mercredi 21 septembre 2011

Demain l'apocalypse? - Conférence de Michel Drac

gal_6278.jpgUn rapide tour d’horizon, pour ouvrir le débat. Aucune technique financière : nous allons résumer la situation sans entrer dans les détails. On pourra le faire dans les questions, si vous le souhaitez.
La crise actuelle n’est pas une simple crise d’ajustement. Ce n’est pas une crise comme celle de la fin des années 50, comme celle des années 70, comme celle de 1993. Selon les points de vue, on peut la regarder comme un effondrement civilisationnel, un coup d’Etat ou une crise du sens.
Effondrement civilisationnel, j’ai presque envie de dire religieux, parce que ce qui implose, c’est une religion, une religion qui servait de soubassement à une civilisation : la religion du Progrès. Cette religion annonçait que l’humanité fabriquerait elle-même le Millenium, le millénaire d’or, par la technoscience et le développement quantitatif indéfini.
Coup d’Etat, parce que les « élites » de cette civilisation défunte vont tenter de sauver leur rêve, jadis fait pour toute l’humanité, en le restreignant en gros à elles seules, et, disons, à une minorité qui leur sera associée – ceux qu’un Jacques Attali appelle les hypernomades.
Crise du sens, enfin, si l’on remonte aux interprétations les plus hautes, parce que derrière la religion du Progrès, ce qu’il y avait, c’était une certaine façon de concevoir l’élaboration du sens dans le cerveau global des grands systèmes fédérateurs – une élaboration du sens par la quantité.
Cette crise, ou plutôt cet effondrement, a commencé en réalité depuis plusieurs décennies.  La réalité a été cachée depuis plusieurs décennies par la combinaison de la virtualisation, de la croissance fictive par endettement et d’une confusion savamment entretenue entre un moment dans l’Histoire, la croissance de la Chine et de l’Inde comme source de la consommation occidentale, et une réalité structurelle : la chute de l’Occident comme pôle dominant dans le monde. L’ensemble de ces artifices avait fini par fabriquer une sorte d’hologramme, une représentation fictive tridimensionnelle, dans laquelle nous évoluions en affectant de ne pas voir la réalité.
Ce qui se passe depuis 2007, c’est la panne progressive de cet hologramme. L’hologramme est en train de grésiller, de trembloter. Il est encore en état de fonctionnement, mais on devine déjà qu’il va se dissiper. Déjà, des pans s’effondrent. Il faut en toute hâte les réactiver en sacrifiant d’autres pans. C’est la fin.
Depuis 2007, les dirigeants font semblant de diriger un système encore vivant. En réalité, il est mort. Depuis 2007, ils maintiennent coûte que coûte l’hologramme. Mais on approche du moment où l’hologramme va disparaître, révélant le réel qu’il dissimulait.
C’est pourquoi le moment de décision approche. Quand l’hologramme disparaîtra, le réel obligera à prendre de vraies décisions, parce qu’il faudra bien décider de ce qu’on fait pour gérer la catastrophe.
C’est pour bientôt.
Quand exactement ?
Vraisemblablement, quand les cautions en dernier recours vont reconnaître leur incapacité à garantir les masses d’actifs fictifs qui constituent l’essentiel de la fausse richesse actuelle. C’est à mon avis une affaire de mois, au plus un ou deux ans, avant qu’on entre dans le vif du sujet. La disparition complète de l’hologramme pourrait bien durer encore quelques années. Mais le moment où des pans vont commencer à disparaître sans remède est proche.
Je prends quelques risques en disant cela. Il faut garder en tête que le système actuel nous communique des informations comptables totalement biaisées, ce qui fait qu’on a beaucoup de mal à prévoir exactement ce qui va se passer à quel moment. Mais il semble bien qu’on soit proche de la rechute décisive, de l’instant où, après que les Etats ont sauvé les banques, les Etats eux-mêmes seront en faillite.
A mon avis, et à mes risques et périls, je dirais : la Grèce en faillite avant la fin de l’année, l’Italie et/ou l’Espagne avant la fin 2012.
