mardi 27 septembre 2022

Quand la confusion devient un programme politique

On observe depuis quelques années la politisation d’une partie de la population qui était traditionnellement peu audible. Elle était peu audible, non pas parce qu’elle était bâillonnée ou censurée, mais bien parce qu’elle se sentait représentée par les partis politiques et les syndicats traditionnels ou se désintéressait simplement de la chose publique. Mais l’avènement de la pandémie et des mesures sanitaires ont grandement changé les choses, en brusquant les habitudes d’une population qui n’avait jamais vécu de réelle crise. Et celle-ci n’a pas manqué de faire des mécontents dans le public, au point où cette pandémie fut le catalyseur d’un éveil politique plutôt chaotique.  

Il faut dire que la Covid-19 et les mesures pour y faire face reposent sur des notions souvent complexes et parfois contrintuitives pour le commun des mortels. Sans oublier que la pandémie se passait loin des yeux et des écrans de la plupart des gens, ce qui n’aidait pas à rendre l’urgence bien concrète. De plus, la médiatisation sensationnaliste et maladroite de cette situation et les incohérences du gouvernement ne pouvait qu’engendrer de la confusion sur le sérieux de la situation. Pour toutes ces raisons, il était attendu que l’incompréhension gagne une bonne partie de la population et en frustre une au moins aussi grande.

De leur côté, les partis d’opposition et les syndicats sont restés assez prudents sur le sujet et ont par principe soutenu les mesures demandées par la santé publique, sans se priver toutefois d’envoyer quelques piques au gouvernement. Et à sa décharge, ce dernier a aussi démontré que jouer « au bon père de famille », ressemblait drôlement à jouer à l’autocrate, mais, comme il le constata rapidement, chaque mesures inefficaces ou erreurs de sa part devait lui être directement reprochée, même s’il essayait de se cacher derrière la santé publique, voire en se défendant de ses échecs en blâmant la population. Tout cela n’a fait qu’exacerber cette frustration latente et donna des armes à tout ceux qui ne voulaient pas respecter les mesures sanitaires.

Parce que, oui, le problème de base était surtout une question de volonté plus qu’un problème de désinformation. Si la désinformation a fait son lot de victime au début, celle-ci touchait surtout ceux qui voulaient être convaincus par des récits alternatifs, puisque le « fact checking » était massif sur le sujet et il était difficile de rester dans de la pure ignorance. Malgré tout, les contre récits, avaient la fâcheuse manie de se maintenir malgré les « débunks » répétés, puisque ceux-ci servaient d’abord d’excuse à nier le besoin de discipline sanitaire, alors tout argumentaire était bon à prendre. C’est d’ailleurs pour cette raison que ces récits étaient à ce point contradictoires entre eux.

Et ce refus est normal. Se faire imposer des limites pour le bien du collectif ne passe pas toujours facilement, surtout par une population habituée de vivre dans l’abondance et baignée dans une atmosphère libérale depuis plus de trois générations. Avec le temps, nous ne ressentons plus vraiment les avantages et le bienfondé du collectif et prenons souvent le fruit de la société de consommation pour un dû. Pourtant, cela pourrait être tout autre et rares sont les pays dans le monde où les peuples peuvent jouir d’un tel niveau de vie. Niveau de vie qui, il faut bien l’avouer, est souvent issu de l’asservissement des autres peuples et de l’exploitation sauvage des ressources naturelles, mais cela est un autre sujet …

Enfin de compte, la liberté, la sécurité et le confort gagné par les masses et qui est issu de la collectivisation et la redistribution sont devenus avec le temps invisible pour beaucoup. Et tels ces enfants fantasques qui ne comprennent pas que c’est du salaire de ses parents que proviennent ses bonbons et ses jouets, ceux-ci se refusent de voir que c’est de l’effort de chacun que provient la sécurité de tous. Certains vont même jusqu’à se rebeller contre leurs devoirs civiques et revendiquent, à la manière d’une caricature de révolutionnaire, la liberté de ne pas faire leur part de l’effort commun. Effort commun qui est pourtant à la source des libertés tant chéries par ceux qui veulent pourtant s’en extraire.

C’est là l’épicentre des motivations qui ont permis de galvaniser le mouvement contre les mesures sanitaires[1] et qui aujourd’hui fait se regrouper les fans de la spiritualité new age et des médecines alternatives, avec les fondamentalistes religieux et les suprémacistes blancs. Tout ce petit monde uni dans la croyance de l’un ou l’autre des nombreux scénarios de triller dystopique concocté par des théoriciens du complot et popularisé par une interminable succession de vlogues filmés dans des chars.      

Bien sûr, des organisations dites « citoyennes » ont rapidement vu le jour, afin de représenter cette colère. Souvent issus des groupes identitaires islamophobes (comme les fameux Farfadaas), ces groupes ne devaient pas faire bien plus que ce qu’elle faisait déjà au chemin Roxham au temps de La Meute, c’est-à-dire des manifs, un peu de bruit et beaucoup… Beaucoup de live Facebook! Sans oublier les sempiternelles vidéos de « désobéissance civile » dans les épiceries, histoire de bien caricaturer les militants pour les droits civiques des années soixante. Évidemment, ces groupes étant peu expérimentés, idéologiquement bancals et dirigés par des leadeurs plus soucieux de leur propre gloire que de la cause qu’ils défendent, ces groupes ne firent rien de bien dangereux pour le pouvoir et, en dehors du harcèlement qu’ont subi les commis d’épicerie, le gouvernement pouvait compter sur une opposition particulièrement caricaturale, qui lui servit d’épouvantail tout le long des confinements.   

Mais la nature ayant horreur du vide, un autre larron devait reprendre le flambeau des conspirationnistes de tous poils, c’est-à-dire ces nouveaux partis populistes de droite dure, inspirés par Trump. Plus ou moins conspirationnistes au départ, ces partis devaient prendre l’ascendant sur le mouvement citoyen en raison de leur plus grande expérience politique, leur capacité de récupération des grands idéaux et leur respectabilité médiatique. La capacité de récupération des colères populaire qu’ont ces partis n’est plus un secret pour la gauche radicale depuis belle lurette, mais cette masse de gens nouvellement politisés et peu formés idéologiquement était une proie facile pour leur propagande de séduction et ne manqua pas de gonfler les effectifs des partis comme le Parti populaire du Canada (PPC) et le Parti conservateur du Québec (PCQ). Et ce dernier, s’étant donné un chef très à l’aise dans les médias (Éric Duhaime), devait vivre une montée assez spectaculaire au détriment de la CAQ.

Et justement, la différence programmatique entre la CAQ et le PCQ n’est pas si grande et ce dernier aurait très bien pu s’y fondre en une aile droite, puisque le parti de Legault est lui aussi très bon quand il s’agit de mettre en place des mesures néolibérales, écologiquement nocives et des politiques racistes. Cependant, si le parti est devenu le réceptacle de tout ce que le mouvement « antimasque » a de plus exotique, ce n’est pas parce que Duhaime veut privatiser la santé et démembrer les syndicats, mais bien parce qu’il défend la liberté de ne pas porter le masque dans les lieux publics et de ne pas se faire vacciner. En somme, la liberté de ne pas faire sa part pour limiter la propagation de la Covid-19.

Et là-dessus, je dois avouer que le laisser-faire du PCQ est plus conforme aux principes ultralibéraux que le paternalisme de la CAQ, puisque le fondement même des libertariens est d’éliminer toute contrainte sociale (sauf quand elle touche les minorités bien sûr!). Autrement dit, de s’extraire de ses devoirs civiques et de nier l’existence même du bien commun. Il est donc tout à fait conforme aux dogmes libertariens de laisser les plus faibles mourir dans leur merde si cela implique une quelconque contrainte aux forts. C’est d’ailleurs le même principe qui fait que la pensée libertarienne n’accepte pas le principe de l’impôt[2] et rejette toute forme de socialisation. Alors il est assez normal que le PCQ ait pris le flambeau de la lutte contre les mesures sanitaires, puisque cela est pile dans ses cordes.

Mais bon, le problème n’est pas tellement le fait qu’un parti libertarien se présente comme le défenseur de l’intérêt des riches (cela n’est pas nouveau), mais bien dans le fait que beaucoup de gens victime de l’austérité néolibérale et clairement en détresses sociales se soient fait endoctriner par l’un ou l’autre des gourous conspirationnistes pour ensuite militer activement dans un parti qui lutte contre leur intérêt de classe ! Nous l’avons bien vu l’hiver dernier, lors du « Convoi de la liberté ». Une quantité faramineuse de gens, que l’on ne peut vraiment pas qualifier de bourgeois, se sont rassemblés à l’appel d’une obscure organisation d’extrême droite albertaine, sans réaliser que ce qui était visé, ce n’était pas juste l’abolition de toutes les mesures sanitaires, mais aussi les programmes sociaux qui les ont accompagnées.

