samedi 23 octobre 2010

L’autre grande noirceur ou la montée de l’extrême centre radical


Comme tous ceux qui critiquent le système doivent l’avoir compris, nous vivons un âge très sombre en ce qui a trait à la liberté d’expression. Malgré le déni des censeurs, cette liberté est constamment bafouée sous prétexte de ne pas être aligné à une espèce de moralité implicite de l’intelligence faisant office d’axe de la raison. Tous les discours dissidents ne suivant pas les prémisses de cet axe sont considérés comme émanant d'instinct pervers, d’émotions irrationnelles ou tout simplement d’ignorances. Cet axe du bien d’une moralité écrasante possède plusieurs noms : politiquement correct, rectitude politique, pensée unique, idéologie dominante, etc. Tous ceux d’entre vous qui fondent l’objet de ses ostracismes connaissent son aspect liberticide et son fondement profondément antidémocratique. Aspect antidémocratique et profondément révoltant qui en est d’autant plus renforcé, que ses représentants ne semblent pas même en être conscients tellement elle est ancrée en eux, ce qui les pousse à être aveugles au flagrant parallèle entre eux et les moralisateurs d’une ancienne époque qu’ils appellent ironiquement « la grande noirceur ».  

Malgré l’immense travail que nos contemporains de la pensés critiques ont pu faire jusqu’à maintenant, le concept de « politiquement correct » (pour choisir un nom en particulier) reste toujours assez nébuleux au sens où l’on a de la difficulté à savoir précisément sa nature doctrinale. Bien sûr, le concept de politiquement correcte n’est pas une doctrine clairement définie, donc il n’y a pas de consensus philosophiques chez ses protagonistes, d’autant qu’il s’agit bien plus souvent de cries du cœur que de raisonnements à proprement parlé (ce qui explique que ceux qui en sont les plus redoutables représentants sont rarement des intellectuels, mais plutôt des artistes de la télé ou de la chanson, car non soumis aux dures lois de la dialectique). La nature du politiquement correct en est d’autant plus floue que ces autres personnes, qui cherchent à le combattre, ne s’entendent généralement pas sur sa forme. Autant sa critique de droite l’associera à une politique d’angélisme, autant sa critique de gauche l’associera à celle de l’égoïsme, ce qui revient finalement à ne pas vraiment le combattre, car ces constats sont à la fois vrais et faux dans les deux cas. En fait, le politiquement correct ne peut tout simplement pas être compris avec la grille de lecture gauche/droite, comme à peu près tous concepts philosophiquement cohérents, et donc exigeant un relief bien plus complexe. Les concepts de gauche et de droite sont d’ailleurs des fourre-tout qui alimentent implicitement le politiquement correct et nous empêchent de comprendre la réalité dans toute sa complexité en nous limitant à deux kits de pensée à première vue arbitrairement constitués, mais qui loin d’emmener de la pertinence, le réduit à un jeu de : « C’est toi! Non, c’est toi! ». Mais bref, comme le sujet reste encore peu exploité et que la nécessité s’y prête, j’essaierai de clarifier dans cet article sa nature idéologique ainsi que les mécaniques qui nous ont amené jusqu’à cette nouvelle « Grande Noirceur ».

