vendredi 26 mai 2017

Malédiction derrière la convergence ...

C’était à l’occasion du long weekend de la commémoration des patriotes qu’avait lieu le congrès de Québec solidaire (QS) et de son fameux vote sur la possibilité d’alliances entre partis souverainistes. C’est-à-dire, le Parti québécois (PQ) et Option nationale (ON). Plusieurs en attendaient beaucoup (probablement un peu trop), même si ces potentiels pourparlers n’étaient qu’un simple prélude hasardeux. Mais il n’en demeure pas moins que bien des souverainistes voyaient en cette alliance « souvrainisto-progressiste » une réelle solution pour 2018.

Résultats des courses, si les congressistes ont refusé les pourparlers avec le PQ, ceux concernant ON ont été accepté. Ce qui démontre au moins assez clairement que les membres de QS sont potentiellement capables de renforcer leur position sur l’indépendance, malgré les gains électoraux négligeables que provoquerait cette fusion au sein des intentions de vote[1].

En conséquence, le résultat des votes concernant les alliances souverainistes est donc clair : QS embrasse la cause de l’indépendance, mais rejette son « vaisseau amiral ». Mais pourquoi ce rejet ? Pour les militants de QS, c’est d’abord pour son attitude face au conservatisme identitaire plus ou moins assumé et accessoirement pour ses positions ambiguës en matière environnementale et sociale. Mais à écouter les militants péquistes dans leurs diatribes, cette position de rejet irait « contre toute logique » et n’aurait comme autre conséquence que de « voler des votes au PQ ».

Évidemment, ces militants se gardent bien de répondre aux critiques du PQ, qui engendre ce désamour. Vous savez, ces zones grises sur des questions pourtant fondamentales pour un parti se prétendant indépendantiste, comme celui du mode de scrutin, des moyens d’accession à l’indépendance, l’échéance, voire l’indépendance elle-même ! Et je ne parle même pas de toute l’ambiguïté derrière le soi-disant « progressisme » de l’appareil du Parti québécois[2] et de son refus de comprendre que les électeurs sont libres de ne pas voter PQ s’ils ne le trouvent pas convaincant.   

Enfin, le schéma pour ces militants est tristement toujours le même et se limite à donner carte blanche à la direction du PQ et le plein appui dans ses châteaux forts comme position de « gros bon sens », car la formation serait potentiellement « plus à même de remplacer les libéraux » au sein du gouvernement. Mais, en dehors du fait que le PQ ait lamentablement échoué à cette tâche[3] lors de sa dernière expérience au pouvoir, il n’en demeure pas moins que c’est beaucoup demander à la direction de QS que de donner cette carte blanche au PQ. Car il est peu probable que le PQ veuille laisser autre chose à QS que ces propres conquêtes et les circonscriptions où le PQ n’a aucune chance de gagner. Autrement dit, un marché de dupe. De plus, il ne faut pas perdre d’esprit que le PQ est en déclin constant et que QS fait normalement ses conquêtes sur les terres péquistes et non l’inverse, ce qui rend l’offre encore moins intéressante. Cela va de soi ! Et tout ceci additionné aux griefs idéologiques qu’ont ses militants et mentionnés ci-dessus.

Malgré la déception de certains, QS semble avoir le vent dans les voiles depuis ce congrès et se prétend même être en mesure de battre les libéraux aux prochaines élections. Malgré tout l’engouement suscité par QS, il n’est pas encore tellement crédible que ceux-ci soient un réel concurrent pour le PLQ en 2018. Mais il n’est pas impossible que leurs appuis et représentations augmentent significativement dans certains centres urbains (même hors de Montréal). Et cela au détriment du PQ, comme toujours. Il est donc compréhensible que les membres de QS n’aient pas accepté de se faire avaler par un PQ en déclin. D’autant plus que c’est ce même PQ (du moins, celui de Lucien Bouchard) qui abandonna l’électorat progressiste francophone dans les années 90-2000 (parce qu’un peu pris pour acquis, il faut bien l’admettre) et qui engendra l’espace politique qu’occupe maintenant QS.  

