samedi 31 mai 2014

Lettre inachevée aux générations futures (modeste contribution au bordel politique actuel)

Quand j’étais jeune, je m’imaginais souvent en conversation avec le moi du futur. Aujourd’hui, on cause toujours mais généralement en sens inverse. Le scénario est bien rodé : après un d’échange d’amabilités, ponctué par des traits d’ironie, la conversion vire rapidement au bilan, ponctuée par des « Si t’avais su hier ce que je sais aujourd’hui ». Lorsque l’un d’entre nous a bu, ça sombre dans l’empoignade. Là, il faut voir ce qu’il prend le jeunot. Tiens, prends ça, et ça. Et puis ça aussi. Une balayette, une pelle à tarte suivi d’une patte de tigre et le voilà affalé sous le pont des soupirs. Etalé de tout son long, il me crache une ou deux dents à la figure en marmonnant « Le fascisme ne passera pas » ou, plus prosaïquement, « Vieux con ». Un outrage qui lui coûte en général un ou deux mois d’argent de poche et d’interdiction de sorties.

Je fais le dur, mais en réalité je suis préoccupé. Que lui réserve le futur et qu’adviendra-t-il ? Questions purement rhétoriques, puisque j’ai maintenant la réponse. Tout le reste n’est que fiction spéculative. Tiens, en parlant de ça...

Chers vous,
Nous sommes en mai 2014 et je vous écris de quelque part en France. Autour de moi, c’est le branle-bas de combat car les dernières lignes de défense ont finalement cédé. En vérité, je n’en sais trop rien, car les informations arrivent par bribes et il y a beaucoup de parasites sur les lignes de communication qui fonctionnent encore. De plus, les messages, une fois décryptés, semblent pour la plupart incomplets ou incompréhensibles (je crains qu’à force de désorganisation, nous n’employons pas tous le même code). Mais à force de recoupements et de déductions, j’ai compris que l’ennemi était à nos portes.

Ce qui me paraît étrange car l’ennemi, je l’ai vu pas plus tard qu’hier à la télé. Dans sa novlangue habituelle, il parlait de « maintenir le cap », ou je ne sais quoi.

En attendant d’en savoir plus, j’ai quand même pris les précautions d’usage. Les fenêtres sont recouvertes de papier journal (le Figaro, pour ne pas attirer l’attention). J’ai repassé mon t-shirt du Che et je m’exerce à lever le poing et à scander « no pasaran ». Je sais que cela ne suffira pas, mais je le fais pour la postérité et en espérant que lorsqu’ils défonceront la porte, quelqu’un prendra une photo avec son téléphone portable et publiera l’image sur Facebook. Peut-être même une vidéo sur Youtube, qui sait ?

Est-ce que Facebook et Youtube existent encore à votre époque ? Les comptes ont-ils été préservés ou effacés au bout d’un certain temps, par manque de place, par pudeur, ou par censure ? C’est curieux, d’ailleurs, cette soudaine préoccupation pour la mémoire. J’aurais dû me poser la question avant. « Si t’avais su hier ce que je sais aujourd’hui ». Tiens, par précaution, je vais faire un selfie (« autoportrait », si vous préférez).

Le voisin a monté le son de sa télé. On dirait les infos, ou de la publicité (difficile à distinguer). Il faudrait que je passe le voir tout à l’heure, pour prendre des nouvelles et la température. En attendant, je vais profiter de mon temps libre pour écrire une lettre (que vous lirez peut-être, bla bla, vous connaissez la suite).
Cher vous,

Depuis quelques années, je me pose souvent la question suivante : si j’avais 17 ans aujourd’hui, l’âge où j’ai commencé à m’intéresser à la politique, et si j’avais grandi dans cette France-ci, sans le passé et le vécu qui est le mien, vers où pencheraient mes sympathies politiques ? Chaque fois la réponse, hypothétique certes, est une réponse qui désole celui que je suis devenu. Car cette réponse est : certainement pas vers la gauche. En tous cas, pas vers la gauche actuelle, ou pas vers ce qu’on appelle communément la gauche. Et me voilà déjà embourbé dans les définitions, ce qui est déjà révélateur en soi.