La fameuse PCR/PCRE de Trudeau tant décrié par la droite était une mesure insuffisante et imparfaite, certes, mais elle a aidé des milliers de personnes à maintenir leur niveau de vie (et leur liberté) et il est clair que c’est surtout ce genre de revendications que sont venus soutenir les pontes du parti conservateur canadien et du PPC. De toute façon, la droite canadienne n’a jamais été très attachée aux libertés (sauf celles des riches) et ne se prive pas d’ailleurs d’entraver la vie des gens pour des questions religieuses (contre l’avortement, le mariage gai, etc.). Alors de les voir se pavaner autour des drapeaux Qanon, Trumpiste, canadien et patriote (SIC), tout en scandant des appels à « la liberté » et à « l’amour », on ne pouvait difficilement faire plus cynique en termes de confusion politique.

Pourtant, une partie non négligeable de ces manifestants sont persuadés de lutter contre l’établissement et « Big Pharma », voir contre le capitalisme (!), pour ensuite dilapider leurs salaires dans le financement d’organisations sectaires et de partis ultralibéraux… Une telle dose de confusionnisme est gravissime et doit être combattue avec la plus grande fermeté, afin de conscientiser ces pauvres gens manipulés. Mais cela risque d’être bien difficile tellement les mesures sanitaires semblent les avoir traumatisées et une bonne partie de ces nouveaux militants conservateurs semblent être prêts à accepter n’importe quelle mesure antisociale du moment qu’on lui promet de ne plus jamais porter un masque dans l’espace public !

Mais, comprenons-nous bien, l’existence du mouvement contre les mesures sanitaires est loin d’être le premier responsable à blâmer pour le désastre hospitalier, comme le prétendait le gouvernement. Les « bons pères de famille », comme Legault et Couillard, on fait le gros du travail pour désorganiser le système de la santé et ils avaient la responsabilité de prévoir ce genre d’évènement. Mais le fait que toute cette colère contre le paternalisme de Legault soit récupérée par un personnage qui propose de détruire complètement le système de santé publique et plus généralement le filet social est une situation qui ne devrait pas enchanter ceux qui espèrent conscientiser la population envers leurs intérêts de classe, sans oublier un mal encore bien pire qui nous guette, c’est-à-dire les changements climatiques !

Parce que tout ce que la pandémie de Covid-19 a fait émerger de sale chez certains de nos concitoyens risque bientôt d’exploser au centuple ! Pensez-y : « Une situation d’urgence contrintuitive et nécessitant des connaissances scientifiques pour bien la comprendre et nécessitant des mesures coercitives et qui, en raison du régime capitaliste, feront baisser le niveau de vie des gens de manière spectaculaire. Et qui sera évidemment médiatisé de façon bête et puis récupéré par des gouvernements et des multinationales mal intentionnées ». Cela ne vous rappelle rien ?

Et normalement c’est là que vous constatez toute l’étendue de la catastrophe auquel nous devrons faire face !

Benedikt Arden, septembre 2022


[1] Je précise que je n’inclus pas dans ce mouvement ceux qui critiquent certaines mesures ou l’action du gouvernement, mais bien ceux qui refusent par principe les mesures sanitaires ou qui nient carrément l’existence de la pandémie.

[2] La justification est que la part de l’impôt prélevé est considérée comme provenant du « travail » d’une personne non consentante, celle-ci est donc jugée comme une portion de travail forcé. Les libertariens jugent souvent les taxes à consommation comme plus justes, puisqu’elle relève d’un choix. Bien sûr, cela élimine toute gradation de cotisation par rapport au revenu, ce qui favorise les riches.  


samedi 5 mars 2022

Le bruit des bottes …

Le 21 février dernier, le président russe déclarait la mort des accords de Minsk et proclamait officiellement la reconnaissance des républiques séparatistes du Donbass. Les conséquences de cette décision furent aussi radicales qu’immédiates, puisque celle-ci impliquait de répondre à l’aide militaire demandée par les représentants des républiques séparatistes, mais correspondait également à l’invasion de l’Ukraine, pour tous ceux qui ne reconnaissent pas ces territoires comme souverains. En cette période de forte tension entre l’Ouest et l’Est, ceci ne pouvait pas moins bien survenir et les conséquences de ce choix ne pouvaient qu’empirer la situation des Ukrainiens. 

Cette reconnaissance peut sans doute paraitre louable à tous ceux qui reconnaissent la légitimité du combat des gens du Donbass, mais la vérité est que les conséquences de cette opération militaire provoqueront de véritables catastrophes pour tout le monde. Ceci, incluant le peuple du Donbass qui n’est pas moins ukrainien que le reste de la population !

Depuis une dizaine d’années, la Russie est présentée comme le pays voyou par excellence. Médias et politiques diabolisent à fond et tout est bon pour présenter ce pays comme un modèle de crapulerie. Des Jeux olympiques de Sotchi, à la guerre en Syrie, en passant par les élections américaines, tout est fait pour diaboliser la Russie et cela n’est pas si difficile à faire en plus. La Russie étant un pays de longue tradition impérialiste, elle agit comme tel pour sanctuariser sa zone d’influence politique et économique. Même les 70 ans de socialisme n’ont pas été en mesure d’extraire cette mauvaise habitude et les dirigeants soviétiques ont trop souvent agi en brute pour faire valoir les intérêts de l’union. Évidemment, les impérialistes américano-britanniques ne se sont jamais privés de faire les mêmes basses œuvres que les Russes, seulement ceux-ci ont développé un art de la subtilité qui a trop souvent fait défaut aux dirigeants russes.

Depuis les tous débuts de sa création, l’objectif de l’OTAN a toujours été d’encercler la Russie et ses alliés. Malgré la conversion de l’Union soviétique en fédération capitaliste, cet objectif s’est tout de même maintenu avec les années. Que l’objectif de maintenir le pantin des Américains (Boris Eltsine) au pouvoir ait été réalisé au détriment d’un retour du « stalinisme » (avec le nouveau parti communiste de Gennadi Ziuganov) ou de l’arrivée massive de l’investissement américain, rien ne semble pouvoir rendre ce pays fréquentable. Il faut dire que la Russie reste un rival de choix pour l’ordre libéral des États-Unis d’Amérique. De plus, l’économie américaine étant très largement stabilisée par son complexe militaro-industriel, le maintien en activité de l’OTAN et de ses très lucratives commandes d’armement, devait, du coup, motiver l’entretien d’un ennemi crédible. Et cet ennemi a toujours été principalement la Russie, même si la Chine est elle aussi dans le giron de l’OTAN.   

Depuis la fin des années 2000, les choses ont continué de se dégrader et l’accord tacite de ne pas s’étendre à l’Est, conclus lors de l’effondrement de l’URSS, lui aussi. Une nouvelle guerre froide se mettait donc en place et à coup de révolution colorée et de « Soft power », la Russie sut étonnamment répondre de manière intelligente et stratège. Notons que le successeur de Eltsine, Vladimir Poutine, était réputé comme un fin joueur d’échecs et se servait le plus souvent des bourdes des Américains et de l’OTAN à son avantage. Ceci fut tout particulièrement le cas lors de la guerre en Syrie, mais également pour ce qui est de la question ukrainienne. Enfin, jusqu'à maintenant ... 

Rappelons que l’Ukraine actuelle (celle reconnue à l’ONU) étant une création de l’Union soviétique, celle-ci fut organisée comme un État tampon, équitablement divisée entre ukrainophone et russophone, afin d’éviter que l’État ne dérive vers le nationalisme. Au lendemain de la chute de l’URSS, la déclaration d’indépendance de l’Ukraine exprimait d’ailleurs « son intention de devenir un État neutre, qui ne participe à aucun bloc militaire »[1]. L’Ukraine devait donc se constituer comme un État non-aligné.  

Mais le retour du nationalisme dans les anciennes Républiques socialistes d’Europe de l’Est finit par atteindre le monde slave et fit son œuvre pour délégitimer tout le legs du socialisme, jusqu’à tomber dans l’anticommunisme le plus radical. Trop souvent confondu avec l’impérialisme et l’autocratie des dirigeants de l’URSS, le communisme fut complètement repeint en monstruosité totalitaire (bien sûr aidée par la faiblesse de la nouvelle Russie capitaliste et la doctrine néolibérale), l’anticommunisme des pays d’Europe de l’Est finit même par réhabiliter de façon plus ou moins discrète des personnalités nazies.