Malgré ces quelques griefs envers l’appareil et la base du PQ, je me dois de préciser que QS n’est pas sans fautes non plus dans cette histoire et leur stratégie, même s’ils la présentent comme étant comparable à celle de la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon (JLM), n’est pas de même nature. Et cela depuis le tout début de sa fondation. Les mouvements progressistes qui marchent dans le monde ont tous comme base un programme minimal de convergence. Programme minimal permettant d’établir un objectif clair et de faire le pont entre différents mouvements et forces sociaux propres à chaque pays contre leurs représentants néolibéraux[4]. Si QS est effectivement une convergence, celle-ci l’est d’abord entre la social-démocratie radicale (Union des forces progressiste) et les représentants politiques du mouvement communautaire (Option citoyenne). De la coalition solidaire est visiblement absente tout un pan du mouvement syndical (notamment celui des régions) et des indépendantistes[5], ce qui n’est pas négligeable comme forces sociales encore plus ou moins proches du PQ. C’est d’ailleurs ces dernières forces qui misaient le plus sur cette alliance.

En fait et pour continuer la comparaison avec le contexte français et québécois, QS serait plutôt comparable à une alliance entre le Front de gauche et le NPA, quand la France insoumise est d’abord une coalition de partis politiques, groupes sociaux, environnementaux, socialistes et syndicaux autour d’un programme pragmatique et évitant les sujets inutilement polémiques. Les éléments qui divergent le plus entre ces deux coalitions, est que la France insoumise s’est construite d’abord et avant tout sur la mise au banc des partis[6] et de leurs besoins de domination idéologique, pour se focaliser sur un programme minimal de convergence qui sut fonder le mouvement de masse que l’on connait aujourd’hui. Tout le monde y trouve son compte, malgré les profondes divergences entre les groupes qui soutiennent ce mouvement.  

Pour ce qui est de QS, le programme est tout sauf minimal et comporte une multitude de points polémiques propre à éloigner bien du monde. Notamment sur les questions identitaires, qui, trop souvent, prennent appui sur une réalité subjective des discriminations au lieu de focaliser sur le cadre social et juridique à l’origine des discriminations. Autrement dit, QS exclut implicitement tous ceux qui ne sont pas acquis aux discours parfois provocateurs des groupes féministes, LGBT, immigrés, musulmans, etc. Et ces gens, surtout en région, sont très loin d’être tous de droite, malgré ce que l’on en dit à Montréal. Comme je l'ai écrit déjà à mainte reprise, il est stratégiquement idiot de rejeter tout un pan du mouvement syndical et souverainiste par simple dogmatisme idéologique. Quand on aurait tous à gagner de les écouter, afin de comprendre leurs peurs pour ainsi y répondre sans mépris. Cette ouverture a été l’un des grands succès de JLM, car la stratégie de pureté de la vieille gauche française (comparable à celle de QS) est une des grandes raisons qui ont fait du Front national le 1er parti ouvrier de France. Depuis que la France insoumise daigne parler avec les électeurs du FN (du moins, son électorat ouvrier et précaire), ces derniers peuvent se réconcilier avec la gauche et ainsi court-circuiter la propagande identitaire du FN. C’est d’ailleurs une stratégie que Québec solidaire professe depuis longtemps pour communautés culturelles (surtout musulmanes), alors il n’est pas logique de ne pas l’appliquer aussi aux Bernard Gauthier du Québec profond.

Je sais que cet intérêt porté aux régions n’est pas directement mis de côté par l’appareil de QS et ces derniers se défendraient bien sûr d’abandonner les régions. Mais il n’en demeure pas moins que le programme identitaire (de gauche) très étoffé de QS rend la discussion difficile au même titre que la charte des valeurs a su brouiller le PQ d’avec l’électorat immigrant. Le programme de QS est rempli de vœux pieux et de jugement de valeur qui n’apportera rien de neuf s’ils devaient arriver au pouvoir[7], mais qui lui aliène un grand nombre d’électeurs antilibéraux susceptibles de les soutenir pour leur programme économique, environnemental et démocratique. Ces électeurs, au même titre que ceux du FN, sont tout à fait mûrs pour une récupération populiste et forment un électorat tout prêt pour le parti qui saura jouer au mieux la carte sociale et identitaire.         

Par chance, ce jour n’est pas encore arrivé. Mais ne soyons pas naïfs, le conservatisme identitaire fleurit de jour en jour sur le terreau qu’engendre les extravagances de certains groupes proches de QS et dont le fonds de commerce est plus de culpabiliser les masses que de lutter réellement contre les discriminations. Si QS se veut un mouvement de masse, celui-ci devra rejeter le culpabilisme que professent ses composantes identitaires (de gauche) extrémistes, car ces derniers seront toujours un repoussoir pour la majorité de la population et lui aliénera le soutien des masses[8]. Et est-il besoin de rappeler cette évidence qu’un mouvement de masse ne peut se faire sans le soutien de cette même masse ?