Je recommence : si j’avais 17 ans aujourd’hui, et si j’avais vécu dans cette France-ci, « gauche » serait synonyme de pratiquement tout ce que j’exècre en politique. Elle serait synonyme de trahisons, de double-discours, d’hypocrisie, d’opportunisme, d’intolérance, d’inculture, d’impérialisme, d’atlantisme, d’abandons, d’extrémisme « libéral », de gauchisme cliché, de pensée réactionnaire, de complaisance envers le sionisme. La gauche dont je parle serait évidemment et avant tout le Parti Socialiste, parti exécrable parmi les exécrables, mais probablement aussi, par association, tout ce qui gravite peu ou prou autour. Bref, si j’avais 17 ans aujourd’hui, je naviguerais probablement quelque part autour de tous les mouvements plus ou moins « antimondialistes » ou « dissidents ». Ou peut-être nulle part.

Mais voilà, je suis de gauche et même si j’ai parfois l’impression de m’accrocher à une branche morte ou pour le moins agonisante, je n’ai pas l’intention de me laisser dépouiller par des plus pouilleux que moi.

Cher vous, je ne connais évidemment pas la version officielle de l’histoire que l’on vous enseigne à votre époque, alors permettez-moi de vous présenter la mienne. Comme je n’ai à l’heure actuelle aucune idée de l’évolution de la situation, je n’ai donc aucune idée de la pertinence de mon propos. Je vous laisse juges en la matière. Mais cette histoire-ci, celle qui est la mienne, ne commence pas par « Il était une fois », car il n’y a jamais eu de « une fois », mais plusieurs.

La première fut une sale petite photo en noir & blanc de guérilleros guatémaltèques décapités par des soldats de l’armée régulière qui brandissaient leurs trophées. La légende précisait que les grands dadais à l’arrière plan, genre les jambes légèrement écartés, les mains sur les hanches et apparemment satisfaits du travail accompli, étaient des « instructeurs militaires » des Etats-Unis. Le choc fut forcément rude pour quelqu’un qui venait d’un milieu qui avait pleuré la mort de Kennedy, admiré sa blanche dentition et sa coiffure impeccable, et s’était extasié devant les galipettes lourdaudes sur la Lune.

Quarante ans plus tard, je n’ai aucun mal à comprendre les paroles de l’hymne du Front Sandiniste de Libération Nationale (Nicaragua), et pas simplement parce que j’aurais appris l’espagnol : « Luttons contre les yankees, ennemis de l’humanité ». Comme quoi, il y a des gauches, sur d’autres rives, qui savent de quoi elles parlent.

La deuxième fut une brève de presse annonçant que des députés du Parti Communiste Français s’était enchaînés aux grilles de l’ambassade de Turquie pour protester contre les tortures et assassinats subies par l’opposition de ce pays. C’est fou ce qu’un geste, dans ce qu’il a de désintéressé, d’authentique, de sincère, peut remplacer des discours. Pour symbolique qu’il fut, ce geste a suffit pour me faire basculer. Je n’avais pas les idées claires à l’époque (anar ? communiste ? socialiste ? trotskiste ? fromage ? dessert ? on pourrait avoir un plateau avec un peu de tout ?) mais un parti avec des députés (des députés !) capables d’un tel geste, je savais que je voulais en être.

Au début, tout baignait. Ce n’est que plus tard que le bordel, celui annoncé dans le titre, a commencé. Ce fut d’abord dans des détails, des incidents apparemment isolés. En fait, avec le recul, je me dis que c’est aussi l’expérience qui les rendaient de plus en plus visibles.