Pour les USA, je pense qu’il n’y aura pas de faillite avouée, puisqu’on est dans un système monétaire différent, qui reste souverain bien que n’étant pas public – il y a une souveraineté à New York, mais ce n’est pas celle du peuple américain, c’est la souveraineté privée de la FED. Mais même aux USA, il y aura une faillite de facto, à travers une stagflation très dure, voire, si le système échappe à son propre contrôle, une hyperinflation.
Pour la Grande Bretagne, il est difficile d’être précis, tant la City joue un rôle spécifique. Sa base territoriale est gérée par la finance globale selon des critères particuliers et opaques. En tout cas, sur le plan de l’économie réelle, on ne voit pas comment la Grande-Bretagne pourrait éviter un naufrage complet.
Pour la France enfin, elle sera attaquée prochainement, et il est très probable qu’elle se trouvera tôt ou tard en situation de défaut technique. L’organisation de cette faillite française est tout à fait dans les cordes des « marchés financiers », c'est-à-dire en fait de quelques institutions anglo-saxonnes, ou disons basées dans le monde anglo-saxons. Des institutions qui pilotent en réalité l’évolution des marchés.
Ce qui va se passer ensuite, c’est que, d’abord, les pays touchés vont connaître une situation comparable à celle de la Grèce actuellement – une austérité insupportable, soit par disparition de l’Etat social, soit par une fiscalité écrasante, soit un mélange des deux. Ensuite, les super-souverains eux-mêmes (FMI, BCE) se reconnaîtront impuissants dans le cadre de leurs pouvoirs actuels. Il est probable qu’ils vont dans ces conditions ou cesser d’exister, n’avoir plus qu’une existence fictive, une apparence en quelque sorte, ou au contraire chercher à étendre indéfiniment leurs attributions, dans une fuite en avant. Tout indique qu’ils choisiront cette deuxième voie.
C’est là que les classes dirigeantes devront prendre des décisions. Fini la gestion par l’hologramme. Il va falloir agir dans le monde réel.
*
Quelles sont les décisions possibles ?
En gros, il y a quatre voies que les classes dirigeantes  actuelles peuvent suivre.
Commençons par dire qu’elles ne suivront pas la voie qui devrait être suivie. Ce dont nous aurions besoin, c’est tout simplement de refonder une civilisation nouvelle. Mais les classes dirigeantes actuelles sont incapables d’accomplir la révolution mentale nécessaire pour une telle refondation.
Ce n’est pas que les individus qui les composent soient stupides. Lire à ce sujet, par exemple, Luc Ferry, ou même Attali, qui est monstrueux par certains côtés, mais qui a manifestement pris conscience des vrais enjeux. C’est tout simplement que le fonctionnement du cerveau global constitué par ces élites est paraphrénique ; la réflexion tourne en circuit fermé, c’est un auto-cautionnement. Ce cerveau global est incapable de se confronter au réel. Il est fou, si vous voulez. C’est comme ça, c’est une dynamique holistique qui dépasse les capacités d’action des individus qui composent le collectif.
Restent trois voies possibles, dans le cadre de la paraphrénie institutionnelle de nos classes dirigeantes. Trois voies qui visent à sauver une civilisation défunte – la civilisation capitaliste pour faire simple.
Première voie : la dictature sans la guerre. Deuxième voie, la guerre limitée et la dictature. Troisième voie : la guerre totale et la dictature.
Dans tous les cas, au programme : la dictature.
Il est évident que les classes dirigeantes actuelles ne pourront pas faire avaler aux peuples le passage à la forme dégradée de l’idéologie du progrès. Cette forme dégradée, comme je le disais, visera à sauver le principe idéologique du Millénium par l’action de l’humanité sur elle-même, en restreignant le Millénium aux soi-disant « élites ». En d’autres termes : pour l’élite, le paradis selon Jacques Attali, et pour les autres, l’alignement rapide des classes moyennes et populaires occidentales sur les standards chinois et indiens, peut-être un peu améliorés.