Ce fut le cas notamment dans les pays baltes, mais aussi en Ukraine. L’Ukraine a ceci de spécial que la partie Ouest du pays (la Galicie) est le cœur du nationalisme ukrainien, mais aussi le centre de la collaboration avec les nazis, lors de la Deuxième Guerre mondiale. L’un des intellectuels les plus connus du nationalisme ukrainien, et récemment réhabilité, est Stepan Bandera, qui dirigea l'Organisation des nationalistes ukrainiens, qui luttait contre l'Union soviétique et qui participa à la création de la Légion ukrainienne, sous commandement de la Wehrmacht. Le souvenir de l’ex-URSS étant plus frais que ceux de la dernière guerre mondiale, bien des Ukrainiens de l’Ouest finir par interpréter la défaite de l’occupant nazi comme une « invasion soviétique ». Bien sûr, cette façon de réécrire l’histoire n’est pas partagée par tout le monde en Ukraine (notamment à l’Est), mais on peut aisément comprendre que la nostalgie de l’URSS comme du nazisme implique avant tout un aspect identitaire, qui a souvent moins à voir avec la politique qu’avec l’antagonisme russophone/ukrainophone.

Le problème ukrainien, quoiqu’imposant une forte instabilité dans le pays, se maintenait en paix toute relative, tant que le pays pouvait voter dans sa globalité et trouver une politique médiane entre l’aspiration à l’Ouest et la proximité du grand frère russe. Cependant, la crise de l’Euromaïdan et le putsch qui lui a succédé ont brisé cet équilibre et on permit aux Ukrainiens de l’Ouest d’imposer leur vision à l’autre moitié du pays. C’est à ce moment que l’offensive s’est faite contre la langue russe et devait assimiler l’ensemble du peuple pour transformer un état multiculturel en État ethniquement ukrainien. C’est dans ce contexte que les plus extrémistes des nationalistes ont été en mesure d’influencer le gouvernement (via le vice-premier ministre Oleksandr Sytch du parti d’extrême droite Svoboda) et de se former en milices pour semer la terreur chez les russophones et ainsi leur faire prendre les armes, avec les conséquences que l’on connait …  

Dès lors, le fragile équilibre du pays bascula du côté des nationalistes ukrainiens et le pays se coupa en deux. La première sécession se produit en Crimée, qui pour des raisons stratégiques[2] fut rapidement intégrée à la Russie. Ensuite vint le soulèvement du Donbass, qui devait rapidement s’enliser et finir par devenir une petite enclave en guerre contre tous les gouvernements qui suivirent. Au départ, la Russie se tenait en retrait, malgré les accusations de Kiev et des occidentaux, mais, pour des raisons encore aujourd’hui inexplicables, Vladimir Poutine a finalement renoncé à sa politique de prudence pour jouer les va-t’en guerre avec les conséquences que l’on connait aujourd’hui.

Et ces conséquences sont catastrophiques, autant pour les ukrainophone que les russophones d’Ukraine. Contrairement à ce que la majorité des observateurs sérieux ont d’abord cru, l’armée russe ne s’est pas contentée de soutenir militairement le Donbass, mais s’est donné comme objectif d’envahir l’Ukraine, pour visiblement renverser l’actuel gouvernement et « dénazifier le pays ». Comme je l’ai mentionné ci-dessus, le militantisme néonazi est une réalité préoccupante dans tous les pays d’Europe de l’Est, mais, pour autant, elle n'impliquait pas un risque politique à ce point grave qu’elle mériterait une déclaration de guerre !

Cette intervention guerrière est d’autant plus absurde d’un point de vue russe, que toute la sympathie que le pays pouvait profiter (en raison de l’encerclement de l’OTAN et de la déstabilisation dont ils sont les victimes) s’envole, sans compter qu’il valide tout le narratif des occidentaux et renforce une alliance qui commençait pourtant à se fissurer. Aujourd’hui, toute la communication des pays de l’OTAN et des va-t’en guerre atlantiste se drapent de la toge blanche de la paix et du droit international et cela me tue de l’écrire, mais ils ont raison ! Poutine est fautif dans cette affaire et il est en train de détruire tout l’héritage que son peuple pouvait encore hier lui attribuer. Même en ce qui touche la juste cause du Donbass, ces habitants seront désormais considérés à l’international comme des collaborateurs d’une invasion et non plus les victimes d’un État xénophobe. Cette intervention est même en train de transformer des politicards corrompus et des milices néonazies en héros de la résistance face à une armée impérialiste bien plus puissante qu’elle.

C’est le mythe judéo-chrétien de David contre Goliath qui se superpose à une réalité bien moins rose et cette page d’Histoire, celle qui s’écrit sous nos yeux, est le fait de Vladimir Poutine, même si je rappelle que c’est l’OTAN qui a semé les graines de la discorde, au départ. Poutine avait bien d’autre façon de procéder que d’agir en brute impérialiste et il payera cette erreur devant l’Histoire et tout ce qui voulait protéger sera sali par cette décision.

La guerre est le pire des maux et est toujours l’option qu’il nous faut éviter ! C’est pourquoi il est toujours condamnable de la déclarer, peu importe les raisons. La guerre ne se justifie que si elle est défensive, point barre !

Aujourd’hui, je m’attriste pour les victimes de la violence de la guerre, mais aussi pour ces Ukrainiens du Donbass qui seront traînés dans la boue et qui n’auront plus la chance de gagner moralement leur cause. Je me désole aussi de cette guerre fratricide qui va créer un fossé de plusieurs générations entre peuples slaves, qui ne pourra que profiter aux impérialistes anglo-américains et à leur machine de guerre. Je m’afflige également de cette réécriture de l’Histoire qui présente l’Union soviétique comme un impérialisme totalitaire alors qu’il a donné corps à l’Ukraine moderne et a libéré les peuples de l’Est de la barbarie nazie. Au final, c’est même l’idée généreuse et libératrice du communisme qui s’en trouve entaché par la folle croisade de Poutine.

Croisade qui ne pourra engendrer que du sang et des larmes et qui ternira la mémoire de ces Russes qui ont vaincu le Reich et auquel nous devons tant !

Benedikt Arden, mars 2022


[2] Notamment en raison des bases militaires russes et du port de Sébastopol.

samedi 15 janvier 2022

Des contraintes sanitaires de plus pour des vaccinés en moins

Un peu comme l’an dernier, l’ambiance est à la panique. Notamment parce qu’en quelques jours nous sommes passés d’un quasi-état d’après Covid à un retour brutal à la situation prévaccinale. Nous le constatons depuis l’arrivée du froid, les fameux vaccins si attendus, ont démontré une efficacité bien décevante et n’ont strictement rien changé aux mesures sanitaires les plus liberticides, malgré les belles promesses du gouvernement. Il est d’ailleurs effarant de constater que le nombre de cas explose dans des proportions comparables à l’hiver 2020-2021 malgré une couverture vaccinale complète de près de 90% des adultes

Évidemment, le responsable de cette baisse d’efficacité serait le variant du moment (Omicron), qui semble être en mesure de contaminer aussi bien les vaccinés que ceux qui ne le sont pas. Cependant, les données disponibles semblent démontrer que la protection du vaccin à ARN messager abaisse la quantité de personnes susceptible de développer une forme grave de la Covid-19 (donc les hospitalisations), mais ne procure pas une protection convenable contre l’infection et sa contagiosité. Ce qui pose un vrai dilemme à la politique sanitaire du gouvernement caquiste, qui n’est pour ainsi dire basée QUE sur la vaccination et les confinements.    

Face à cette situation, la déception est grande et le retour des mesures dites « d’urgence » en fait rager plus d’un. Notamment chez les gens qui ont suivi patiemment les consignes et qui doivent subir derechef les désagréments d’un nouveau confinement. Dans ce contexte, la recherche de coupables est donc le réflexe à prévoir, car la remise en cause de la solution facile (la vaccination) remettrait aussi en cause les mesures dites d’urgence, puisque sans vaccin ou autres traitements préventifs, le remède de cheval du gouvernement (le confinement) ne peut plus être considéré comme temporaire.

C’est donc pour pallier ce dilemme que le gouvernement met toute la pression possible sur ceux qui ne se sont pas prêté au jeu de la vaccination et les accuse carrément d’être responsables de l’échec complet de sa stratégie sanitaire. Ceux-ci sont d’ailleurs la cible d’un ostracisme difficilement justifiable et qui frise le lynchage dans certains cas. Cet ostracisme fait d’autant plus de peine à voir qu’une couverture vaccinale de 100% n’empêcherait même pas la pandémie de sévir comme c’est présentement le cas. Dès lors, la recherche de boucs émissaires ressemble plus à de la dissonance cognitive qu’à une recherche de véritable solution.