Ca a d’abord commencé chez nos amis, les « socialistes », que je trouvais un peu cuculs mais gentils. Des trucs qui n’allaient pas, comme lorsque tu serres la main d’un ami et qu’il évite ton regard. Tu demandes « ça va, tout va bien ? » et lui te répond « Oui, oui, tout va bien » en regardant par-dessus ton épaule. Tu te retournes, pour t’enquérir sur l’objet de son attention, et là tu vois une droite qui lui fait de l’oeil. Tu reportes ton attention sur lui, avec un regard mi-interrogateur mi-réprobateur (forcément). « Dis-donc, Dédé, toi et la droite, là, vous seriez pas... ? ». Lui : « Non ! Bien-sûr que non ! Qu’est-ce que tu racontes ? ». Mais au moins une fois dans ta vie t’auras eu l’occasion de voir le Dédé virer au rouge. Puis t’oublies, parce que les élections approchent et y’a du boulot qui t’attend. Qu’est-ce qu’on peut être cons, parfois.

Pour être honnête, il y avait bien les « vieux du Parti » qui nous mettaient en garde. Cheminots, métallurgistes, ouvriers ou artisans. Les mains burinées aux ongles écaillées, la casquette vissée et la gitane (une marque de cigarettes de l’époque) pendouillant aux lèvres. Pas vraiment faits pour des discours à la télé. A leur époque, s’il fallait faire péter un train, quelqu’un disait « faut faire péter le train » et tu sais quoi ? Ben, le train, il pétait. Certains se faisaient fusiller en guise de représailles. Ce qui donnait aux autres une excuse pour retirer leur casquette.

Au fait, à quelle heure il passe, le prochain train ? Bon, en attendant, je vais en profiter pour...

Lettre aux générations présentes : au cas où vous ne le sauriez pas, une extrême droite est déjà au pouvoir.

Vous ne trouvez pas étrange de les entendre « combattre l’antisémitisme sous toutes ses formes » à Paris, et voir les mêmes soutenir sans l’ombre d’une hésitation des antisémites actifs et militants à Kiev ? Vous ne trouvez pas étrange d’entendre certains, ici en France, brandir sans cesse la « menace de l’extrême droite » alors que dans le même temps ils soutiennent l’extrême-droite au Venezuela... ? Les mêmes, hurler à la menace islamiste ici et armer les djihadistes là-bas ? Rien ne vous choque dans leur insistance à sortir le droits des gays où les droits de la femme tout en se faisant prendre en photo avec des rois du pétrole chez qui l’homosexualité est passible de la peine de mort et où un chameau de course a probablement plus de droits qu’une femme ?

Gays, femmes, juifs : quelque part, entre nous, n’avez-vous pas l’impression d’être un peu instrumentalisés ? D’ailleurs, maintenant que j’y pense, il fut en temps où l’immigré aurait figuré dans la liste. Mais c’était avant, lorsque le PS instrumentalisait (avec le recul, on peut le dire, non ?) la défense des immigrés. On a vu ce qu’il en est advenu.

Dans « extrême-droite », il y a droite et extrême. Alors prenez une politique de droite, et appliquez-la à l’extrême. Vous obtenez quoi, sinon une politique quasi-conforme à la politique actuelle du PS ? Si la même politique avait été menée par un autre parti, dans un autre pays, nous l’aurions qualifié d’extrême-droite. Alors, pourquoi pas ici ? A cause d’une phraséologie saupoudrée de pseudo-progressisme ? A cause du fait qu’ils chantent l’Internationale lors de leurs congrès ? Parce que le PS aurait une « aile gauche » ?

Brandir la menace d’une extrême-droite est probablement le meilleur moyen de cacher le fait qu’une autre extrême-droite est déjà au pouvoir, et qu’elle s’appelle le Parti Socialiste.

A ceux qui lèvent un sourcil d’incrédulité, je leur pose la question suivante : si une extrême-droite était au pouvoir, que pourrait-elle bien faire de plus que le PS n’a pas déjà fait, n’est en train de faire ou a prévu de faire (dès qu’on aura le dos tourné) ? Vous allez probablement me sortir toute la panoplie du racisme, de la xénophobie, de la répression, de la haine, etc. Erreur, car vous seriez en train de me parler d’une politique totalitaire, fasciste, que sais-je. Je vous parle de l’extrême-droite. Une droite, à l’extrême : pro-capital, pro-atlantiste, pro-sioniste, réactionnaire... Et sur le plan extérieur, que pourrait faire une extrême-droite de pire que le PS ? Déclarer la guerre à la Roumanie ? Désigner Tel-Aviv comme la nouvelle capitale de la France ? Fantasmes.