Impossible de faire avaler cela aux peuples dans un cadre démocratique.
Il y aura donc la dictature. C’est pourquoi on peut dire : crise ou coup d’Etat ?
Cette dictature ne sera probablement pas une dictature comme celle du temps jadis. On a beaucoup progressé, si j’ose dire, dans l’art de fabriquer le consentement des populations. Les formes extérieures de la démocratie seront probablement sauvegardées, mais en réalité, les dirigeants élus ne décideront plus grand-chose. Pour occuper le terrain, on leur laissera le sociétal (adoption par les couples gays, développement des mères porteuses, etc.). Sociétal en outre utilisé pour détruire les formes collectives capables de s’opposer au pouvoir en secrétant un cerveau global distinct de celui construit par les oligarchies. C’est la poursuite des tendances actuelles, mais considérablement renforcées.
La gestion sera située au niveau d’institutions technocratiques entre les mains, en pratique, du capital globalisé. Les super-souverains étant devenus incapables de jouer leur rôle dans le cadre actuel de leurs attributions, on va les transformer en garde-chiourme, en instances supranationales qui, en pratique, décideront sur toutes les variables économiques réelles. La BCE, par exemple, pourrait devenir le bras armé d’un gouvernement économique européen piloté par la commission de Bruxelles, avec le droit d’encadrer toutes les décisions des ministères des finances nationaux.
On y est presque déjà, d’ailleurs. L’Union Européenne est en train de se transformer en machine à dresser les peuples européens les uns contre les autres. Avec l’Allemagne  dans le rôle du bon élève et du méchant professeur. Ne vous y trompez pas : c’est un pur jeu d’acteur. Le véritable ennemi n’a probablement pas de base territoriale stable – et s’il en a une, ce n’est pas Berlin.
Enfin, bref, voilà un choix déjà fait : la dictature. La « crise » est orchestrée pour servir de prétexte à un coup d’Etat.
Reste la variable sur laquelle le moment de décision approche : la guerre.
Au-delà d’une crise du système financier, ce qui commence, c’est un effondrement civilisationnel, la fin d’un mythe progressiste quantitatif, la fin d’une manière de construire le sens uniquement par le quantitatif. Cet effondrement provient du fait que le système industriel contemporain ne peut pas étendre son mode de fonctionnement à une humanité de neuf milliards d’hommes. Si Chinois et Indiens consomment comme des Américains, la terre est plusieurs fois trop petite, tout simplement.
Une parenthèse : on m’objectera ici que des perspectives  technologiques peuvent changer la donne. Energies nouvelles, fusion, etc. A ce stade et sous réserve d’informations nouvelles, je préfère quant à moi m’en tenir à ce que me disent les ingénieurs et scientifiques de ma connaissance : au-delà des fantasmes, dans le réel, les contraintes énergétiques et écologiques vont peser de plus en plus lourd. Il reste des marges de progression dans les univers virtuels. Mais dans l’univers matériel, le pic pétrolier est une réalité – on pensera ici à la levée de toutes les restrictions sur le forage off shore en 2008, aux USA, juste après le début de l’effondrement financier, et à la marée noire dans le golfe du Mexique. Il  y a là un enchaînement de faits apparemment disjoints, mais dont l’enchaînement, précisément, donne à réfléchir.
Revenons à la question de la guerre.
Si vraiment la civilisation de la quantité, c'est-à-dire de la croissance, est incompatible avec l’émergence d’une humanité entrée massivement dans l’ère industrielle et consumériste, les classes dirigeantes occidentales ont trois options : accepter cette émergence, et donc gérer l’alignement brutal des niveaux de vie occidentaux sur ceux des pays émergents, pour les masses du moins ; refuser cette émergence en essayant de mettre la main sur les ressources en matières premières et énergétiques avant que l’avantage stratégique militaire occidental ait disparu ; ou alors, détruire purement et simplement les économies rivales, par la guerre totale.