En somme, je ne crois plus aux chances de revoir un PQ sain depuis belle lurette, mais Québec solidaire est encore actuellement loin d’être sur la voie du pouvoir et donc de l’indépendance. Tant et aussi longtemps qu’ils seront prisonniers de leurs positions moralisatrices et que ceux-ci regarderont de haut les gens des régions (qui sont un électorat objectivement et subjectivement discriminé !), le pouvoir ne saura être ailleurs que dans les mains du PLQ, voire pire … 

En fin de compte, et si le vote a su décevoir bien des gens, les choses ont désormais le mérite d’être claires pour la suite du calendrier politique. Reste à savoir si le PQ de Lisée voudra continuer dans la voie d’un parti qu’il prétend progressiste ? Autrement, nous aurons une nouvelle fois la preuve que cette main tendue n’était qu’une manœuvre (toute Liséenne) ne visait qu’à avaler la gauche du Québec pour mieux la tuer !

Benedikt Arden (mai 2017)        



[1] Le petit 1% d’électeur d’Option nationale ne sera pas mathématiquement acquis à QS, malgré des négociations favorables.
[2] Comme la fameuse « gauche efficace » de son chef.
[3] C’est-à-dire remplacer durablement le PLQ.
[4] Le plus souvent représenté par les partis traditionnels de l’axe gauche-droite.
[5] La base des souverainistes est rarement un soutien des politiques néolibérales.
[6] JLM a mainte fois dénoncé les alliances entre partis et l’opportunisme qui s’en apparente.  Les déboires avec l’appareil du PCF sont directement liés à ce point.
[7] Voir le point 1 du document « Pour une société solidaire et féministe » qui est un copier-coller de la charte des droits présentement en vigueur, mais tout en imposant une vision moralisatrice et subjective de la société québécoise. Ce qui les emmène à promouvoir tout un ensemble de privilège et de discrimination lié à la « race », le sexe, la religion, etc. au lieu de changer les structures économiques qui engendraient l’égalité de tous.
[8] La lutte contre les discriminations et le culpabilisme ne sont en rien liés. Le culpabilisme est la plupart du temps contreproductif, car n’excitant que la réaction tout en ayant un potentiel d’éducation quasi nul.  

vendredi 19 mai 2017

Entre gauche morale et droite progressiste …

Après une longue activité politique, qui la mènera in fine comme députée de Gouin[1], Françoise David a finalement rendu son tablier en janvier dernier pour une retraite sans doute méritée. Ce qui aura comme conséquence de libérer la place qu’elle et son parti ont mis tant d’années à conquérir. Comme chacun sait, l’arrivée récente et en grande trompe de Gabriel Nadeau-Dubois (GND) dans l’arène politique fut tout indiquée pour défendre ce terrain conquis. GND étant une personnalité bien connue de la gauche québécoise depuis son rôle lors des événements de 2012[2], celui-ci devint tout naturellement la personnalité la plus à même de maintenir le flambeau solidaire dans cette circonscription. Depuis, plusieurs kilomètres de papiers d’opinion plus ou moins intéressants ont été publiés et les magouilles entre partis ont fait leur petit bout de chemin. Il y aurait fort à dire sur ce théâtre politique souvent grotesque, mais ce qui a attiré mon attention dans cette histoire fut cette candidature dite « atypique » que le Parti libéral du Québec (PLQ) a mise dans les pattes de GND, soit celle de Jonathan Marleau.

Cette candidature est considérée comme « atypique », mais à quel titre ? Car, en dehors de son élection comme président de la Commission-Jeunesse du PLQ, qui n’a rien de bien « atypique », ce qu’il lui vaut cette qualification relève du fait que celui-ci serait un membre de ce que l’on appelle « la communauté LGBT » ainsi que d’être natif de Port-au-Prince, en Haïti. Autrement dit, cette candidature libérale se présente comme un représentant des minorités éthniques et sexuelles. Évidemment, cela n’apporte rien de bien « atypique » non plus, mais son engagement au côté des « carrés rouges » a pour le moins tout pour surprendre.