Je sais, vous êtes troublés car, quand même, le PS c’est (euh) l’antiracisme et (euh) l’opposition à l’antisémitisme et (euh) le mariage pour tous et (euh) le pistes cyclables.
Résumons :

S’il suffit de promouvoir la bicyclette pour être de gauche, alors le maire d’Amsterdam doit être un léniniste.

S’il suffit de condamner l’antisémitisme pour être de gauche, alors le maire de Tel-Aviv doit être un trotskiste.

S’il suffit d’être gay-friendly pour être de gauche, alors le maire de San Francisco doit être un maoïste.

Le PS se voit attribuer des galons « de gauche » sur des sujets qui ne constituent pas un clivage gauche/droite et ou le fait d’être de gauche (ou pas) est totalement hors propos. C’est comme si on délivrait un diplôme de médecine à quelqu’un qui aurait réussi un examen d’architecture.

Une extrême-droite est déjà au pouvoir et elle porte le titre Parti Socialiste. La question du jour n’est donc pas de savoir sil’extrême-droite prendra le pouvoir en France, mais si une autre extrême-droite succédera à celle-ci.

La gauche paralysée par l’alliance PS-Libertaire-Libérale

Quand avez-vous eu pour la dernière fois un véritable débat politique ? Je veux dire un vrai débat, pas une séance de psychanalyse où chacun cherche juste à s’affirmer, à avoir raison, à démontrer sa supériorité intellectuelle, sa pureté idéologique, son intégrité révolutionnaire ? Quand ? Personnellement, à part quelques amis proches, ça fait des années que je ne cherche plus à débattre avec cette bande de névrosés en France qu’on appelle « la » gauche.

La névrose étant contagieuse, toute la gauche a appris (gentille qu’elle est) à périphraser, à adopter son vocabulaire à celui du connard d’en face, à marcher sur la pointe des pieds autour de certains concepts, à se défendre sans cesse d’avoir des pensées troubles ou ambiguës, à tenter de paraître crédible aux yeux des médias, à parler poliment à table, à demander l’autorisation avant de la quitter...

Le terrorisme intellectuel de l’alliance PS-Libertaire-Libérale a réussi à discréditer les uns après les autres pratiquement tous les outils économiques et politiques qui pourraient servir (ou pas) à un véritable changement. Alors qu’il ne s’agit que d’outils qui, comme n’importe quel outil, peuvent servir à planter des clous ou à fracasser un crâne. Ce n’est pas l’outil qui est de gauche ou de droite, mais son usage. Le protectionnisme est-il de droite lorsqu’il nous épargne les sordides viandes aux hormones ? Le souverainisme est-il de droite lorsqu’il envoie paître les multinationales en leur rappelant que c’est le peuple qui gouverne et pas les conseils d’administration, ni le FMI ? Depuis quand le nationalisme est-il intrinsèquement de droite ? Depuis quand le patriotisme est-il intrinsèquement de droite ? A contrario, depuis quand une « Union Européenne » est-elle intrinsèquement progressiste ? L’autre union, l’Union Américaine, à savoir les Etats-Unis d’Amérique, est-elle progressiste ? L’a-t-elle jamais été ou le sera-t-elle un jour ? Si l’Union est un progressisme en soi, pourquoi l’Union Soviétique ne l’était-elle pas (selon eux) ?

Tout est devenu tellement tabou que le champ lexical et idéologique de la gauche a été réduit à une peau de chagrin tendue à l’intérieur d’un cadre étroit de « respectabilité » aux dimensions définies par les tenants du système. Et à la gauche de se débrouiller pour tenter de construire une politique « respectable » et « crédible » avec les quelques pièces du jeu de construction incomplet qu’on a bien voulu lui autoriser. Bonne chance.