Quand on y réfléchit attentivement, ces trois options sont toutes les trois absurdes du point de vue du bien général. C’est pourquoi on peut dire : crise économique ou crise du sens ? De toute manière, la façon dont le sens est construit dans la civilisation actuelle nous conduit droit dans le mur.
La première option, pas de guerre, imposera une sorte de relégation d’une grande partie de la population dans un univers de croissance quantitative virtuelle, puisque c’est là qu’il reste des territoires de croissance. Cela suppose une économie de pénurie dans le monde réel, mais une débauche de distractions virtuelles. Toute la question est de savoir si les classes dirigeantes estimeront qu’elles ont les moyens, par le virtuel, de rendre la situation supportable, pour les populations, dans un cadre non démocratique mais préservant les apparences.
La deuxième option, la guerre limitée pour s’emparer des matières premières, consiste en gros à alléger le poids de l’ajustement supporté par les peuples jusque là riches, en leur réservant une bonne partie des futures capacités de production, ou en tout cas de consommation. Dans ce cas, il faut s’attendre à une décennie d’opérations conduites sur le modèle de ce qui vient de se passer en Lybie. C’est à mon avis le plus probable. En tout cas, c’est semble-t-il ce vers quoi les classes dirigeantes occidentales sont en train de se diriger.
Enfin, il y a la troisième option : la guerre totale. Ce peut d’ailleurs être une option forcée, si la guerre limitée dérape. A priori, cela paraît impossible. Mais nous ne savons peut-être pas tout concernant les armements stratégiques dont dispose l’Empire occidental. On ne peut pas non plus exclure une décision allant dans le sens d’une diminution brutale de la population mondiale, par un mélange de guerre inter-étatiques et de guerres civiles métalocales, sur le modèle esquissé par Huntington dans son choc des civilisations, mais appliqué, sans la finesse de Huntington, par des brutes néoconservatrices.
Attention, je ne dis pas que c’est le plan. Je dis qu’il faut avoir conscience du fait qu’il peut y avoir des gens, dans les milieux dirigeants, qui ont ce type de plan en réserve, parce que nous savons que ces gens ont l’idéologie pour justifier ces plans. Se souvenir ici que le capitalisme est, depuis l’origine, une entreprise de prédation d’une partie de l’humanité sur le reste ; et se souvenir que dans le monde de demain, au fond, les masses ne servent plus à grand-chose du point de vue de leurs maîtres.
*
En conclusion, que dire ?
Le moment de décision pour les classes dirigeantes sera aussi un moment de décision pour nous tous.
De toute manière, nous savons que cette « crise » est un coup d’Etat. Et nous subodorons qu’elle sera aussi la porte ouverte vers la guerre. Alors que faire ?
Deux voies sont généralement évoquées : la révolte des nations ou la gouvernance globale, pour parler comme Alain Soral. On peut poser le problème ainsi, mais alors, ce qu’il faut bien comprendre, c’est que la révolte des nations, en Europe du moins, ne prendra certainement pas une forme révolutionnaire du passé. Les peuples tunisiens et égyptiens ont pu se débarrasser de leurs dictateurs en suivant un schéma révolutionnaire très classique, très 1789. Mais ce sont des peuples jeunes, avec beaucoup de jeunes gens qui sont, justement, à l’âge où l’on fait les révolutions. Et ces peuples jeunes étaient confrontés à des dictatures, si j’ose dire, à l’ancienne.
Chez nous, c’est très différent. D’une part, nous sommes des peuples vieux. L’âge moyen en France est de 40 ans. Dans certains pays européens, c’est encore plus élevé. Or, si à 20 ans, on fait la révolution dans la rue, à 40 ans, c’est différent.
Bref, si par « révolte des nations » on imagine des  foules  dans la  rue et une émeute qui prend d’assaut l’Elysée, je n’y crois pas – et quand bien même cela arriverait, il n’en sortirait rien de durable. De toute manière, le Pouvoir n’est plus à l’Elysée.
