme conceptuelle. S'il est vrai que la tolérance prise dans l'absolu est une stupidité[1], le paradoxe repose avant tout sur une confusion de la nature de ce que doit être « la tolérance ». Je m’explique.

En théorie dans un État de droit, on protège (par exemple) la liberté d'expression quand elle ne représente pas un délit oral. Autrement dit, une calomnie, un appel à un acte illégal, des préjugés dégradants, etc. C'est la même chose pour les actions des individus, car « ce qui n'est pas interdit est autorisé », comme le rappel cet axiome juridique.

À partir du moment où l'on juge les actions et les idées comme elles doivent l'être du point de vue matérialiste, c'est-à-dire de ne s'occuper que de ce qui existe (les idées n'existent que sous la forme d'action ou de paroles), on ne voit plus très bien où se trouve le paradoxe. À moins de considérer les contraintes qu'impose le respect des droits de la personne (les sanctions qu'impose la loi) comme une forme d'intolérance ! Le concept qui sous-tend la loi n'est pourtant pas de l'intolérance, mais les règles du vivre ensemble. Enfin, si les lois sont bien faites, ce qui n’est évidemment pas le cas au Québec, comme au Canada…

Les idées, qu'elles soient aussi immondes qu'on peut imaginer, ne sont que des idées (c'est-à-dire une production immatérielle de notre cerveau) donc sans conséquence du point de vue des droits. C'est lorsque ces idées se matérialisent qu'elles peuvent engendrer ce que Popper considère comme un risque pour la tolérance. Les droits humains, même ceux définis par le droit bourgeois, forment des règles certes encore imparfaites du point de vue économique, mais qui, lorsqu’appliquées, dépassent aisément ledit paradoxe. En tout cas du point de vue qui nous concerne présentement.

En somme, la société tolérante ne peut pas être tolérante dans l’absolu, car elle se prive des moyens de sa propre existence. Cependant, si l’État de droit est tolérant parce qu’il permet tout ce qui n’est pas interdit, il n’autorise pas sa propre subversion. C’est pourtant bien connu. Et si des « intolérants » veulent s’attaquer à l’État de droit, celui-ci a le devoir de se défendre sans pour autant avoir à s’en expliquer, car il s’agit du fondement même du « contrat social » (toujours en théorie).

Il en va de même pour la démocratie en général. L’argument qui prétend que les élections pourraient mettre au pouvoir un parti ou un individu ayant la possibilité de mettre fin aux élections ou bafouer les droits de l’homme est une réalité, mais qui n’est pas spécifique à l’extrême droite ou à l’intolérance en générale. Bien souvent, c’est même sous le couvert de la « tolérance » ou des nécessités de l’économie que nos gouvernements justifient des mesures qui vont à l’encontre de nos droits. L’abolition des référendums municipaux par le gouvernement libéral en est un parfait exemple. Tous les partis ont le droit de faire valoir leurs idées et d’essayer de les appliquer en prenant temporairement le pouvoir dans un régime multipartite, mais il y a normalement une limite. Un ensemble de principes qui doivent être le centre du contrat social de la communauté nationale.  Et ce contrat est ce que l’on appelle la « constitution ». Constitution qui ne devrait jamais être adoptée ou modifiée sans de larges débats et l’accord de la majorité du peuple (encore en théorie). Mais comme  mentionné ci-dessus, l’extrême droite n’a pas eu besoin de prendre le pouvoir pour que quelqu’un fasse fi de ce principe en novembre 1981. Le parti libéral du Canada en a été parfaitement capable tout seul.