« Il faut que ça pète ». « Ca va péter... » Combien de fois avons-nous entendu ces phrases ? J’espère sincèrement que ça ne « pètera » pas. Parce qu’avec les dirigeants politiques et syndicaux que la gauche se trimballe en ce moment, et l’état de ses organisations, je crains le pire. Ils ne seront tout simplement pas à la hauteur de la situation. Ce qui n’est pas forcément le cas de tout le monde. Le retour de manivelle risque d’être - comment dire ? - « efficace ».

Le boulevard ouvert par une extrême-droite à l’autre

J’aime bien discuter. Par exemple, chaque fois que je prends un taxi, j’engage une conversation avec le chauffeur - sur son travail, sa vie. Lors de ces conversations avec la vox-populi, mine de rien, j’apprends des tas de choses. Notamment, l’image de « la gauche » et les motifs des griefs. Le plus souvent, je n’ai rien à dire parce qu’il y a une profonde vérité dans les propos, même si le langage est fruste et la pensée élémentaire. Mais on apprend ceci : les gens, même s’ils ont du mal à formuler des analyses (un bien grand mot, en l’occurrence), ils ne sont pas aussi dupes qu’on pourrait le croire. Les double-discours, les deux-poids deux-mesures, sont perçus avec une relative clarté. Derrière une inculture politique, se cache quand même un certain bon sens, et surtout le sentiment profond que le jeu qui se joue dans l’arène politico-mediatique est devenu du grand « n’importe quoi ».

Autour de moi, maints militants de gauche, engagés dans un parti et/ou un syndicat, font des confidences qu’ils n’osent exprimer que dans l’ambiance de respect entre camarades de confiance. Ce trouble est souvent formulé à peu près en ces termes : « Je suis souvent d’accord avec Marine le Pen (ou Alain Soral, ou tout autre nom) ». Les discours des précités sont souvent qualifiés de « les plus cohérents » et « les plus justes ». Restent, évidemment, certains propos qui « ne passent pas ». Oui, mais, jusqu’à quand ?

Avant de critiquer le discours d’en face, il faut procéder à un examen précis du sien. Qualifier les discours de Marine le Pen ou de Soral de « haineux », pourquoi pas ? Mais comment qualifier alors la politique étrangère de la France ? Les interventions en Libye et en Syrie, sont-elles des déclarations d’amour ? La politique sociale mise en œuvre (dernière en date, le projet d’un gel du droit des salariés), est-elle une déclaration d’amour ? Si oui, envers qui ou envers quoi ?

Comme si les gens allaient tout supporter, tout endurer, tout accepter, tout gober en échange d’un badge « touche pas à mon pote ».

Les violences potentielles contenues dans des discours dits de haine sont littéralement écrasées et dépassées par les violences réelles commises par des politiques concrètes, défendues ou tolérées par « la » gauche. De telles contradictions, d’ordre abyssales, semblent passer inaperçues aux yeux de la classe politique en général. Le simple fait d’être incapables de les percevoir provoque de sérieux doutes sur leur santé mentale.

Etrangement, ce sont souvent ceux qui soulignent ces contradictions qui sont qualifiés d’extrême-droite, ou de rouges-bruns. De façon stupide, en laissant l’opposition aux guerres impérialistes être qualifiée d’extrême-droite, ce n’est pas l’opposition aux guerres qui a été diabolisée, mais le concept d’extrême-droite qui a été dédiabolisée. Eh ouais, c’est dur de diaboliser les adversaires de guerres injustes. Sauf à qualifier ces guerres d’humanitaires, et leurs opposants de suppôts de Satan. Mais j’ai un message pour tous les agents déguisés en antifas et chasseurs de rouges-bruns : même ma mère qui ne sait ni lire ni écrire comprend mieux que ça.
Et comme cela fait 30 ans que je vois « la » gauche trahir pratiquement toutes les luttes, toutes les révolutions, toutes les résistances, toutes les solidarités, je me demande ce qu’il vous faut de plus ?