Du socialisme au gauchisme contemporain, en passant par le libéralisme politique

Pour comprendre la genèse du politiquement correct, nous devons d’abord revenir à l’histoire des idéologies, car cette pensée (si l’on peut l’appeler ainsi) est le fruit d’une assez longue évolution. Avant d’expliquer les mélanges d’idées, il nous faut revenir aux concepts primordiaux, car il y a une différence considérable entre ce qu’étaient ces idéologies par rapport à ce qu’elles sont devenues. D’abord, pour sa partie de gauche, il faut savoir que le gauchisme est un terme qui provient de la répartition des parlementaires (suite à la révolution française) d’après leurs oppositions/acceptations du nouveau régime en place. Ceux de droite étant les « réactionnaires » favorables au retour de la monarchie (et plus généralement aux traditions) et ceux de gauche étant favorable au changement de régime (république, libéralisme, etc.) et de ce fait aux avancées du droit individuelles (1). Les places étant prisent en fonction de la radicalité des positions, nous retrouvons grosso modo une genèse ressemblant à l’échiquier politique actuel soit de l’extrême droite à l’extrême gauche en passant par le centre. Mais contrairement à nos jours, les gauchistes de l’époque étaient surtout des progressistes au sens libéral du terme, issus du libéralisme politique (ou culturel). Ce libéralisme politique n’est pas d’essence très égalitaire (2) (axé sur la revendication des libertés individuelles) et s’incarne dans une philosophie du moindre mal volontairement amorale. Cet amoralisme puise ses sources dans une hantise de la volonté du bien, jugé comme source du mal et plaide pour une justice légaliste basée sur le droit et privatise la morale et la philosophie (relativisme moral) (3).

Pour ce qui est du socialisme, c’est tout l’inverse, car le socialisme est une idéologie particulièrement moraliste. En gros, l’idéologie socialiste considère qu’une société qui tolère qu’une majorité de gens soit exploitée par une minorité est particulièrement immorale, ce qui est indiscutablement une lutte pour le bien basée sur une morale quelconque. Les postures qui s’en découlent ne sont donc absolument pas les mêmes que celles des libéraux (gauchistes d’origine), car eux veulent imposer un bien commun et non une charte de droit amorale. Ce qui fait que les socialistes ne sont pas directement opposés aux traditions (4) et aux idées communautariennes comme le sont les libéraux de l’époque, ce qui les a amenés à être plutôt absents du dualisme droit/gauche précédemment décrit (5).

Donc, qu’est-ce qui s’est passé pour que ces deux doctrines fusionnent ensemble ? Bien en fait, plusieurs réalités historico-pragmatiques (comme l’affaire Dreyfus, la lutte contre le fascisme/nazisme (6), l’opposition à la monarchie et bien sûr, la politique politicienne), ont rendu cette mutation possible. Il est aussi important de noter que le socialisme en question se devait d’être compatible au libéralisme, car comme toutes idéologies, elle possédait ses variantes de radicalités.

Le socialisme libéral

Quoiqu’il fallut bien des années avant que cela se passe, le côté capitaloseptique des formations politiques gauchistes finit par disparaître complètement (7) et avec lui toutes les revendications de changement radical de la société. Malgré tout, ce « gauchisme moderne » n’est pas redevenu la doctrine philosophique amorale d’antan, car celui-ci conserva le côté moralisateur du socialisme, mais le transféra presque exclusivement dans les causes sociétales et centra donc son égalitarisme dans les luttes antidiscriminations plutôt que dans les luttes sociales de jadis (8). Ce moralisme nouvellement acquis du socialisme avait l’immense avantage de pouvoir transcender l’un des paradoxes principaux du libéralisme originel, soit la manière de hiérarchiser les droits avec l’appui d’une philosophie quelconque, ce qui manquait auparavant et qui rendait la gestion du principe de « ma liberté s’arrête où celle des autres commence » si compliqué dans les faits.   

