mardi 5 mars 2019

L’antiracisme des riches …


Définitivement, la lutte à l’antisémitisme est « l’antiracisme des riches » ! Pas parce que les juifs seraient tous riches (cela va de soi), ni parce que la défense de cette communauté serait intrinsèquement liée à la défense de leur plus mauvais représentant, mais bien parce que c’est le type d’antiracisme qui est le plus souvent manipulé par les conservateurs de tout poil. Les exemples de cette affirmation sont légion et il n’est pas rare que cette forme bien particulière d’antiracisme soit ironiquement le masque d’un racisme bien plus grave encore, notamment quand il s’agit de défendre les crimes de l’État d’Israël et de ses dirigeants.

Un exemple archétypal serait celui qui a récemment eu lieu, le 16 février dernier, en marge d’une des manifestations des « gilets jaunes », à Paris. À l’occasion du 14e acte du mouvement, l’académicien Alain Finkielkraut aurait senti le besoin de prendre un bain de foule dans l’un des cortèges. Ce qui l’a conduit à se faire insulter par certains des manifestants, qui ne croyaient visiblement pas que sa présence était opportune.

Les insultes dont le « philosophe » a fait l’objet n’ont cependant que bien peu à voir avec son appartenance religieuse, mais seraient plutôt liées à ses opinions politiques conservatrices, puisque ce sont les sobriquets de « raciste » et de « sioniste » qui ont été entendus. En effet, il s’avère que le personnage est assez connu pour sa défense du nationalisme israélien (le sionisme) et de ses positions ouvertement réactionnaire, à la limite du racisme. Notons au passage que ce genre de situation n’est pas une première, pour le personnage, puisque celui-ci s’est aussi fait expulser de façon tout à fait similaire, lors de sa visite surprise dans l’une des « nuits debout » du printemps 2016.

Malgré le fait que c’est d’abord et avant tout les opinions politiques de Finkielkraut qui ont été mises en avant pour justifier son éviction, la « team Macron » ne s’est pas privée d’utiliser ce fait divers afin d’accuser le mouvement social qu’ils combattent de racisme anti-juif (l’antisémitisme, quoi!), sans se priver de quelques références opportunes aux années 30, histoire de faire bon chic bon genre… De son côté, le président Macron, oubliant pour le coup sa récente réhabilitation du Maréchal Pétain, ses lois contre la liberté d’expression, de manifestation et toutes celles contre les pauvres, s’est senti la responsabilité de revêtir les habits des Martin Luther King et des Nelson Mandela de ce monde afin de dénoncer « la haine » de ces gueux qui osent encore porter des gilets jaunes, malgré cette « tragédie » qui l’arrange tant ! Il n’est d’ailleurs pas le seul à emboiter le pas. Toute l’intelligentsia autorisée à penser s’est immédiatement mise en ordre de bataille pour protéger le régime et ses représentants, en récitant leur chapelet « des heures les plus sombres de l’Histoire » de la manière la plus grotesque possible. Il a même été question d’élargir la définition de l’antisémitisme à l’antisionisme afin de le rendre illégal !

À l’exemple des Manuel Valls et des Bernard Henri Lévis, il s’est créé une véritable profession de la récupération des événements de la Deuxième Guerre mondiale pour appuyer des politiques qui devraient normalement être dénoncées par ces mêmes événements. Mais qu'à cela ne tienne! Aucune limite n’est trop grossière pour utiliser les souffrances d’hier pour justifier celles qui ont lieu aujourd’hui! Et ceci ne se limite pas uniquement aux crimes de l’État d’Israël. Non ! cela s’applique également au salissage des mouvements et des individus qui luttent pour la paix et la justice dans le monde. C’est devenu une règle presque implicite. Pensez à n’importe quelle personnalité progressiste que les partisans de l’impérialisme otanien et d’Israël détestent et vous y trouverez fatalement des accusations d’antisémitisme à la clé. Et cela même si le concerné est lui-même juif (pensons juste à Noam Chomsky!).

C’est pour toutes ces raisons que je prétends que la lutte à l’antisémitisme est « l’antiracisme des riches ». Je ne nie absolument pas qu’une haine des juifs existe bel et bien et qu’elle soit en hausse. Seulement, cette haine n’a pas du tout la même origine que celle des années 30 et n’est aucunement comparable sur le fond. Si l’antisémitisme progresse dans les têtes, c’est d’abord parce que le sérieux de cette lutte s’est énormément dégradé à force de se faire manipuler pour le compte des pires causes.

À force d’utiliser la lutte à l’antisémitisme pour la défense des privilégiés et des riches, certaines personnes peu politisées en viennent à incuber une certaine haine envers ceux perçus comme « privilégiés ». Je mets ce privilège entre guillemets, car il s’agit bel et bien d’un préjugé. Mais il est compréhensible que ceux qui souffrent dans l’indifférence générale puissent cultiver du ressentiment à leur endroit, à force de voir chaque événement les touchant (aussi banal soit-il) se transformer ipso facto en scandale national. Sachez que ce qui est arrivé à Alain Finkielkraut (se faire insulter) arrive tous les jours! Même aux gens connus. Il n’est donc pas normal que toute la sphère médiatique et politique s’enflamme de la sorte pour un simple fait divers. À vrai dire, même Finkielkraut a fini par s’en agacer tellement le sketch devenait grotesque. 

Tout ce zèle et cette fermeté envers la protection de cette communauté bien précise (déjà, de surcroît, fort bien représenté dans l’élite et dont le poids politique et médiatique reste très puissant) ne peuvent que susciter la jalousie des autres communautés, voire d’alimenter la théorie d’un complot juif. Cette situation explique aisément la montée de l’antisémitisme dans la communauté musulmane et à plus faible raison dans le reste de la population, sans avoir à chercher dans le suprématisme blanc ou autre.

Cette jalousie et cette haine sont donc ironiquement causées par l’action de ceux qui se spécialisent dans la recherche des antisémites et de ceux qui utilisent cette cause pour des intérêts qui n'ont que bien peu à voir avec le vivre ensemble. Autrement dit, « l’antiracisme des riches » dessert le sort des gens qui en sont les victimes bien plus qu’il ne le combat.

Contrairement au bon sens qui devrait n'y voir qu'une simple réaction face à une inégalité de traitement, Finkielkraut et ses amis y ont néanmoins vu un « racisme des antiracistes ». Thèse très peu partagée en dehors des milieux d’extrême droite, elle est probablement la cause principale des insultes que le personnage a reçues lors de son éviction, malgré l’utilisation d’autres sobriquets.

Même s’il s’agit visiblement d’un non-événement et que l’antisémitisme n’a été qu’une manipulation des « marcheurs » et de leurs alliés, je crois qu’il reste nécessaire de rappeler qu’il ne faut pas tomber dans le piège de la rhétorique identitaire. Si je comprends le sentiment d’injustice qui s’exprime au travers de ce rejet des juifs, du sionisme, voir des « blancs » en général, il me semble tout de même indispensable de rappeler que le relatif confort d’une communauté n’est pas une excuse à sa discrimination. La haine engendre la haine et les stéréotypes induits par ces préjugés divisent les rangs de ceux qui doivent vivre ensemble et s’unir dans la lutte.

Nous avons le devoir de critiquer le sionisme et leur représentant. Mais sachons éviter de propager des thèmes qui arrangent le pouvoir et qui poussent nos camarades juifs du côté des forces réactionnaires. La lutte contre le racisme est la pierre angulaire de la lutte sociale, ne le perdons jamais de vue.

Benedikt Arden (mars 2019)