Dans les pays occidentaux, les capacités de l’oligarchie à préempter toute forme de contestation ont atteint une quasi-perfection. La fabrique du consentement est désormais une usine zéro défaut. Avant même que vous ne pensiez, mes chers amis, le Pouvoir a déjà implanté en vous les catégories qui prédéterminent votre pensée. Et c’est tout un travail à accomplir sur soi pour se libérer de ce conditionnement. Nous sommes arrivés au point où le Pouvoir connaît le peuple mieux que le peuple ne se connaît lui-même. L’ingénierie sociale que nous subissons est d’une perversité extraordinaire. C’est bien, bien plus fort que les dictatures à l’ancienne.
Alors, me direz-vous, c’est fini ? Il n’y a plus qu’à subir la dictature, voire la guerre ?
Non, pas nécessairement. Une révolte est possible, mais elle doit adopter une forme postmoderne pour affronter des dictatures postmodernes.
Point crucial : il y a des monstres, des psychopathes, parmi les individus qui forment nos classes dirigeantes. Mais il n’y a pas que cela. Je pense que les individus qui forment nos classes dirigeantes ne sont pour la plupart pas mauvais en tant qu’individus. Je pense que c’est le cerveau global qu’ils forment qui est mauvais, parce qu’il est fou. C’est lui qui rend mauvais les individus qu’il intègre.
Si nous construisons une alternative à ce cerveau global, alors les individus qui se trouvent à l’intérieur du système, parfois à de hauts niveaux de responsabilité, vont pouvoir penser autrement, eux aussi. Souvenons-nous qu’une grande partie des oligarchies actuelles vient du monde d’avant, du monde de la démocratie, ou en tout cas de l’essai de démocratie, du monde de la nation, de la patrie. Par exemple, les officiers de l’armée française n’ont pas fait Saint-Cyr pour défendre Lazard Frères et Goldman Sachs. Une partie non négligeable des grands corps de l’Etat est malgré tout restée à peu près saine. Je pourrais, si je ne craignais pas de leur nuire, vous citer des polytechniciens qui pensent à peu près comme moi. Pas d’énarque, il est vrai. L’ENA, apparemment, ça ne pardonne pas…
Bref, revenons au fond du débat. Il est temps de conclure. A un certain moment, il faut sortir de l’analyse et entrer dans la proposition d’action.
Voilà ce que je propose : il faut former un cerveau global parallèle. Un cerveau global de la dissidence, si vous voulez. Un cerveau global qui, lui, sera capable de résoudre la crise du sens, en inventant une nouvelle façon de construire le sens dans les systèmes fédérateurs humains.
Et je suis persuadé que nous pourrons compter sur une certaine tolérance de la part des individus qui forment les classes dirigeantes, si nous allons dans cette direction, parce qu’il se trouve parmi eux beaucoup de gens qui se rendent compte du caractère monstrueux du monde qu’ils sont en train de produire collectivement. Nous devons être très attentifs à ce qui se passe à l’intérieur des classes dirigeantes. Il faudra savoir pousser les monstres à se dévoiler, pour que les individus sensés prennent la mesure des risques que l’humanité affronte.
Je crois que c’est là-dessus qu’il faut jouer. A mon avis, c’est la seule lueur d’espoir : non pas contre le système, mais en dehors, pour agir dessus depuis l’extérieur.
Toute la question étant de savoir comment fabriquer l’identité de ce cerveau global dissident…
Et c’est sur cette question que je conclurai.