Après tout, une couverture vaccinale de 89,6% (12 ans et +) est une réussite en soi et bien des maladies ont été vaincues par des couvertures vaccinales bien moindres. Mais la Covid-19, au même titre que la grippe et autre coronavirus, est de ce genre de maladie qui ne se laisse pas annihiler aussi facilement et mute suffisamment pour devenir des maladies saisonnières (surtout lors des temps froids). Ce qui fait que « l’urgence » ne devrait plus en être une et devrait faire place à des mesures sanitaires de long terme, pour ne pas dire permanente.

Mais cette réalité, encore trop peu sont prêts à l’entendre. C’est pourquoi les réflexions démocratiques sur la gestion sanitaire de la société sont encore court-circuitées par la recherche de boucs émissaires, même si cela ravive les sentiments les moins nobles qui soit, allant même jusqu’à remettre en cause le droit des « antivax » à se faire soigner gratuitement, voire leur imposer un tribut de non-vaccination. Le président français (qui, soit dit en passant, est l’inspiration principale de notre premier ministre) en est même allé jusqu’à souhaiter vouloir « emmerder les non-vaccinés » ce qui est sans doute également l’avis de François Legault, quand il impose le passeport vaccinal dans les SQDC et la SAQ, alors que le type de produit vendu dans un commerce n’a évidemment aucun impact sur la pandémie (pas plus que l’heure et la raison d’un déplacement dans le cas de cet aberrant et inutile couvre-feu). En fait, c’est un secret de polichinelle que cette mesure soit une incitation indirecte à la vaccination, puisque la consommation d’alcool et de cannabis devant un écran de télé reste la principale activité pour bien des gens en hiver, puisqu’à peu près tout autre type d’activité (plus saine) est soit annulée ou fortement contrainte.

Enfin, tout cela pose une sérieuse question : pourquoi le gouvernement ne rend-t’il pas tout simplement la vaccination obligatoire au lieu d’alimenter cette haine envers les récalcitrants à la vaccination ? Après tout, ces gens n’ont encore aujourd’hui rien fait d’illégal et ils ont absolument le droit de ne pas être vaccinés, alors il est hypocrite de se surprendre qu’une minorité de la population soit dans ce cas de figure.

À mon avis, la raison de cette absence d’obligation est tout simplement que le gouvernement ne le souhaite pas. Certains évoquent bien la difficulté de forcer les gens à se faire vacciner de force et ils ont sans doute raison en bonne part, mais il est tout à fait possible de le faire par une contrainte acceptable, surtout si on agrandit le choix de l’offre aux vaccins traditionnels (je pense ici au vaccin de Medicago).

Après tout, la France impose tout un ensemble de vaccin aux jeunes sans que ce pays soit mis au banc des accusés de la cour pénale internationale ! Alors, pourquoi refuser d’imposer légalement ce que l’on a le droit de faire et que l’on prétend souhaiter ? Tout simplement parce que le gouvernement cherche des coupables et non des solutions !

Comme je l’ai déjà indiqué plus haut, une couverture vaccinale de 100% n’empêcherait sans doute pas le virus de circuler, puisque les variants s’adaptent aux vaccins, comme c’est le cas de la grippe. De plus, comme les variants se créé dans des déserts vaccinaux (notamment l’Afrique, d’où semble provenir Omicron), que les vaccins sont maintenus bien en laisse par les brevets des multinationales de la pharmaceutique et que ceux-ci les réservent aux bons payeurs (les pays occidentaux), il n’y a aucune raison de croire que la pandémie pourrait être vaincue rapidement.

Soulignions-le : tant et aussi longtemps que la vaccination ne sera pas globale, des variants nouveaux seront fréquemment créés et migreront dans les pays riches, peu importe le nombre de doses de vaccins des Québécois et le fait qu’ils possèdent un passeport vaccinal ou non. Cette situation pousse cette position jusqu’à l’absurde, non seulement parce que cet égoïsme national va à l’encontre de la sécurité de sa propre population, mais surtout parce que les frais de conception des vaccins ont été majoritairement financés par les États et non les actionnaires bien gras des pharmaceutiques. C’est pourquoi les vaccins devraient être une propriété collective, comme le recommande à juste titre l’OMS.

Pourtant, rien n’a encore changé sur ce front et le Québec (comme la France) module désormais leur passe sanitaire à un nombre non limité de doses de vaccin, au détriment du retard accumulé des pays les plus pauvres. Pays, qui hébergeront les prochaines souches de virus pouvant mettre à mal la couverture vaccinale comme c’est le cas actuellement …

Malgré tout, le gouvernement continue de justifier ses échecs en blâmant les gens qui ne se font pas vacciner ou qui ont le mauvais gout de voyager, tout en les laissant libres de le faire, mais ne se prive pas pour fermer les commerces et activités qu’il juge « non essentiels », au nom de « l’état d’urgence sanitaire ». Et ceci, peu importe s’ils posent un risque réel de contagion, étant donné que c’est le fait d’être « essentiel » qui justifie son ouverture.

Soyons honnête, l’état d’urgence pouvait se comprendre au printemps 2020, voir janvier 2021 pour les plus indulgents, mais depuis beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et la nature du virus est devenu assez claire pour tous ceux qui se donnent la peine de regarder les données. La pandémie est très loin d’être terminée et il est à douter que les bons choix soient faits à l’international.

Comme pour la question environnementale, le système capitaliste empêche l’essentiel des solutions à nos problèmes en raison de la priorité systématique appliquée au profit et à la nature ploutocratique des pouvoirs qui gère le monde. S’il n’est pas possible de peser face au lobby pharmaceutique à l’OMC, il serait tout à fait possible de nationaliser un vaccin québécois (ou au moins canadien) ou, au minimum, de reconnaitre les vaccins des autres pays afin de casser le monopole de Pfizer et Moderna.

Mais au lieu de cela on participe à ces monopoles privés de la vaccination sans s’inquiéter de la source de ce qui les rendra un jour inopérants. Un peu comme si l’on cherchait à maximiser le profit des propriétaires de brevets tout en s’assurant que la production de variant ne soit pas entravée dans le tiers monde ! De cette façon, on garde captif des « marchés » avec des états d’urgence sanitaire permanents tout en s’assurant que les variants ne manquent pas afin de justifier de nouvelles doses encore et encore. Il est loin le temps où l’on se vaccinait pour éviter d’être malade. Désormais on a le devoir de s’abonner au Pfizer sinon on est au banc de la société, un paria, un pestiféré …

D’ailleurs, tous ceux qui luttent contre le conspirationnisme risquent d’avoir bien du travail, car quoi de mieux pour les radicaliser que de repousser ces milliers de personnes en marge de la société, avec comme seul passetemps de regarder les vidéos de tous ces gourous qui pullule sur le net et qui vivent de leurs dons. Non vraiment, tout est fait pour radicaliser les non-vaccinés et ce n’est certainement pas en ajoutant d’autres mesures répressives que l’on augmentera la couverture vaccinale.

Si le gouvernement souhaite augmenter la couverture vaccinale c’est en convainquant et non en forçant le bras de ceux qui regarde d’un mauvais œil cet ignoble monopole privé et son produit. Et s’il veut que la population maintienne une bonne discipline sanitaire, ce n’est pas en faisant sauter un directeur de la santé publique un brin usé, mais en organisant des mesures permanentes et raisonnables, basées sur la science et non plus sur l’autocratie du « bon père de famille » !

Benedikt Arden, janvier 2022    

vendredi 17 septembre 2021

Des autodafés et des bonnes intentions …

Ça a fait un badbuzz monumental et qui a résonné bien au-delà du pays. Près de 5000 livres jeunesse ont été retirés des bibliothèques de 30 écoles francophones d’Ontario pour servir de combustible à des cérémonies symboliques d’intérêts « éducatifs », dans le cadre de la réconciliation entre peuples autochtones et non autochtones du Canada. 

Au centre de cette controverse, Suzy Kies, présentée comme une gardienne du savoir autochtone et accessoirement coprésidente de la Commission des peuples autochtones du Parti libéral du Canada. Celle-ci souligne que cette « cérémonie » a pour but d’enterrer « les cendres du racisme, de la discrimination et des stéréotypes dans l’espoir que nous grandirons dans un pays inclusif où tous pourront vivre en prospérité et en sécurité ». Le feu ayant pour objet d’engendrer l’engrais d’implantation d’un arbre et ainsi « tourner du négatif en positif ».