Pour en revenir à la violence ou à l’intimidation effectuée aux membres de l’extrême droite. Les seules questions qui comptent vraiment, pour y répondre, sont celles-ci : est-ce que ces derniers ont les mêmes droits que les autres ? Et faut-il limiter leur « liberté » s’il s’agit d’une menace ? Dans les deux cas, la réponse est positive, car la loi a normalement le devoir d’empêcher les comportements qui sont des menaces à la liberté. Ceci, au même titre que l’on ne peut pas prétendre avoir la « liberté » de voler son voisin, car le principe de propriété est considéré comme inviolable[2] dans nos constitutions. Mais pour être privé de sa liberté, faut-il encore être en infraction sur ce qui est autorisé ou « toléré », ce qui n’est pas toujours le cas quand certains perçoivent une menace idéologique. Et c’est à partir de ce moment que le paradoxe de Popper est utilisé. Parfois à raison, mais dernièrement un peu plus souvent à tort …  Enfin, là c’est un autre sujet.

Dans cet ordre d'idée, je note que ce non-paradoxe en cache un autre plus amusant. Avez-vous remarqué que les plus ardents promoteurs du paradoxe de Popper sont souvent les mêmes qui font la promotion d'un modèle de société sans État, polices, juges, frontières, etc. Malgré le fait que ce sont ces institutions qui ont (normalement) le mandat de faire respecter l'État de droit (État de droit imparfait comme je l'ai déjà dit) et ainsi maintenir la tolérance et la liberté d'expression? Cette volonté affichée de détruire le cadre étatique devient donc une menace à la liberté et au droit des gens, car son absence signifie retourner tout droit dans un régime arbitraire. Même si ceux qui font la promotion d’un système sans État croient sincèrement qu’ils bâtiront de cette façon un monde de tolérance, ils rendent inévitable la venue d'une société arbitraire et discriminante pour la simple raison qu’ils sont eux même incapables de faire valoir un droit égal pour tous. S’il devait y avoir paradoxe, ce serait bien celui-là, car tout ce qui reste après la mort de l'État de droit, c'est le rapport de force.

Les personnes aux croyances d’extrême droite n’ont pas plus le droit de bafouer le droit que quiconque et c’est sur cette base que le paradoxe de Popper n’en est pas vraiment un. Un contrat social bien conçu est donc la seule voie vers une société de tolérance.

Benedikt Arden (août 2017)




[1] Ce que Popper n’a jamais prétendu.
[2] Je m’empresse de préciser que le principe de propriété n’est pas ce que j’appelle une « loi bien faite », car elle renvoie à deux notions bien distinctes, soit la propriété d’usage et la propriété d’échange. Je revois le lecteur intéressé à ce texte sur le sujet.

lundi 14 août 2017

Le capitalisme tue !

C’était dans la nuit du 6 juillet 2013 que la mort frappa la municipalité de Lac-Mégantic. La faucheuse prit la vie de 47 personnes cette nuit-là et sidéra la population entière par une violence qui ne pouvait que marquer l’imagination du Québec en entier. Les commémorations et les déclarations publiques ne tardèrent guère de la part des autorités de l’époque, car la pression était grande. Ces derniers ont d’ailleurs eu également la décence de mettre en place quelques enquêtes afin de faire la lumière sur cette horrible affaire. Mais par la suite, le flot médiatique sut rapidement faire de cette catastrophe un flou souvenir sans conséquence pour la majorité d’entre nous.

Mais après ces 4 années passées, les 3 rapports tablettés, les 2 changements de gouvernement et la faillite de la compagnie fautive, que reste-t-il des leçons tirées de cette tragédie ? Très peu en effet. Alors pourquoi notre société si prompte à légiférer à tout va pour notre sécurité, n’a-t-elle pas tiré les principaux enseignements que cette affaire fit émerger ? Les statistiques de décès de la route ou au travail ne sont-ils pas constamment suivis d’application réglementaire ? Alors pourquoi n’en serait-il pas de même pour ce type de catastrophe ?     

La réponse n’est pas difficile à trouver, car, si les nouveaux pouvoirs en place depuis cette tragédie ont bel et bien changés, leur principal intérêt face de notre sécurité lui ne l’a guère été. Ce souci de notre intégrité, d’abord et avant tout centré sur des actions qui l’aident à balancer son budget (les bons vieux tickets d’infraction), ne va jamais au détriment des « vraies affaires » ! « Vraies affaires », toujours promptes, elles aussi, à déterminer nos vies, car, il faut le savoir, il s’agit avant tout du genre « d’affaires » que les hommes dits « d’affaires » savent imposer aux décideurs comme la priorité d’une société qui se veut « libre » et « démocratique » ! Il en va ainsi dans tout le « monde libre », celui notamment dominé par le grand capital !