Dans la même veine, à force d’étiqueter comme « extrême-droite » (ou populiste, ou... ) toute mesure politique (et pastechnique) concrète d’alternance, « la » gauche a fini non pas par diaboliser le concept, mais par dédiaboliser le porteur. En tentant de tuer le message dans l’oeuf, le messager est devenu une rock-star.

Le FN, qui a très intelligemment manoeuvré, apparaît – et, dans une certaine mesure, à juste titre – comme le seul parti à ne pas faire partie du « système ». Un parti donc « honnête ». Que répondre à cela ? Que le FN est xénophobe ? La vox-populi n’y croit qu’à moitié, s’en fiche un peu ou y adhère, mais préférera de toute façon un « parti xénophobe honnête » à un parti « anti-xénophobe malhonnête ». Pire encore : la xénophobie du FN se retrouve en quelque sorte « blanchie » parla propreté supposée du FN. Combattre le FN avec des « axes républicains » composés en grande partie de républicains à la noix a été une erreur monumentale. La vox populi est souvent muette mais plus rarement aveugle.
Il y a un an, j’écrivais :
(...) le Front National est probablement plus proche du pouvoir qu’on ne le pense en général, car il lui suffirait de "franchir le Rubicon" sur quelques questions sociétales (nous avons vu que ça mangeait moins de pain que les étrangers) pour que sa fréquentabilité explose et que les appels incantatoires contre son racisme et sa xénophobie perdent leurs derniers pouvoirs de résistance.
La quarantaine imposée au FN a finalement eu un résultat inattendu : Isolé qu’il était, le FN se voit épargné par l’épidémie de désaffection qui frappe de plein fouet la classe politique. Cela dit, si la mauvaise nouvelle des élections européennes est le score du FN (ainsi que le score de la gauche non-PS), la bonne nouvelle est celle du score du PS. Car c’eut été désespérant de voir les Français voter encore pour le PS. Il y a toujours de l’espoir dans une prise de conscience. Reste à savoir comment elle évoluera.

En attendant, la réaction de « la » gauche a été aussi prévisible qu’incohérente : un appel à manifester contre le FN. Manifester contre le résultat électoral d’un parti politique légal est pour le moins incongru. S’agit-il de montrer que le peuple rejette le FN ? Il y a des élections pour ça. Faire une démonstration de force et/ou une opération d’intimidation ? Aux dernières nouvelles, la manoeuvre a raté. Non, décidément, le truc ne marche plus et nous étions nombreux à le prévoir (tout en nous faisant traiter de fachos en retour).

Pendant ce temps, à la périphérie des partis traditionnels, on a vu naître et grandir toute une nébuleuse de mouvements, médias, courants qui se sont engagés dans une forme de dissidence plus ou moins ouverte. Cette nébuleuse est composée littéralement de tout. Fidèle à sa tradition d’être en retard d’un train ou deux, « la » gauche, avec l’assistance enthousiaste de l’axe Socialiste-Libertaire-Libérale, s’est contentée de suivre la ligne du politiquement correct, en qualifiant toute cette nébuleuse des noms d’oiseaux habituels. Pour certains, ces noms sont justifiés. Pour le reste, la nébuleuse n’est que le reflet de la pagaille politique ambiante à laquelle « la » gauche a largement contribué. On y trouve de nombreux militants ou sympathisants, actifs, sincères, idéalistes mais qui présentent, c’est vrai, un caractère assez énervant... Ils sont irrespectueux des étiquettes et du politiquement correct. La notion de gauche/droite ne leur inspire pas grand chose. Ils sont a-politiques dans le sens où ils ne prennent pas parti pour un camp précis, mais picorent partout où la raison semble régner. On peut invoquer toutes les lacunes politiques que l’on veut (en évitant au passage de désigner des coupables), mais le résultat est là. Ils n’étaient pas d’extrême-droite et même lorsqu’ils l’étaient, ils l’étaient nettement moins (et pour de « meilleures raisons ») que les caciques actuels du PS.