Ce qui rendait la vie si dure au libéralisme dans la pratique, était qu’ils ne se permettaient aucuns autres arguments, pour limiter la liberté, que la liberté elle-même, ce qui rend les choses plutôt difficiles quand l’on réclame des droits qui vont à l’encontre d’autres droits (9). Le problème se corse davantage s’il s’agit de droits aux styles de vie différents, voire antagonistes, d’avec les collectivités auxquelles ils appartiennent et qui sont donc en contradiction avec les droits des autres (10). Le problème à ce niveau transcende donc le juriste pour maintenant devenir politique, car la majorité étant par définition plus nombreuse que les marginaux, le pouvoir allait dans le sens de la démocratie et perpétuait donc la tradition.  Ce scandale doctrinal put donc être résolu grâce à l’arrivée de la lutte antidiscrimination, et de son corollaire logique le communautarisme victimaire. Cette lutte contre la discrimination, non toujours dénuée de tout fondement dans l’Histoire, est malheureusement très subjective et a tendance à se caricaturer très vite en lutte contre l’homogénéité et en promotion de tout ce qui est différent (11). Ce moralisme a fini, par mutation sémantique et/ou par mauvaises habitudes, par considérer la marginalité comme une moralité en soit et devint de plus en plus aveugle aux réalités concrètes de la vie (12) et continua sa dérive jusqu’à nier les abus des profils victimaires et donc des préjudices des profilés jugés comme dominants. Cette lutte contre la discrimination en fonction du faciès devint de plus en plus de la lutte pour la discrimination en fonction des autres faciès jusqu’à devenir la fameuse discrimination positive d’aujourd’hui. Cette discrimination positive (13) est par ailleurs un concept très critiquable et très inégalitaire dans les faits, car offrant un avantage flagrant à une partie de la population face à l’autre, mais devenu moralement acceptable par la diabolisation et l’essentialisation du profile dominateur, en somme intolérant par nature (14). Cette logique amènera donc ses adeptes à combattre les fondements de leur propre société en détruisant les bases même de la communauté. Ce qui a pour effet d’emmener la société vers l’individualisme le plus détestable. Et d’autant plus détestable, qu’il provient de gens n’ayant que le mot solidarité en bouche.  

Du conservatisme au néoconservatisme

Comme dit en introduction, il n’y a pas que du politiquement correct à gauche, mais aussi à droite, mais comme pour le socialisme, il provient aussi d’une mutation idéologique survenue dans son histoire. Disons, pour faire simple, qu’il est l’union du conservatisme (réactionnaire sur l’échiquier politique, défenseur des traditions et porteur de morales religieuses) avec l’idéologie économique libérale (aussi amorale que le libéralisme politique) pour des raisons assez similairement pragmatico-politicienne d’avec les idéologies des paragraphes précédentes. Comme pour le socialisme, le conservatisme économique (protectionnisme, mercantilisme) a peu à peu disparu de la diaspora politicienne à l’instar de l’économie socialiste originelle. Avec le temps, les conservateurs se sont subtilement métamorphosés en néoconservateurs, dont le conservatisme peut être résumé simplement en une apologie du darwinisme social. Ce conservatisme purgé de tout élément antilibéral, les emmena à centrer leur combat contre l’économie keynésienne (économie dirigée), vue au pire comme un type de dictature ou au mieux comme un modèle économique rétrograde et archaïque.

Du socialisme libéral au libéralisme économique

Malgré l’apparent dualisme néoconservateur/socialolibéral, ces concepts, au lieu de se repousser et de se radicaliser minimalement comme ils le devraient à première vue, se centralisent et finissent même par se compléter pour former un pôle unique (que j’appellerai pour l’occasion moralo-libéral, étant donné que je n’ai pas de meilleurs noms) et divisé uniquement que par l’artifice de l’image, dans le but de conserver un minimum de crédibilité envers le naïf électorat. Pourquoi c’est deux idéologies se complètent-elles? Bien pour plusieurs raisons, mais premièrement parce qu’elles s’ignorent mutuellement (15). Chacun de son côté se faisant une caricature de son adversaire (communiste chez l’un et fasciste chez l’autre), ils finissent par vivre dans un tel théâtre qu’ils deviennent incapables d’analyser froidement leurs propres doctrines et celle de l’adversaire. Autrement dit, la politique « gauche droite » devient une lutte de cloché totalement irrationnelle basé sur une dichotomie manichéenne (de bien et de mal) qui fini par l’aboutissement d’une espèce de téléréalité qui n’a plus rien de politique. Mais au-delà des raisons psychologiques qui aliènent, il y a bien entendu aussi une mécanique intrinsèque dans l’axe gauche droite moderne qui tend vers la pensée unique.