Sans tenir compte du fait autrement plus symbolique de brûler des livres, qui ne va pas sans rappeler une époque que les Allemands aimeraient bien oublier, ce scandale est surtout lié aux critères douteux de cette sélection et surtout par la lecture particulièrement décontextualisée des œuvres choisies par ce fameux comité. Pour qu’un livre fasse partie du bûcher, à peu près toutes les raisons y sont passées. Des termes et appellations d’une autre époque, à la non-historicité des représentations en passant par la sexualisation des dessins, toutes les cases ont été cochées. Sans faire grand cas du format (bande dessinée et histoire pour enfants) ou des contextes historiques, les membres du comité n’ont même pas tenu compte des intentions des auteur(e)s et ont même reproché à des BD les propos de ses antagonistes[1]. En somme, ce comité de relecture cherchait des stéréotypes et des expressions anachroniques et les a trouvés là exactement où ils devaient en trouver, c’est-à-dire dans les livres de notre enfance. 

Évidemment, la chasse aux préjugés et aux stéréotypes ne s’est pas limitée aux BD, mais s’est aussi attaquée aux livres qui traitent des Premières Nations en général, mais qui n’ont pas été écrits ou révisé par des Autochtones « pure souche » ou des œuvres qui sont qualifiés « d’appropriations culturelles », ce qui est assez ironique quand on sait que madame Suzy Kies se présente comme une Abénakis d’Odanak alors qu’elle ne fait visiblement pas partie de cette communauté. Le fait d’avoir adopté la culture abénakis n’est pas une pratique que je condamne, tant s’en faut, mais quand on brûle les livres des auteur(e)s qui font briller cette culture au nom de l’appropriation culturelle, on devrait faire attention à ne pas parler au nom d’une communauté dont on s’approprie le nom ! D’autant plus que, comme commente l’ethnologue huronne-wendat Isabelle Picard, à propos des autodafés dans la culture autochtone, « C’est bien peu connaitre nos cérémonies et en avoir peu de respect ».

Comme vous le constatez, l’événement parle de lui-même et ils sont assez rares à défendre ce qu’il faut bien appeler un « dérapage woke ». Je déteste réellement cette expression (woke), puisqu'il est employé à tort et à travers par la droite, mais ici je vais faire une exception, car l’expression est désormais connue et je ne souhaite pas mettre de gants blancs, même si on devrait plutôt parler de « progressisme postmoderne » pour parler de ce courant. Toutefois, peu importe le nom qu’on lui donne, on ne peut que constater que ce courant atteint dorénavant des sommets en termes de dérapage. Celui-ci en vient même à avoir des impacts négatifs bien réels sur l’image que se fait la majorité des gens des minorités et des Premières Nations, puisque ces dérapages engendrent objectivement beaucoup plus de préjugés que la seule lecture de Pocahontas ou de Tintin en Amérique !   

Néanmoins, la source du problème n’est pourtant pas issue des thèses les plus problématiques des plus controversés chercheurs/chercheuses postmodernes et encore moins des demandes de respects et d’égalité des groupes minoritaires et immigrants, mais bien de la popularisation d’un corpus doctrinal ouvertement irrationnel et qui est actuellement en phase accrue de radicalisation. 

Comme le mentionne Pierre Valentin dans son étude sur le courant « Woke » : 

Le mouvement woke repose sur une approche postmoderne du savoir caractérisée par « un scepticisme radical quant à la possibilité d’obtenir une connaissance ou une vérité objective. »

C’est pour cette raison que les courants postmodernistes se détachent à ce point des autres doctrines issues des Lumières et de l’universalisme. Pour ces derniers, il existe bien évidemment des dominants et des dominés ainsi que des systèmes qui provoques ces dominations, mais leur recherche de la justice passe par des connaissances objectives et des principes universels, alors que les postmodernistes rejettent carrément ces notions pour se centrer sur le ressenti des individus. 

Le philosophe Michel Foucault justifiait cette vision du monde en ces termes :

 « […] Il faut admettre que le pouvoir produit du savoir; que pouvoir et savoir s’impliquent directement l’un l’autre ; qu’il n’y a pas de relation de pouvoir sans constitution corrélative d’un champ de savoir, ni de savoir qui ne suppose et ne constitue en même temps des relations de pouvoir. » [2]  

Autrement dit, le savoir issu des progrès de la connaissance serait en réalité une expression du pouvoir (des dominants), d’où ce scepticisme si radical quant à la possibilité de produire des connaissances objective.

Ces idées en provenance de ce que les universitaires américains appelaient la « French Theory » ont eu leur part de pertinence à gauche, notamment dans les années 70, à l’époque où certains penseurs avaient tendance à effectivement tout ramener à la rationalité économique. Y compris les aspects qui ne s’y collent pas complètement. Notamment en ce qui touche le féminisme et le nationalisme de libération, qui ont des aspects culturels forts. 

Aujourd’hui ce courant de pensée tombe dans des excès inverses. Jusqu’à prétendre que la subjectivité des individus devrait être considérée comme un fait normatif et devrait être traitée comme tel. C’est-à-dire de manière politique. Dès lors c’est le « sentiment d’injustice » et non le système qui provoque ces injustices qui devient le centre des préoccupations « woke ». On en arrive donc à des absurdités comme de voir des bourgeois de la haute société qui se la jouent victime puisque, autiste, femme, homosexuel, noir, etc., alors qu’ils sont objectivement des dominants de par leur statut social ou bien ces histoires de langues et de symbole, à des années lumières de ce qui provoque concrètement la marginalisation des minorités que l’on souhaite émanciper.

Pour eux, le fait essentiel n’est donc pas l’injustice ou la réalité de l’oppression, mais le ressenti de celle-ci, ce qui fait que la sécurisation des catégories de gens jugés opprimés passe bien avant la lutte contre le système qui engendre les discriminations[3]. C’est pour cette raison qu’il n’est pas contradictoire pour un « woke » de propager les pires généralisations sur les groupes dits dominants et, en revanche, de ne rien tolérer de ce qui touche (ou qui pourrait toucher) ceux qualifiés de dominés. Même si dans les faits les définitions de ces groupes sont toutes sauf scientifiques (surtout pour ce qui est des soit distantes races) et que les discriminations décriées sont pratiquement toujours intersectionnelles[4]. Tout ce qui compte c’est l’état d’esprit du moment et de ce que l’on qualifie d’acceptable à l’instant T.

Comme je l’ai évoqué précédemment, cette pensée est en perpétuel mouvement et n’est pas limitée par le savoir objectif, alors ce qui est « acceptable » aujourd’hui ne le sera pas nécessairement demain. Un livre du 19e siècle comme « Nord contre Sud » (Jules Verne) dénonçant l’esclavage, mais qui utilise les termes de son époque sera inévitablement mis un jour à l’index, puisqu’il utilise le mot en « N » et utilise des stéréotypes. Je l’affirme, car c’est à peu près ce qui s’est passé pour la peinture « Life of Washington », qui est une peinture dénonçant l’esclavage, mais qui fut éliminé du lycée George Washington, parce que jugé raciste ! On en vient à censurer le fond en raison de la forme, puisque ce qui est recherché n’est pas la dénonciation de l’injustice, mais le maternage de population que l’on souhaite protéger de la société par l’illusion et le subterfuge (« les safes spaces »).    

C’est probablement cet état d’esprit qui guide les choix des militantes comme Suzy Kies. Un livre comme Tintin en Amérique (1932) ne sera donc pas jugé sur son contenu (somme tout positif envers les Premières Nations, si nous tenons compte de l’époque), mais sur l’usage de termes et d’illustrations désormais jugés offensants. La question de l’appropriation culturelle et des déguisements ne sera pas non plus jugée sur la base de principes universels, mais sur la seule sensibilité des personnes touchées, même si celles-ci ne font pas partie de ces communautés d’après leurs propres principes. 

Disons-le tout net, le « wokisme » est en phase de désintégration et ses propres contradictions sont en train de détruire le mouvement de l’intérieur, alors il n’est nul besoin d’en faire des tonnes sur les scandales estivaux et autres faits divers. Non, le problème réside dans l’effet « backslash » qui profite à la droite et surtout à l’extrême droite, puisqu’elles se donnent de la légitimité sur leurs dérapages tout en récupérant des concepts qu’elle méprise, comme l’universalisme et l’antiracisme. 