Remarquez que j’ai commencé à rédiger le paragraphe précédent en conjuguant les verbes au présent, et je l’ai terminé en conjuguant au passé. Il est probablement trop tard. Dommage. Ah... Si la gauche avait été un tantinet moins arrogante et moins stupide... et tendu un tout petit peu plus l’oreille...

Moi, par exemple, si j’avais grandi dans cette France-ci, et si j’étais placé devant le choix entre, d’une part, un mouvement qui soutient les bombardements de populations civiles et le mariage pour tous (appelons le « la famille PS-Charlie Hebdo ») et, d’autre part, un mouvement qui s’oppose aux bombardements de populations civiles et au mariage pour tous, je choisirais probablement ce dernier. Question de priorités. A l’inverse, ceux qui reprochent plus le rejet du mariage pour tous que le bombardement de populations civiles, ou qui disent des trucs du genre « oui, certes, les bombardements, mais il y a aussi le mariage pour tous »... Un tel nombrilisme culturel, un telle incapacité à établir la moindre échelle de priorités cohérente, une telle indécence relève probablement plus de la psychiatrie que de politique. Et c’est pourtant ce genre de raisonnement qui pullule dans tout le discours de « la » gauche.

En ce qui me concerne : j’ai plus de respect pour celui d’en face qui combat l’impérialisme tout en s’opposant au mariage pour tous (ce qui est son droit), que le couillon de service socialo-liberalo-gauchiste qui me cassera les pieds avec son mariage pour tous tout en applaudissant aux tirs de missiles. Si quelqu’un est d’extrême-droite sur ce coup-là, c’est bien le couillon de service. (Et mon ami Maxime Vivas me suggère de préciser ici quelque chose, "Sinon les gens risquent de comprendre..." . C’est justement un autre de ces problèmes que je supporte plus. Ceux qui comprennent ce qu’ils veulent comprendre et pas ce qui est écrit. A quoi bon ? Cela n’a jamais empêché une intellectualoïde patentée de la gauche de traiter d’antisémite un texte qui disait exactement le contraire. Arrivé à ce stade, je considère que le problème n’est plus chez moi, mais chez l’autre.)

Il me semble donc que le premier clivage n’est pas (ou plus) un clivage vertical gauche/droite, mais un clivage horizontal qui sépare les pratiquants d’un paraître (version conservatrice : TF1, Le Figaro, L’UMP ; ou version progressiste : Canal+, Libération, le PS) et ceux qui aspirent à... autre chose.

L’exaspération est telle que nous pourrions être dans une sorte de période « pré mai-68 », mais version soft, pantoufle et salon, et c’est le FN (avec cette ironie dont l’histoire a parfois le secret), qui symbolise le pavé. Et tant que le FN arrivera à symboliser ce pavé, il se maintiendra. Je ne crois pas que l’on assiste à une adhésion massive à ses idées, mais plutôt à une adhésion massive à ce symbole. Et comme on ne discute pas de l’intelligence d’un pavé, ni de son programme... un certain dépassement de clivages, ou consensus silencieux, s’opère. La désaffection à son égard pourrait donc s’opérer assez rapidement si le pavé se révélait inefficace ou contre-productif. Ou si la population déchaînée trouvait une autre arme de destruction massive plus convaincante (suivez mon regard). Une chose me paraît claire : toute tentative d’accommodement avec le camp du paraître sera vouée à l’échec. Oui, le FdG aurait pu être une alternative. Mais il est parti de trop loin (trop d’accommodements passés) et trop tard. Mais rien n’est joué.

Tout ça pour des alliances électorales avec une extrême-droite que se dit de gauche. J’ai vraiment hâte d’entendre ce que les générations futures auront à dire. J’espère qu’elles seront moins méprisantes avec nous que nous ne l’avons été avec celles qui ont précédé.

Sur une vieille photo prise pendant la deuxième guerre mondiale, on voit un homme anonyme vêtu d’une chemise blanche attaché à un poteau. Un peloton d’exécution nazi le tient en joue. L’homme à la chemise blanche sourit. Je me suis longtemps demandé pourquoi il souriait.