Comme il l’a, lui-même dit : « J'ai porté un carré rouge, j'ai revendiqué dans le respect, j'ai fait résonner les casseroles, j'ai défendu l'économie du partage et dénoncer le racisme systémique ». Le portrait plutôt gauchisant des propos de monsieur Marleau est bien sûr à relativiser, car, à 20 ans, toutes les portes sont ouvertes, au même titre que les retournements de veste. Son militantisme en faveur de Uber et de son système intrinsèquement exploiteur ne laisse pas de doute sur sa vision sociale des choses. Pourtant ce militant libéral ne se prive pas d’une certaine rhétorique de gauche et le démontre sans complexe lorsqu’il affirme qu’il a « toujours eu le courage de défendre [s]es convictions, [s]es valeurs, celles du progrès et de la justice pour toutes les Québécoises et tous les Québécois […] » et qu’il « répond présent lorsqu’il est temps de représenter la jeunesse et la diversité québécoise »[3].

Il va sans dire que l’antiracisme bon chic bon genre du PLQ est dans l’ordre des choses, mais cette fois ils ont fait un nouveau pas dans la diversité identitaire (identitarisme de gauche) et semblent avoir en tête de jouer la carte des minorités contre le « mâle cisgenre blanc », un peu à la manière de ceux qu’on nomme un peu bêtement les « socials justice warriors » ou SJW[4]. Le PLQ étant l’archétype même du machiavélisme en politique, la tactique, même si extrêmement malhonnête, n’en reste pas moins bien pensée. Car le PLQ est incontestablement un parti néolibéral, donc théoriquement de droite, mais la prédominance des questions identitaires par rapport aux questions sociales de l’époque actuelle donne un contexte favorable à ce genre de confusion des genres.

Mais d’abord, en quoi est-ce que le PLQ et le néolibéralisme sont-ils de droite ? La question mérite réflexion, car à l’opposé de ce spectre politique nous observons de plus en plus de militants souverainistes, issus de la social-démocratie, voir du socialisme, dériver vers conservatisme identitaire (l’identitarisme de droite) pour des raisons que j’ai déjà expliquées à de multiples occasions. En fait, et avec cette montée des questions identitaires, on remarque aisément que le piler entre la gauche et la droite tend à ne plus être tout à fait le même.

Ce changement de paradigme entre gauche et droite n’est évidemment pas sans importance et je ne saurais cacher un certain agacement quand j’entends certaines personnalités de droite ou des représentants du pouvoir en place jouer les progressistes quand ces derniers sont d’abord les chantres d’un régime d’exploitation injuste. Que l’on parle d'éditorialistes, comme Martineau, Pratte et consorts ou les Couillard, Trudeau et compagnie, on est souvent surpris d’entendre (ou lire) ces derniers se prétendre progressistes et modernes à l’inverse d’une gauche souvent décriée comme « conservatrice », voir « réactionnaire ». Il va évidemment de soi que le terme de « progressisme » et celui de « moderne » sont tout sauf clairs et peuvent être utilisés à toutes les sauces, même s’ils évoquent normalement des idées de gauche. Il n’est donc pas interdit de prétendre que la privatisation générale des services publics, la destruction du droit du travail et d’une bonne partie de nos acquis sociaux soient une sorte « d'évolution » vers un certain type de « progrès » quand l’on est de croyance néolibérale. Tout le monde voit midi à sa porte quand nous avons à défendre nos idées et, hormis les divers courants conservateurs à l’ancienne, il est compréhensible que les représentants de ces options politiques se perçoivent comme étant les garants du « vrai progrès », même s’il s’agit d’idée directement issue d’une pensée économique datant du 18e siècle.

C’est pourtant à partir de ces notions troubles que sont le « progressisme » et la « modernité », que l’on essaie de faire passer l’ancienne division « souverainiste-fédéraliste » vers celui de l’axe « gauche-droite ». Sans pour autant éliminer totalement la division classique qu’avait cette notion, c’est-à-dire un positionnement basé essentiellement sur la question de la lutte des classes, celle-ci est sans cesse reléguée aux questions de société, liées à l’identité, aux valeurs ou à la morale. Quoique ces questions ne soient pas sans importance, on note rapidement qu’elles ont rarement le potentiel de changer radicalement la société. Le fameux « cabinet de la diversité » de Justin Trudeau nous l’a clairement montré depuis sa composition[5] en 2015.