Non, il n’est pas normal que le racialisme de la soi-disant « théorie critique de la race » (entre autres exemples) soit uniquement et hypocritement dénoncé que par les réactionnaires. Je sais qu’il est parfois difficile de critiquer son propre camp, sans se faire malmener par les adeptes de ces idées. Néanmoins, cela reste absolument nécessaire pour la salubrité idéologique des organisations progressistes, en plus de les aider à rester en phase avec les masses laborieuses qui ne suivent pas ce genre d’évolution sociétale (du moins, pas à cette vitesse). 

Rappelons que les principes du socialisme ont pris du galon en 150 ans et si moi-même je ne suis rien, j’hérite de siècles d’universalisme et de science, alors j’ai moins besoin de me référer à mon propre ressenti et à mes intérêts individuels, pour juger une situation, que d’une grille d’analyse doctrinale efficace et de connaissances scientifiques solides. Est-ce que quelque chose est juste ou vrai ? Et surtout, est-ce que ça l’est pour tous les humains et dans tous les cas ? Voici le genre de questions qui doivent prédéterminer un avis éclairé et minimalement objectif. 

Brûler des livres ou recycler les pseudosciences, parce que ça serait sécurisant pour certains, n’est pas acceptable éthiquement et ne change de toute façon rien aux problèmes concrets vécus par les populations marginalisées. Les bulles de protection ne sont que des illusions qui nuisent au véritable combat pour l’émancipation, puisqu’il ne s’agit que d’une version 2.0 de la bonne vielle « opium du peuple », toujours aussi dommageable qu’auparavant. 

La vérité et la justice sont des concepts vaste et parfois flou, je l’admets sans problème, mais ils sont aussi porteurs d’objectivité et d’universalisme. S’il y a parfaitement lieu de traiter respectueusement les victimes systémiques de nos sociétés et d’adapter notre démarche en conséquence, il faut savoir se garder de catégoriser les humains dans des cases identitaires et ainsi leur présumer des caractères négatifs comme positifs, puisque le genre humain est équitablement dosé en défaut comme en qualité, peu importe les catégories duquel on parle[5]. 

Reste juste à ce que le genre humain soit équitablement dosé en droit et justice sociale, car c’est bien par cette voie que nous éliminerons les stéréotypes et les préjugés et certainement pas en cachant ou en brulant les souvenirs du passé !

Benedikt Arden, septembre 2021 

***

[1] C’est un peu comme si on reprochait à George Lukas, dans la première trilogie Star Wars, de ne pas avoir donné assez de place à la diversité dans les rangs de l’empire, alors que l’esthétique de celle-ci est directement calquée sur le 3e Reich (tous des hommes blancs), dans l’objectif plus qu’évident de créer un contraste avec les rebelles, qui eux sont mixtes (hommes, femmes, aliens, etc.). 

[2] Cité depuis l’étude « L’idéologie woke. Anatomie du wokisme (1) »

[3] L’exemple typique est le concept de « pauvrophobie » ou de « classisme » qui entend protéger les pauvres des préjugés des riches, alors que c’est la conscience de classe, résultante de ce « classisme », qui est à l’origine de la lutte des classes, donc de l’émancipation des pauvres.

[4] Les gens faisant partie d’une catégorie de dominés font généralement partie d’une des catégories dominantes et sont donc à la fois dominés et dominants. La réalité est plus complexe que les slogans. 

[5] Je parle ici des catégories identitaires et non pas des classes sociales, puisque celles-ci sont productrices d’intérêt de classe, donc de croyances idéologiques affiliées à ces classes.

vendredi 16 juillet 2021

Avoir des opinions est une chose, tordre les faits en est une autre !

Le problème que j'ai avec la critique sociale-démocrate des états socialistes*, c'est qu'elle tiennent rarement compte des conditions concrètes de l’exercice du pouvoir. Que ce soit les relations géopolitiques, la guerre imposée par la bourgeoisie ou des manigances secrètes des grandes puissances, toutes surdéterminent le champ d’action de ces fragiles États et impose des mesures qui une fois décontextualisée peuvent paraitres autoritaires, mais qui s’impose par la réalité de la guerre des classes. Ces critiques partent donc du principe que tout est possible et que seul le manque de volonté des dirigeants empêcherait l’émergence d’une utopie libérale ou libertaire et socialiste.

Souvent issue d’informations partielles, décontextualisées ou de fausses nouvelles, l’opinion de ces critiques « de gauche » sous-entend ainsi que LEUR projet politique ne souffrirait pas de pareilles contraintes s’ils gagnaient les élections (ou une révolution) et que les États impérialistes et la bourgeoisie locale accepteraient leur socialisme puisque LUI serait suffisamment « démocratique ».

Pourtant, si TOUS les États socialistes, passé ou présent, ont été traités de dictatures ce n’est pas parce que le socialisme est intrinsèquement contraire aux droits de l’homme, mais bien parce qu’il est trop facile d’intimider les gens de gauche par ce biais-là et que la réaction ne se privera jamais de récupérer un discours plein de belles valeurs pour justifier sa domination sur le monde.

« Vous êtes pour les droits fondamentaux des êtres humains ? » « Donc vous devez être pour le libéralisme ! » « Fin de partie » (sic)

Pourtant, il n’est pas si difficile de s’informer de la réalité du terrain et de rester minimalement critique face aux montages médiatiques cousus de fil blanc, organisés par des groupuscules réactionnaires et la bourgeoisie du pays, présentés comme un « peuple agressé et opprimé par une dictature communiste ». Quand on voit le traitement médiatique et politique sans compassion que subissent les mouvements sociaux d’ici et des pays capitalistes alliés, on ne peut que constater le contraste. Comme si ces campagnes de presse avaient une orientation réactionnaire, malgré leurs beaux discours, leurs « valeurs » et leurs « bonnes intentions » ? Poser la question c’est bien sûr y répondre !

Aux critiques de la gauche plus à gauche que la gauche, comprenez que n'importe quel socialisme, aussi libertaire soit-il, sera toujours traité comme une dictature sordide et que la contre-révolution (même s’il elle est violente, voire carrément terroriste) sera toujours présentée comme légitime, puisque ces campagnes servent à intimider ceux et celles qui soutiennent les mouvements sociaux ici. Notons que même si l’État agressé ne se défendait pas et laissait le champ libre à la réaction, il serait assurément accusé d’État failli et serait vite renversé par une vraie dictature… mais libérale cette fois ! 

Et tout ceci parce que l’information est une guerre ! Et une guerre vieille comme la politique qui plus est !

Alors pourquoi le camp du « progrès » et de la « justice » n’est-il pas en mesure de défendre les bastions du socialisme ou du moins de ne pas se servir de cette vile propagande pour se faire mousser le nombril sur les réseaux sociaux ? Est-ce que la valorisation de l’égo, au travers du narratif de Twitter, est plus important que l’application concrète de ses idées ? Apparemment ça l’est pour une ribambelle de soi-disant « socialistes » qui ont visiblement plus d’intérêts à mousser leur carrière via le posturalisme bon chic bon genre que par la mise en place de leurs soi-disant valeurs !

Néanmoins, est-ce que tout est parfait à Cuba, au Venezuela et chez les autres pays en luttes ? Bien sûr que non et là n’est pas le sujet. Le sujet est de ne pas jouer le jeu de la réaction et d’être conscient que le jour où nous serons proches du pouvoir, les mêmes armes seront utilisées contre nous et pour les mêmes raisons. Les États socialistes peuvent et doivent être critiqués, mais de manière constructive et notamment sur la base d’informations contextualisées et fiables. Et surtout, surtout, surtout en dehors des périodes de bashing médiatiques !

Face au mur de l’argent, aux médias privés, des services secrets et à la puissance des réseaux de la bourgeoisie internationale, il est nécessaire d’utiliser notre seul atout : le nombre. Et cet atout passe par la solidarité envers les peuples en lutte, mais aussi envers les États issus de ces luttes, puisqu’elle est dans l’intérêt de tous ! Dans la division et seul sur terre, il est incroyablement plus difficile de changer les choses, puisque le camp de l’exploitation et du despotisme économique est uni et frappe fort tous ceux qui osent remettent en cause son hégémonie. Alors, soyons unis nous aussi dans la défense de ces petits États en lutte, puisqu’ils nous le rendent bien par leur expérience et qu’ils vivent dans le présent ce que nous devrons affronter demain.  

Donc pour aujourd’hui et pour encore longtemps, défendre le Cuba révolutionnaire et socialiste c'est défendre notre propre droit au socialisme et à l’indépendance !