vendredi 2 septembre 2011

La Francité révolutionnaire


Dieu se rit des gens qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes, disait un jour Bossuet. Ce dicton fort de sens est devenu avec le temps plus qu’une thématique propre aux inconséquents et aux simples d’esprit, mais la thématique générale de notre temps. Ces gens si instruits et si surs d’eux que l’on appelle élites, en font une sorte de carrière et n’ont de cesse de se tromper sur tout. Depuis bientôt près de 50 ans qu’ils nous répètent que l’émancipation des peuples ne peut que s’incarner dans l’individualisme le plus total et la supranationalité, tout en se plaignant de la désagrégation morale et de la paupérisation qu’elles impliquent. Cette situation, loin d’être une erreur de jugement, est l’incarnation parfaite de ce genre d’idée fleurissant toujours dans la tête de mauvais lecteurs de Machiavel. Cette idée que l’on pourrait même appeler mystique, est celle maintenant bien connue du dépassement de l’État forcement injuste en contrepartie du droit inaliénable de se comporter comme des bêtes. Cette mystique, c’est celle du monde globalisé des banquiers, des cosmopolites et des commerçants du vice. Ce monde, notre cauchemar, est celui à notre porte, celui où tout est permis, mais où rien n’est possible… ce monde c’est le mondialisme!         

Ce système est fort, très fort, car il se nourrit de notre lâcheté et de notre manque de foi en l’avenir. Mais parfois, il arrive que de la léthargie naît quelque chose de bien, comme un peu de lucidité sur le passé, le présent et l’avenir.  Ultimement, peut-être même un peu d’espoir de voir un jour ce monde s’écrouler sous ses contradictions et voir enfin apparaître quelque chose de mieux… quelque chose comme un grand peuple pourrais-je même dire! Je l’évoque, car je le crois, le Québec connaît les méandres des grandes noirceurs et des espoirs étouffés. Ce qui fait que de par notre Histoire, nous avons un angle de vue permettant d’anticiper le futur des peuples encore trop ébloui par leur glorieux passé et dont les actions présentes inspirent le début de la décadence. Inutile de préciser que de tous les peuples qui semblent girent étouffé sous leurs grandeurs, et qui nous laisse le moins indifférent, est bien sûr le bon peuple français. Ce peuple, qui fut génétiquement le nôtre un temps et qui nourrit encore en nous un mélange d’admiration et de ressentiment, est maintenant en danger comme nous le fûmes la fameuse date qui créa le ressentiment précédemment évoqué (1763). Depuis cette triste époque, l’esprit de résilience est la force tranquille dont nous avons fait usage afin de survivre à ces années difficiles. Moins glorieux et certainement moins romantique que l’idéalisme révolutionnaire de nos cousins, cet esprit reste tout de même très adapté aux situations de survies que doivent surmonter les peuples à cette heure où les forces de jadis deviennent presque des faiblesses par la puissante osmose que provoque le capitalisme financier.

Tous ceux qui connaissent la France moindrement, savent qu’elle fut l’une de ces terres où le politique fusionna avec le philosophique et la morale. Sa grandeur culturelle, son ancienneté ainsi que sa diversité n’y sont pas pour rien et il n’est aucunement bête de croire que cette composition fût la recette d’un certain messianisme qu’elle incarna magnifiquement dans son Histoire récente. Mais enfin, il n’est douteux pour personne désormais que la France est passée de l’idéal de jadis à l’idéologie la plus extraordinairement totalitaire, ce qui la fait maintenant se nier. Un peu comme un homme ne voulant plus se voir comme tel, mais que comme une part éclairée de la globalité. Notons qu’une abstraction, aussi extrême, ne peut à terme qu’être révolutionnaire au sens même de son existence. L’idée derrière ce propos est qu’à force de s’élever dans la grandeur on peut finir par oublier sont essence et se prendre pour l’universel, ce qui ne peut à terme que causer des problèmes fort fâcheux au niveau du politique. De plus, il est aussi certain que dans le contexte de défaites et de déclin, l’envie de se prendre pour l’universel (ou plutôt, se perdre dirais-je même) se fait encore plus sentir comme réflexe de défense face à cette triste réalité. Le Québec, comme petite nation toujours sous tutelle, en connaît quelque chose en frais de défaite et connaît aussi très bien le réflexe messianique que provoque cet état. D'ailleurs, nous le connaissons d’autant bien que nous en vivons un particulièrement fort depuis 1995 (date de la dernière défaite de l’indépendance). Cet état n’est, par contre, en rien aussi incroyable que celui que connaissent les Français, car n’ayant jamais connu l’ivresse de la gloire mondiale, ce qui nous rend évidemment moins aveugles à certaines réalités concrètes de l’Histoire, comme celle de notre propre disparition. Enfin, tout ça pour dire que rien n’est moins vrai que de croire que le but de mon propos est de faire une quelconque morale à nos bien-aimés cousins. Mon but est simplement de faire valoir l’idée d’une complémentarité culturelle qu’il nous serait plus que temps d’exploiter afin d’en finir avec cet état messianique et hypocrite qui nous a déclaré la guerre.         