Mais que s’est-il passé en cette sombre nuit et que sont ces enseignements qui ne valaient même pas la vie de 47 personnes ? Pour y répondre, un rapide retour sur les événements est de mise. Le compte-rendu le plus clair, complet et concis de cet événement est sans doute celui présent sur la page Wikipédia dédiée à l’affaire. Je vous offre d’abord ce petit condensé factuel et légèrement épuré de l’événement avant de revenir sur les enseignements de cette tragédie :

Le train était composé de cinq locomotives et de 72 wagons-citernes de pétrole brut provenant de la formation de Bakken, au Dakota du Nord (États-Unis), destiné à la raffinerie de pétrole d'Irving Oil à Saint-Jean (Nouveau-Brunswick). Entré au Canada à Windsor, le train était passé par Burlington, Mississauga et Toronto, avant d'arriver sur les voies de la ligne ferroviaire Montreal, Maine & Atlantic Railway (MM&A), un chemin de fer secondaire qui relie Montréal à la côte atlantique du Maine, et de là, vers les provinces maritimes du Canada.

Composé, au départ du Dakota, de 78 wagons-citernes, le train n'en comptait plus que 72 lors de l'accident, six wagons ayant été retirés à Montréal en raison de problèmes mécaniques. Les wagons-citernes étaient de type DOT-111, un modèle utilisé depuis de nombreuses années en Amérique du Nord pour transporter différents liquides. […] Le convoi a été pris en charge par la Montreal, Maine & Atlantic à la gare de triage du Canadien Pacifique, à Côte-Saint-Luc, sur l'île de Montréal. Le convoi a d'abord circulé sur des voies du CP, avant d'emprunter le réseau ferré de la MM&A à partir de Saint-Jean-sur-Richelieu.

Le 5 juillet vers 23 h (HAE), le train de la MM&A arrive à Nantes, une localité située à une douzaine de kilomètres au nord-ouest de Lac-Mégantic. Le seul occupant du convoi, le conducteur Tom Harding, un cheminot expérimenté, arrive à la fin de son quart de travail. Il immobilise le convoi sur la voie principale en laissant fonctionner sans surveillance la locomotive de tête, numéro 5017, en attente d'un autre équipage. Le changement d'équipage à Nantes est une opération de routine pour la MM&A. […]

Vers 23 h 32, des résidents de Nantes avisent les pompiers d'un incendie qui fait rage dans une locomotive stationnée sur la voie ferrée qui longe le village. Douze pompiers se rendent sur les lieux une dizaine de minutes plus tard pour éteindre un incendie qui s'était déclaré dans une conduite d'huile ou de carburant. […] Lors de leur arrivée sur place, les pompiers constatent que des flammes sortaient de la cheminée. Vers 23 h 50, les pompiers communiquent avec le contrôleur du trafic ferroviaire de la MM&A à Farnham pour signaler l'incendie. Au cours de leur intervention, les pompiers coupent le moteur de la locomotive. Ils éteignent le feu à 0 h 13 et quittent les lieux après avoir remis le train à deux représentants de la MM&A, qui sont arrivés sur les lieux entretemps.

Selon le Bureau de la sécurité des transports, le train recommence à rouler sans équipage à 0 h 56 pour une raison encore inconnue. Le convoi dévale la pente de 1,2 % vers Lac-Mégantic. À 1 h 14, des témoins signalent que le train circule à vive allure au centre-ville de Lac-Mégantic.

Les cinq locomotives se détachent du reste du convoi et poursuivent leur route sur une distance de 800 mètres. Le reste du convoi déraille dans une courbe près de la rue Cartier, provoquant la première d'une série d'explosions et déclenchant un véritable « bombardement incendiaire ».