Benedikt Arden (juillet 2021)

(*) Entendre par « États socialistes », tous pays dirigé par un parti communiste, social-démocrate authentique ou tout autre organisation de gauche ayant comme projet de sortir du capitalisme. 

mercredi 7 avril 2021

2021 : Odyssée de l’impasse

Je sais, j’ai été assez silencieux dans les derniers mois. Je crois que j’avais besoin de prendre un peu de repli, mais c’est aussi la lassitude du débat public qui explique ce recul. Je sais que c’est loin d’être la première fois que je me plain de la pauvreté de l’argumentaire et de la confusion ambiante, mais disons que la période a encore clairement baissé d’un niveau. Cet état d’esprit s’explique peut-être en bonne partie par les effets néfastes de l’isolement sur le moral des gens? Pourtant, le climat de confusion et d’autosatisfaction, bien propre aux réseaux sociaux, était bien là avant la pandémie.

Les effets néfastes des algorithmes sur nos vies semblent s’être grandement intensifiés depuis la dernière année et la disposition qu’ont nos contemporains à se complaire benoîtement dans leur bulle idéologique semble plus forte que jamais. Et ce n’est pas les influenceurs les plus à la mode (conspirationnistes, conservateurs identitaires, progressistes petits-bourgeois, néolibéraux, etc.) ou la propagande gouvernementale qui viendront améliorer les choses, puisqu’ils tirent désormais tous leurs succès de ces bulles et sont généralement à l’origine des conneries qui nous servent de débat public. Par chance, j’entends et je lis toujours ici où là des contenus dignes d’intérêt, mais ceux-ci se trouvent grandement dilués dans le flux et le pire l’emporte sans conteste sur le meilleur…

J’aimerais vraiment mettre le monde anglo-américain de côté, car celui-là est parti en vrille depuis belle lurette et est devenu un réservoir de connerie inépuisable. J’essaie donc autant que possible d’éviter son influence, mais ce pays comporte un « soft power » si puissant que son influence s’impose quand même à moi. De toute façon, il me sera inutile de faire comme si ces idéologies n’existaient pas puisqu’ils font partie du débat public, que je le veuille ou non. Cependant, ne vous inquiétez pas, je vais laisser les goules présidentielles étasuniennes et leurs apôtres là où ils sont, pour me concentrer sur le monde francophone et ce qui s’y passe.

Parlant de francophonie et de goules présidentielles ! La France n’est pas en reste et est également devenue une véritable curiosité. La situation là-bas est véritablement désespérante et je plains les militants de gauche pour ce climat proto-apocalyptique. Rien qu’à voir et entendre ces politiciens dénoncer à corps et à cris leurs délires sur « l’islamo-gauchisme » dans les universités et craindre le « séparatisme » et que cela fasse mouche, il est difficile de ne pas interpréter cette dérive comme de la folie collective. Cependant, je ne doute pas de la santé mentale des personnes qui tombent dans le panneau et personne ne devrait être dupe de ce débat sur le sexe des anges en cette période si importante pour le futur. Un minimum d’analyse démontre facilement le but de ce nuage de fumée appelé « débat ». Il s’agit tout simplement d’un cas d’école de diversion politique, dans le cadre de la future campagne électorale de 2022. La confusion idéologique est parfaitement voulue. Néanmoins, l’entretien de ce débat, fixé sur les thèmes de l’extrême droite, par une majorité du spectre électoral (qui va du Rassemblement national au parti socialiste) est symptomatique d’un vide idéologique et d’un cynisme exacerbé.

L’objectif de ce débat sur le « séparatisme » et « l’islamo-gauchisme » est une pure entreprise politicienne qui sert évidemment à enterrer la gestion calamiteuse de la pandémie (ils ont vu ce que ç’a a coûté à Trump) et vise essentiellement à nuire à la France Insoumise afin de s’assurer un deuxième tour avec Marine Lepen. C’est là le scénario visé par le pouvoir, puisque c’est celui-ci qui a servi à faire élire Macron en 2017. Ce scénario pourra d’une part évincer les discussions sur le « bilan progressiste » de Macron, au profit de la tentation du moins pire. Cependant, le projet est devenu quelque peu hasardeux, puisque Macron et son gouvernement ont tellement dérivé à droite, que les castors[1] risquent bien d’être une espèce en voie d’extinction le jour du scrutin ! Après tout, depuis que les ministres macronistes ont reçu l’ordre de jouer les conservateurs et qu’ils peuvent présenter Marine Lepen comme plus « molle » et « branlante » qu’eux sur la question de l’islamo-gauchisme[2], il n’est pas certain que le Rassemblement national (RN) ait à faire face à un énorme barrage antifasciste puisque, comme l’a dit le ministre Darmanin à propos du livre de MLP « Objectivement, à part quelques incohérences, j’aurais pu le signer ce livre. Vous décrivez l’islamisme de manière extrêmement claire ».  

De plus, la violence de l’exécutif a laissé plus d’une cicatrice sur ceux qui devraient voter contre Lepen (en votant pour eux). À force de se faire tabasser dans les rues, de se faire traiter « d’islamo-gauchiste » et de voir le gouvernement soutenir une organisation policière, devenue un relais officiel de l’extrême droite, ceux-ci pourraient bien se dire (à raison) que le fascisme est déjà au pouvoir ! De mon point de vue, le RN peut difficilement faire pire que Macron en termes d’injustice sociale. La grande différence, hormis son racisme décomplexé, est que ce parti n’aurait pas autant de soutien de la bonne bourgeoisie bon chic bon genre et aurait à faire face à plus de critiques médiatiques. Néanmoins, cela est aussi en train de changer depuis que le milliardaire Vincent Bolloré s’est mis en tête de créer plusieurs petits « Fox news » potentiellement pro RN.

J’avoue humblement que cette dénonciation de l’extrémisme en France a déjà été faite par ma douce main en 2016 et que le constat se révèle fidèle en continuité. À l’époque il s’agissait d’un gouvernement du Parti « socialiste », mais l’héritier évident de François Hollande en 2017 était Macron. Définitivement plus que l’ancien candidat PS et son positionnement très à gauche[3]. Enfin, tout cela pour dire que le destin politique de la France est particulièrement noir et le militantisme anti-Mélenchon que je vois et lis sur le Net, surtout celui en provenance de membres de son allier naturel (le PCF) et d’autres factions de la gauche, ressemble franchement à de l’autodestruction, voir du nihilisme[4]. Ça l’est d’autant plus si l’on se rappelle les résultats obtenus en 2017 et considérant les actuelles circonstances qui sont encore plus propices aux changements qu’il ne l’était il y a 4 ans !

Pourtant, je comprends que le nihilisme soit en hausse là-bas, puisqu’il l’est aussi chez nous. Le nihilisme est un sentiment assez naturel après une phase de déception. Cependant, il arrive bien souvent que le nihilisme soit également le vecteur de changements idéologiques qui peuvent s’avérer particulièrement nocifs. Le vieil électorat péquiste, par exemple, est très avancé dans cette voie et la mutation définitive du nationalisme de libération en conservatisme identitaire est quasiment acquise. Le soutien populaire dont jouit la CAQ malgré sa gestion autoritaire et paternaliste, qui ne va pas sans rappeler celle du parti libéral, s’explique en bonne partie par cette mutation. Même si la CAQ a perdu le soutien des groupes populistes, qui se sont convertis au conspirationnisme entre temps, cela ne les empêchera pas de reprendre le pouvoir facilement, dans l’état actuel des choses.

Comme en France, les luttes intercommunautaires et partisanes ont bien souvent comme conséquence d’empêcher tout regroupement de masse autour d’une formation politique, voire d’un simple projet de société. C’est d’ailleurs décevant que cela soit le cas en ce moment, puisque la situation comporte plusieurs opportunités politiques majeures. Les fondamentaux sont bien là, mais ce sont les forces sociales qui sont aux abonnés absents. Ce qui n’est pas du tout le cas de l’extrême droite, qui fait feu de tout bois et qui est en hausse un peu partout dans le monde.

Le Québec n’est pas menacé comme le sont la France ou les États-Unis, mais le terreau est tout de même là. Ce qui protège encore le Québec et le Canada, hormis le système politique, est le manque de leadeurs et le « ticounisme » de ses militants. Néanmoins, des influenceurs émergent de jour en jour dans les médias comme le Journal de Montréal ou les radios parlées, mais pour le moment, le véhicule politique reste absent. Le seul représentant d’extrême droite actuellement électibles en politique est Maxime Bernier et son Parti populaire, mais ceux-ci ne forment pas une menace[5].  En fait, le système électoral canadien n’est pas très adapté à l’émergence de nouveaux partis (c’est fait exprès).