L’idée de mettre plus d’emphase sur des positionnements plus idéologiques que constitutionnels n’est pourtant pas sans intérêt, puisque presque personne (hormis les fédéralistes lors des périodes électorales) ne semble voir dans l’indépendance une question d’actualité… Ce changement ne serait donc pas sans intérêt s’il devait servir à exprimer des projets de société explicites au lieu de servir de parures factices à des partis qui mériteraient surtout de disparaitre.

Afin de voir plus clairement dans cet imbroglio, je me dois de revenir sur quelques concepts de base, mais qui auront comme avantage d’éviter certains des malentendus et des lieux communs qui troublent ces enjeux.  

En premier lieu, je rappelle que les notions de gauche et de droite sont des étiquettes politiques qui ont normalement comme usages de positionner idéologiquement des personnes, des organisations ou des partis par rapport à un centre (le pôle de gravité idéologique pourrait-on dire). La période qui fût à l’origine de ce concept relève donc directement de cette dichotomie, soit une division sur la nature du régime politique de la France du 18-19e siècle (monarchie ou république). De ce point de vue, il n’y donc pas de corpus doctrinal précis à appliquer à ce qu’il est convenu d’appeler « droite » ou « gauche », mais simplement une question de rapport positif ou négatif à un ou des enjeu(x) bien précis.

Ensuite et comme chacun sait, cette notion entraine aussi un positionnement général des idées politiques. C’est pourquoi l’on parle de « gauchisme » et, un peu moins souvent, de « droitisme » pour identifier des familles politiques et idéologiques. La base de cette dualité réfère plus généralement à l’acceptation ou au refus de blocs d’enjeux de société ou de projets politiques. Cette distinction a souvent été, et l’est de plus en plus, résumée par les concepts de « progressisme » et de « conservatisme ». Dans ce cadre, le pôle de gravité idéologique est donc basé sur la notion générale de « changement ». De là la raison d’être de ce fameux qualificatif de « moderne », qui, en dehors de sa relation avec le « progressisme », ne veut strictement rien dire. Comme vous le voyez, la dichotomie « gauche-droite » est une notion malléable et peut donc signifier des contenus politiques complètement différents, ce qui explique en partie que des personnalités de droite peuvent se prétendre de gauche ou à tout de moins progressiste et moderne, ce qui revient un peu au même dans leurs esprits.

L’acceptation de l’idée selon laquelle la gauche et la droite seraient des corpus idéologiques établies, est assez récentes et est surtout issues de la recomposition de la social-démocratie en libéralisme de bonne conscience ou de ce que j’appellerais la « gauche morale ». Aujourd’hui, les bonnes mœurs et les pensées ouvertes sur le monde, comme on dit, ont remplacé les projets politiques concrets pour tout un pan de la gauche. Le libéralisme économique est devenu une constante de l’ensemble du spectre politique, au point que sa critique est aujourd’hui vue comme une forme d’extrémisme. Mais le grand malheur est que cette recomposition est stérile par définition, car la morale et les pensées des gens sont de nature privée. Et qu’elle soit religieuse ou laïque, la morale en politique s’est toujours caractérisée au mieux par des discours hypocrites, ou pire, par une tendance politique plus ou moins opposée aux droits[6]. La morale est pourtant omniprésente dans le discours politique actuel et notre rapport à cette-ci tend progressivement à devenir un nouveau pôle de gravité idéologique. Ce qui explique encore une fois pourquoi tant de personnalité de droite se présente désormais comme étant de gauche.

Un exemple concret serait le cas des sempiternels débats sur l’identité et le multiculturalisme, débat sporadique qui survole nos vies depuis maintenant plus de dix ans. Sans doute, vous êtes-vous aperçu que ces débats n’étaient pas tant liés au sens et/ou à l’utilité que comporte l’identité d’un pays. Autrement dit, sa pertinence politique. Comme toujours ces débats se centrent sur des questions de morales individuelles ou apolitiques comme la tolérance, la xénophobie, la tradition, l’intégration[7], la culture, etc. En somme, rien qui ne dépasse de bien loin les comportements individuels. Certes, les comportements des individus ont de l’importance dans la société, mais, en dehors des cas où leur comportement soit illégal, il ne s’agit pas de questions politiques[8] à proprement parler. Donc, il est absurde de prétendre que de tels débats soient interprétés en terme gauche/droite. On peut très bien, comme monsieur Malreau et le PLQ, être tolérant en termes de diversité religieuse et culturelle et être tout à faire pour un projet de société inégalitaire. En somme, être égalitaire dans l’inégalité !