Ce que nous pouvons retenir de cette tragédie est, en premier lieu, que le type de wagon utilisé par la MM&A pour transporter le pétrole (le DOT-111) était visiblement trop faiblement constitué pour résister à un déraillement à haute vitesse. Il s’agit ici de la seule leçon que l’État s’est donné le droit de tirer car, si l’on met de côté sa promotion opportuniste du transport de pétrole par pipeline, orchestré sur la base de cette catastrophe, le transport de matières dangereuses par train a effectivement subi une légère hausse de norme par le fédéral en 2014.

La seconde leçon est l’absence de conducteur ou de surveillance d’un train nécessitant un moteur en marche pour rester là où il doit être. La troisième leçon est le visible manque d’entretien des wagons et des locomotives utilisés. La 4e leçon est la disposition de la voie ferrée, qui, sans tenir compte de cette courbe acerbe dans un centre-ville (ce qui n’est pas rien!), peut également servir de « stationnement » en haut d’une ville comme Lac-Mégantic. La 5e leçon est la matière même que contenaient les wagons, soit le tristement célèbre pétrole de schisme. Celui-là même que notre gouvernement du Québec souhaite tant exploiter dans le bas du fleuve. Et la dernière leçon, et non la moindre, est la possibilité qu’une compagnie subventionnée par Québec, Ottawa et la Caisse de dépôt et placement du Québec puisse (après avoir pris soin de transférer ces fonds aux actionnaires, soit 75% à Ed Burkhardt[1] lui-même) faire faillite sans réellement répondre de ses actes.

Comme souligné ci-dessus, seule la norme concernant le transport de matière dangereuse à faire l’objet d’une révision. Mais, comme dans bien des cas équivalents, il serait plus sage de suivre l’avis des experts sur le sujet en amont plutôt que d’attendre bêtement que les accidents ne surviennent. Mais comme pour bien d’autres cas, les autorités semblent souvent laxistes quand la sécurité des citoyens et l’environnement viennent limiter la « liberté » des entreprises.   

Pour ce qui est des autres leçons, comme la première, nous pourrions délibérer bien longtemps sur la surface des choses, sans pour autant comprendre les fondements profonds de cette tragédie. Si nous nous limitons aux comportements individuels des acteurs rien ne pourra résulter d’autre que des blâmes de négligence et encore… Les responsables en amont sont rarement inquiétées par les autorités. Seuls les exécutants le sont, même s’ils sont blâmés pour des pratiques souvent officieusement imposées par la direction, car elle-même contraint par l’actionnariat à un rendement trimestriel maximal, au détriment de toute autre considération.   

Ce qu’il faut comprendre, c’est que les personnes agissent de plein gré qu’en apparence. En réalité cette liberté n’est que toute théorique car, dans la plupart des cas, les acteurs sociaux ont des tâches impliquant des résultats qui proviennent de la structure économique dans lequel les individus interagissent. Du législateur à l’exécutant, tous doivent rendre des comptes et atteindre les résultats escomptés par les bénéficiaires de leurs tâches. Il en va également de même pour une grande partie de notre vie privée (nos responsabilités).

En regardant le dossier de près, on se rend bien vite compte que le manque d’entretien de la locomotive et des wagons ainsi que le douteux remplacement de chauffeurs par des systèmes de télécommande dans ses locomotives sont dictés par les pratiques dites « agressives » de réduction des coûts d'exploitation. En réalité, la MM&A comme Ed Burkhardt ne sont que le produit d’un ordre social qui fait de la croissance économique l’alpha et l’oméga de nos sociétés. L’optimisation de la plus-value est le cœur de tous les espaces incorporés dans les traités de libre-échange, ceux-là mêmes que nos gouvernements s’empressent toujours de signer au nom des « vraies affaires ».