Ce qui me fait penser que...
Cher vous,
je disais donc que :
Dans ma cellule, au PCF, il y avait un de ces « vieux militants ». Difficile de trouver plus caricatural. Genre classe ouvrière version Front Populaire. Il portait son sempiternel bleu de travail usé, de gros godillots en cuir ridé et un béret noir. Ses ongles étaient noirs. Son regard aussi. Appelons le Henri.
J’adorais prendre Henri pour cible lors de ces réunions où je brillais par mes traits d’esprit, menant la vie dure à tous ces Staliniens de service. Henri gueulait lorsque je me présentais aux réunions avec des revues gauchistes. Je le traitais de vieux con. Lorsque les débats traînaient un peu, Henri entrait en somnolence et sa tête se penchait de plus en plus vers l’avant. Une fois sur deux, voûté sur sa chaise, son front heurtait légèrement la table en bois. Ca me faisait toujours rire.
Henri me détestait et il faut bien dire que le sentiment était réciproque.
Henri avait commencé à travailler à l’age de 16 ans. Il avait connu la Guerre. Il travaillait plus de 45 heures par semaine. Il allait travailler en mobylette, qu’il vente ou qu’il neige, avec sa gamelle accrochée au guidon. Sa femme était morte d’une longue maladie. Henri n’avait pas eu d’enfants. A de très rares occasions, il m’était arrivé de me rendre chez lui, pour récupérer du matériel ou parce qu’une réunion s’y tenait. Henri vivait dans une deux pièces qui suintait l’ennui, le conformisme. Meubles en formica, napperon sur la table, protège-tête sur les fauteuils. Chez Henri il n’y avait qu’un seul bol, une seule assiette, un seul verre. Tout le résumé d’une fin de vie en solitaire. Henri n’avait rien d’un flambeur.
Quant à moi, j’avais à peine vingt ans, j’étais jeune, j’étais beau, je gagnais déjà trois fois son salaire, et j’étais un parfait petit con.
Henri a tout juste réussi à atteindre l’age de la retraite avant de nous quitter définitivement. Je dois avouer que je n’ai pas été à son enterrement et je ne crois pas qu’il y avait beaucoup de monde présent ce jour-là.
Henri avait participé à la résistance anti-nazie. Henri avait risqué les plus belles années de sa vie pour m’offrir le luxe de me pointer avec des revues gauchistes et de me foutre de sa gueule. Le plus étonnant, c’est que Henri ne m’ait jamais craché à la figure. Henri avait tout d’un perdant à cette époque-là , mais la vérité est que c’est lui qui a finalement gagné. Je repense souvent à lui. J’aimerais pouvoir retourner dans le passé, attendre le moment précis où sa petite tête grise s’approche dangereusement de la surface de la table et là, d’un geste ample et fier, tel un mousquetaire du Roy posant sa cape sur une flaque d’eau pour protéger les fins chaussons d’une belle, j’aurais glissé un petit coussin. Oui, dors en paix, Henri, tu l’as bien mérité. L’Histoire t’acquittera, toi aussi.
EPILOGUE
Dans les tumultes des courants réactionnaires qui balaient l’Europe, il s’accroche à une branche et pense à Brecht qui disait qu’on parle toujours de la violence des eaux d’un fleuve, mais jamais de la violence des rives qui l’enserrent. Il se débat mais ne crie pas, ne gesticule pas, ne panique pas. Il tend l’oreille aux variations du courant, attentif au moindre signe de reflux. Parfois, sous l’emprise de la fatigue, l’idée l’effleure de tout lâcher. Mais il sait qu’il ne peut pas, ne doit pas et ne le fera pas. Car la branche n’est pas morte, elle est verte et souple et ne cède pas. Comme une main tendue, elle est le prolongement d’une autre branche, plus grosse, qui elle-même surgit d’un tronc épais, fermement planté sur une rive au-delà de la rive. Une rive où « No Pasaran » n’est pas juste un coup de gueule, mais aussi un énorme cri du cœur.

Viktor Dedaj

« ouf, je me sens déjà mieux »