Inversement, il est certain qu’un discours prônant l’imposition d’un ordre moral quelconque comme projet politique n’est vraiment pas de « gauche ». Mais contrairement à l’idée qu’on pourrait s’en faire, cette tentation n’est pas uniquement issue de ce qu’il est convenu d’appeler la « droite ». Comme je viens de le rappeler, les rapports humains hors de l’économie et du droit ne peuvent devenir politiques que dans un État totalitaire, étant de caractère privé. Et un totalitarisme, fût-il de droite ou de gauche, ne peut en aucun cas être considéré comme un progrès dans le domaine des droits humains ou de leurs égalités politique et économique.

Pour en revenir à notre droite progressiste et à notre candidat libéral, on a tous compris que la dépolitisation des enjeux politiques, pour se centrer sur des questions identitaires et morales, a un intérêt tout à fait politique. Soit celui de déplacer les enjeux sociaux économiques vers des débats stériles pour mieux imposer une vision économique préétablie. Les adeptes du néolibéralisme ont tous pour principale inquiétude de voir ressurgir le spectre de la planification économique, car la planification est la réponse de la plupart des maux de la société, à commencer par la discrimination. Le pouvoir des forts étant issu du contrôle du capital, il est toujours bien sage de détourner les haines vers l’autre. Surtout si ceux qui s’haïssent sont de la même classe sociale. C’est pourquoi des débats sur le voile ou sur la diversité ethnique d’un gouvernement seront toujours préférables à un débat sur l’origine de la dette et l’utilité de la propriété lucrative (l’actionnariat) dans le domaine de la production. Ils auront même parfois le culot (et ils l’ont eu !) de détourner une pertinente interrogation sur les bienfondés du CETA en un vulgaire manque d’ouverture sur le monde !

Évidemment, je ne crois pas que le stratagème du PLQ fonctionnera, car, malgré tout son machiavélisme et son argent, la population de Gouin connait bien ce parti et sait lui tenir tête. Malgré tout, cette tentative d’enfumage est bien symptomatique de l’évolution du débat public au Québec et plus largement en occident. Il est inquiétant de constater à quel point la confusion, entre ce qui relève du politique et ce qui relève de la morale individuelle, est devenue importante chez ceux se revendiquant de la gauche. Il n’est donc pas surprenant que les représentants de la droite néolibérale puissent se présenter comme un parangon de progressisme, étant issus d’un courant de pensée qui centre son mépris sur une classe sociale et non sur des questions d’identités. Ils n’ont qu’à trouver des représentants chez ceux qu’on présente comme des minorités opprimées, mais … des catégories économiques privilégiées ! Ce n’est donc pas étonnant que le parti libéral ait embrassé la cause de « l’anti racisme systématique ». Sachant que le racisme et les discriminations de ce style sont déjà proscrits dans la constitution. Ils auront le bon jeu d’enfoncer des portes ouvertes tout en rappelant que les riches forment aussi une minorité qu’ils doivent aussi protéger des méchants socialistes que nous sommes.

Enfin et vous l’aurez compris, la confusion idéologique de notre époque tend à modifier la donne en ce qui a trait l’axe gauche-droite. Il serait donc à leur propre avantage que les représentants de la gauche se rappels que ce qui fait le progressisme en politique n’est pas tant les vertus des citoyens (aussi importante soit cette notion), mais la nature d’un projet de société qui aura comme conséquence de faire respecter nos droits individuels et collectifs.

Benedikt Arden (mai 2017)




[1] De 2012 à 2017
[2] Porte-parole de « CLASSÉ »
[4] Ces guerriers de la justice sociale sont d’ailleurs bien connus pour être tous sauf des « guerriers » et sont surtout connus pour défendre la justice sociale qu’en complément des reconnaissances identitaires de certaines des minorités les mieux défendues.
[5] Même si la diversité ethno religieuse était plutôt avancée, l’origine sociale, professionnelle et idéologique de ce gouvernement restait plutôt monolithique.
[6] La morale ou l’éthique sont des qualités que l’on s’impose à soi-même, pas aux autres.
[7] Certaines de ces notions, comme l’intégration, sont en partie politiques, c’est vrai. Mais pas au sens où certains l’entendent. L’intégration est un processus individuel. C’est le contexte économique et légal qui enveloppe cette démarche qui est politique.
[8] Rappelons que la tâche du politique est d’abord de rédiger des lois et de les faire respecter.