Les traités de libre-échange, loin d’être des espaces privilégiant les hauts standards environnementaux, sociaux, éthiques, de sécurité ou de qualité, sont des espaces qui privilégient la « liberté » de la propriété lucrative. Autrement dit, celui du capital. Le capital enfin « libéré » fera donc la seule chose qu’il sait faire. C’est-à-dire croître en quantité, ce que l’on appelle de la « croissance ». Les propriétaires du capital ne ressemblent plus tellement aux anciens stéréotypes issus du 19e siècle[2], car essentiellement remplacés par des fonds d’investissement. Ces institutions sont d’ailleurs également dirigées par des employés qui doivent aussi rendre des comptes à leurs clients. Comme Ed Burkhardt, plusieurs capitalistes à l’ancienne existent encore, mais la majorité du 1% préfère de loin la prudence (en ne mettant pas tous leurs œufs dans le même panier, comme on dit) et préfère placer leur argent dans toute sorte de domaines, comme ceux sus-cités. C’est d’ailleurs le principal problème, car les connaissances directes des industries dans lesquelles ces investisseurs ont mis leurs deniers étant plutôt limitées. Le seul élément proprement pertinent pour eux, afin de juger la direction, sera évidemment le taux du retour sur investissement trimestriel (le profit).

Comme les compagnies appartiennent à des gens qui se fichent bien de savoir comment leur argent est créé. Les directions, responsables de satisfaire ces appétits gloutons, auront beaucoup de mal à faire valoir le « bon sens » et « l’éthique » pour expliquer un mauvais bilan. Les actions se vendant aussi vite qu’ils s’achètent. Une direction trop prompte à faire valoir le bon sens aux actionnaires pourrait facilement être remplacée ou pire, la compagnie mise en faillite et rachetée en un tour de main (ou d’action) ! C’est pourquoi le cadre Étatique est essentiel pour que le capitalisme lui-même ne s’autodétruise pas au bout du fameux trimestre. C’est en raison des lois que votent nos législatures que le minimum vital est respecté par ces requins et non par une éthique quelconque.

L’État est au service du capitalisme, car les partis au pouvoir l’interprètent comme la forme la plus avancée de « liberté », mais il doit aussi le contraindre pour son bien. C’est pourquoi des normes existent. Mais dans le cadre du libre-échange, les transnationales ont le rapport de force avec eux, s’ils ne s’entendent pas avec l’État. Car ce dernier n’a plus la possibilité de contraindre le capital à rester sur leur sol, étant en régime de « libre-échange ». C’est pourquoi les transnationales sont capables de mettre les États en concurrence et les faire s’ajuster entre eux, mais constamment à la baisse[3]. C’est dans ce cadre que des tragédies comme celle de Lac-Mégantic surviennent et continueront de survenir. Et c’est également pour cette raison qu’il n’y a aucune raison de faire confiance à ceux qui prétendent que des pipelines seraient une option plus sécuritaire que le train ou que les puits de gaz de schisme seraient une source d’enrichissement pour les populations riveraines.  

Les comportements individuels des décideurs de l’activité économique sont toujours amenés à être ce que la structure économique et légale les portera à être. C’est pourquoi les tentatives de moralisation des capitalistes à la Ed Burkhardt sont des chimères aussi stupides que celles du capitalisme … Le problème est d’abord et avant tout issu d’un système qui refuse de comprendre que l’activité économique doit être au service du peuple et non pas au service de lui-même ! Un système qui par principe est incapable de faire une différence entre la propriété d’usage (les objets que nous possédons) et la propriété d’échange (le capital sous toutes ses formes) et qui se refuse à toute planification économique, même dans un contexte de crise écologique aussi grave que celui que nous connaissons, est un système qui ne peut nous conduire qu’à la mort !

Il en va de la vie de nos compatriotes, comme de l’Humanité tout entière. Il faut combattre ce système stupide, car le capitalisme tue !

Benedikt Arden (août 2017)



[1] Le patron de la MM&A.
[2] Un portrait classique serait par exemple celui d’un homme gras, sans scrupule et vendant son âme au diable pour une poignée de dollars.
[3] À l’exception des cas où l’exigence favoriserait le conglomérat de capitalistes qui ont de facto le pouvoir sur l’économie internationale.