Un peu comme aux États-Unis, c’est de l’intérieur des partis institutionnels que peuvent provenir les futurs « Duces ». Mais ceux-ci n’apparaîtront pas par magie, mais en réaction à une menace que la population percevra à tort ou à raison et qui devra bien sûr être combattue par un pouvoir « fort ». Le populisme de droite doit s’appuyer sur les peurs de la population et ces peurs ne peuvent évidemment pas être de nature sociale, puisque l’usage historique du fascisme est justement d’embrouiller l’identité de classes. Le ressort à l’islamophobie est devenu une carte maîtresse pour ce genre de personnage, mais depuis quelque temps, la lutte aux théories de la deuxième gauche (ce qu’on appelle désormais le « wokisme ») est aussi devenue extrêmement payante, puisque cette gauche organise elle-même sa propre caricature et s’offre à la droite comme un épouvantail bien pratique.

On dit souvent que l’Histoire bégaie et il est vrai que la situation présente pose un certain nombre de similitudes avec des périodes antérieures. D’abord, la situation économique des puissants est sur la corde raide et leurs contradictions les rendent incapables de refonder le libéralisme pour le rendre pérenne. Ensuite, les anciens partis politiques sont à peu près partout en train de s’effondrer ou en perpétuelle mutation, ce qui rend presque impossible la mise en place d’un projet politique faisable, au profit de la communication la plus délétère. Ajoutez à cela un contexte d’irrationalité et de religiosité grandissante, dans un monde où la sociabilité et la sensibilité sont gérées par les réseaux sociaux, et vous avez une société qui part en vrille.

Concernant le progressisme petit-bourgeois. Comme vous le savez sans doute, ce que l’on appelait deuxième gauche, et maintenant « wokisme », est le produit de plusieurs décennies de travail intellectuel voulant faire sortir la gauche politique du dilemme communisme contre capitalisme, en élargissant le champ d’étude des problèmes sociaux. Noble idée, dirons-nous. Et l’évolution des sociétés, depuis les changements de mœurs en passant par l’immigration, nécessitait bien cette contribution, mais la baisse d’influence des partis communistes et la droitisation des sociaux-démocrates, a renversé la situation et crée d’autres problèmes non moins graves.

Le regard tenu sur le volet identitaire dans les problèmes sociaux lève le voile sur des problèmes et des tabous qui portaient préjudice au mouvement social. Cela est incontestable. L’homophobie, le racisme et le sexisme étaient des tares qui devaient être soulevées et combattues, même à l’intérieur du prolétariat. Cependant, ces causes pour la représentation identitaires ont pris une place démesurée à gauche. Au point de faire jeu égal avec la guerre des classes, quand elle ne la nie pas carrément! Ce genre de progressisme devient donc « capitalist friendly » et peut aisément se faire récupérer par la bourgeoisie, qui cherche à pêcher du vote progressiste à peu de frais (Trudeau, Biden, Macron, etc.). C’est pourquoi je parle de progressisme bourgeois.

Néanmoins, le véritable problème ne se trouve pas seulement là. Celui-ci est également idéologique. Depuis l’explosion des causes identitaire et surtout depuis l’exacerbation du concept de « safe space », on perd des acquis doctrinaux fondamentaux, qui faussent l’analyse rationnelle du monde au profit d’un relativisme qui pose plus de problèmes qui offrent de solution. Pensons juste à ce concept idiot de « classisme » (discrimination sur la base de la classe sociale), qui emprunte aux causes identitaires son substrat idéologique. S’il est vrai que les pauvres peuvent bien être blessés par la stigmatisation des riches, l’idée de « safe space » pour les pauvres, qui auraient un soi-disant besoin d’être respectés par les riches, est une aberration et une insulte à la dialectique, puisque cela revient à promouvoir la collaboration de classes !

D’autre part, le rapport trouble à l’identité des minorités et des majorités pose également un grave problème, puisqu’elle essentialise les identités tout en les présentant comme des constructions sociales, ce qui rend leurs thèses incompréhensibles par la population et la fait même passer pour raciste (ce qu’elle est parfois aussi, il faut l’avouer). Pire encore, plus le processus de radicalisation se poursuit sur les réseaux sociaux, plus les thèses de la nouvelle gauche perdent de vue les pratiques politiques concrètes et prennent le ton d’une posture morale individuelle en recherche de reconnaissance. Les réseaux sociaux étant ce qu’ils sont, tout ce petit monde ajoute leur petite touche de radicalité et un jour après l’autre, année après année, ils en viennent à oublier complètement la lutte des classes. Cette évolution est devenue une telle caricature que des millionnaires racisés et des têtes couronnées peuvent désormais se permettre de parler de « privilèges blancs » et de premiers ministres en exercice se permettent de manifester contre le racisme systémique …

La dérive idéologique des identity politics est donc un véritable problème à gauche, puisqu’elle détruit les bases de l’identité de classe en divisant la population en catégorie identitaire concurrente. Au point même de maintenant se méfier des principes rationalistes et universalistes qui faisait autrefois consensus à gauche. Et c’est d’autant plus le cas, qu’ils sont désormais habillement récupéré par la droite et l’extrême droite afin de monter le prolétariat dit « blanc » contre le prolétariat racisé. Et comme pour les adeptes de la morale petite-bourgeoise résonne souvent de façon binaire, un principe récupéré par la droite, même s’il est présenté de façon hypocrite, devient un argument de droite ! C’était le cas hier pour la liberté d’expression, c’est en trait d’être aussi le cas pour l’universalisme et l’inexistence des races (l’antiracisme quoi!).

Il y aurait fort à dire sur l’évolution récente des thèses de la deuxième gauche et surtout de leur expression sur les réseaux sociaux, mais l’idée n’est pas d’ajoutée de la division, mais bien de promouvoir l’unité des forces sociales. Néanmoins, cela ne peut pas se faire à n’importe quel prix, notamment celui de la collaboration de classe. L’intersectionnalité des luttes est un concept qui est nécessaire dans la situation présente puisqu’il représente un compromis dans la diversité des causes qui anime la gauche. Cependant, l’intersectionnalité promue par les plus extrémistes de la deuxième gauche ressemble plus à une politique de caste qui lutte contre le groupe majoritaire, qu’une rationnelle coordination des causes identitaires et sociales. Pourtant, cela serait si facile étant donné que les discriminations systémiques ont toutes la même origine : le capitalisme !

Au lieu de cela, on préfère semer la zizanie dans les groupes militants sur des bases identitaires qui devraient être déconstruites, mais qui sont imposées aux gens, en dehors de tout mérite ou vice personnel. Cela porte son lot de problèmes, mais l’élément le plus grave est que cette folie identitaire répugne de jour en jour davantage la participation de la majorité de la population alors même que c’est à travers l’action de celle-ci que le système peut être changé. Et si une majorité de ces gens se tourne dans l’abstention ou le cynisme, ceux qui sont le plus choqués par ce genre « d’intersectionnalité » iront grossir les rangs du populisme de droite.

C’est exactement ce qui se passe en France et aux États-Unis et c’est aussi ce qui risque d’arriver ici, lorsqu’une personnalité inattendue et disposant de charisme décidera de faire son Trump. Comme je l’expliquais plus haut, c’est le terreau social qui fait émerger les monstres et tout est fait pour que ceux-ci apparaissent. Pourtant, il serait simple et logique de s’entendre sur un programme minimal basé sur une réelle intersectionnalité des luttes. Mais non! Tantôt c’est l’ego des politiques ou ceux des justiciers du net, tantôt c’est la partisanerie qui favorise le parti au détriment des causes qu’il défend. Tout est fait pour installer le cynisme et favoriser l’essor de la droite, malgré ce boulevard progressiste qu’offre l’actuel effondrement du néolibéralisme …

Enfin, j’espère que j’ai tort et peut-être que c’est moi qui vois du noir partout, mais pour l’heure on ne va pas du tout dans la bonne direction. Mais comme la seule bataille perdue d’avance est celle que l’on ne mène pas, je vais essayer de me refroidir l’esprit et revenir un tant soit peu dans cette fameuse bataille d’idées.

Espérons juste que je ne sois pas le seul !

Benedikt Arden (avril 2021)


[1] Petit nom sympatoche donné à ceux qui votent pour le candidat libéral contre l’extrême droite au deuxième tour des présidentielles. Ceux qui font « barrage » à l’extrême droite.

[3] Ce n’est pas pour rien que Benoit Hamon a quitté le PS.

[4] Il s’agit surtout de la bonne vieille partisanerie des familles, qui fait passer l’intérêt du parti sur celui des causes qu’il défend. La pauvreté de l’argumentaire des partisans anti-Mélenchon est là pour le prouver.

[5] Je néglige les petits partis qui ne comptent pas, comme le CAP.