L’idée que je crois indispensable à l’avenir que nous chérissons, est celle de la « francité ». Ce concept, comme vous l’avez probablement deviné, n’est pas la francophonie, même si elle n’y est pas hostile non plus, elle est seulement autre. La francophonie étant une création héritée de l’ancienne grandeur de la France, autrement dit le colonialisme, elle n’est pas nécessairement en phase avec des réalités identitaires propres à la francité. Tout le monde sait bien qu’un grand nombre de peuples parle le français tout en ne se sentant aucunement lié à la France, au sens de la filiation. On peut agiter autant que l’on voudra la rhétorique universaliste, il est clair que l’abstraction à elle seule ne peut venir à bout du sentiment légitime de domination que vivent des populations n’ayant que la langue et la fonction publique comme point en commun d’avec la ou l’ex métropole. Par contre, certains lieux de la francophonie ont la francité comme constituant et cela rend l’avenir plus prompt aux alliances qu’au ressentiment.    

C’est essentiellement cette situation qui donne aux relations franco-québécoises toutes leurs singularités. Une francité qui crée non seulement un sentiment de solidarité, mais qui en plus nous offre des possibilités de synergies. Cette synergie, à laquelle je fais allusion, est surtout basée sur l’exploitation de nos différences et ressemblances, car n’ayant pas les mêmes défauts et qualités propres à nos Histoires, il nous est possible de s’appuyer sur celles-ci afin de mieux construire notre futur. Comme exprimé plus haut, l’avenir est sombre et nécessitera des efforts considérables si nous voulons que les générations futures puissent connaître des jours meilleurs. Alors, le combat de demain devra demander les deux qualités que nous avons, soit l’esprit de résilience et de grandeur. L’alliance entre les constituantes culturelles du Québec et de la France sont donc idéale à l’essor d’une francité que je crois fortement constructive puisque qu’ayant un juste dosage de différences et ressemblances pour se faire. Cette alliance, ne doit par contre pas être confondue avec un quelconque métissage, qui lui annulerait l’avantage qu’offre la relation fraternelle que je propose, mais une synergie interculturelle entre nations liées par le sang, mais séparées par l’Histoire. De cette convergence pourra naître une francité à la fois idéaliste et réaliste, fervente et patiente, radicale et pragmatique, romantique et résolument elle-même, mais surtout enracinée et ultimement révolutionnaire! 

De cette façon, et des deux côtés de l’océan, nous pourrons créer par une réunion de la francité, une force au-delà de la nation qui ne la nie pas pour autant. Une internationale de la francité qui pourrait être le laboratoire d’une vraie internationale des nations, contrairement à ce qui fut fait auparavant. Les problèmes sont globaux il est vrai, mais les solutions ne peuvent qu’être nationale! Par contre, si ces nations veulent leur salut, et nous espérons qu’elles le souhaitent, l’union reste indispensable afin de créer un rapport de force digne de ce nom.

Le mondialisme créa, il est vrai, l’union des pouvoirs occultes de l’argent et du vice, mais cette logique machinale devra un jour faire face à sa logique antagoniste qu’est celle du vivant, autrement dit l’union des pouvoirs de la vertu et de la solidarité humaine. Mais pour ne pas baisser les bras devant ce vaste chantier, remémorons-nous que parfois certaines vérités sont éternelles, alors, si Dieu se rit des gens qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes, bien faisons que Dieu soit tordu de rire jusqu’à la fin !  

Benedikt Arden