Cette mécanique ne peut être comprise que si nous comprenons la complémentarité qu’ont les deux libéralismes (politique et économique) et qui fait maintenant partie intégrale de l’Axe. Si le libéralisme culturel veut la liberté individuelle des gens, il ne propose tout de même pour gérer la société, qu’un système juridique de droit (16) qui ne peut en aucuns cas répondre à la réalité concrète des sociétés (17). Ensuite en ce qui a trait au libéralisme économique, s’il donne un sens logique à la vie en société (18), il n’en donne en aucuns cas un sens philosophique par le biais de quelques utopies que ce soit. C’est deux manques forts gênants, font des deux libéralismes des corollaires parfais en plus d’avoir comme point central l’amoralisme politique et comme baratin le concept de liberté (19). De cette façon, en acceptant le capitalisme, la gauche règle son problème de dégénérescence sociale, résultant de l’atomisation causée par la généralisation du promu marginal. De l’autre coté, la droite en acceptant la sacralité de l’individu promu par la gauche, délégitime toutes tentative de contrôler l’économie par des discours de liberté individuels.

Mais là où les choses se corse, c’est quand nous analysons le corollaire résultant de leurs mutuelles mutations d’avec le conservatisme et socialisme, car en plus de leurs points communs provenant des idéologies libérales, ils ont maintenant le moralisme en commun. Un moralisme qui les poussent à imposer de concert des convictions amorales et désocialisantes qu’ils présentent comme progrès social (20). Maintenant la morale c’est la liberté de vivre comme on le veut (en faisant fi de toutes règles communes) et le libre commerce. Autrement dit, ce qui est moral c’est « l’individu avant le collectif » (ou individualisme) qui s’incarne dans le droit (gauche) et le marché (droite), voilà l’essence du politiquement correct. En bref, maintenant que nous sommes dans le domaine de la moralité et que cette moralité est basée sur la non-imposition de règles communes, il devient alors immoral de rappeler que la saine vie en commun nécessite un monde commun, il est donc moral au nom de la liberté de nous faire taire… et voilà ! Pas de liberté aux ennemies de la liberté !

La gauche et la droite comme leurre du politiquement correct

Comme il a été dit dans les paragraphes précédents, droite et gauche moderne n’ont plus grand-chose à voir avec leurs bases idéologiques d’origines et les mutations engendrées par leurs évolutions parallèles ont formé « des pensées en kite » si je peux me permettre. Des kites très bien agencés au politiquement correct, mais totalement piégés pour tout ceux qui refuse l’évolution actuelle de notre société. La promotion de cet axe, particulièrement incohérent, par les médias met en avant un clair abaissement idéologique qui ne va pas sans rappeler la novlangue d’Orwel, car limitant la pensée à deux chapelles qui tendent maintenant à s’accoupler vers un extrême centre radical. Même s’il y a encore beaucoup de gens honnêtes qui s’accrochent et tentent coûte que coûte de sauver cette dualité en essayant de renouer avec leurs anciennes significations, je crois qu’il est tout de même malsain de se battre pour conserver des réducteurs de pensées, même s’ils ont eu l’avantage de promouvoir les idées politiques chez les néophytes. Toujours un droitard sera associé au capitalisme débridé et toujours un gauchiste sera associé à un stigmatisateur de majorité chez leurs opposants, alors quoi d’autre que de rediviser les idées pour pouvoir enfin les remettre à l’endroit ? Je pose la question, mais vous seule avez le pouvoir d’y répondre.

Benedikt Arden

(1) Cette définition est très primaire, je vous le concède, mais je me dois de rester concis. De plus, je dois préciser que si je mets de côté les autres sensibilités de la gauche de l’époque (radicaux, jacobins, républicains, etc.), c’est pour la simple raison, qu’en plus d’être des partis très limités à leur époque, ils sont bien souvent très près des idées libérales au sens philosophique du terme.

(2) Non égalitaire au sens de la répartition des richesses, mais favorable à l’égalité en droit, ce qui n’est pas une contradiction si l’on admet que l’égalité des richesses amène une régression du droit de propriété et plus généralement une régression du droit à faire ce qu’on veut.

(3) Cette hantise provient essentiellement des guerres de religion dues à l’émergence du protestantisme en Europe. C’est guerre au nom du « bien » on amener les philosophes libéraux à croire que le bien est source de mal. Cette idée peut se résumer comme la préséance du juste sur le bien.

(4) Les socialistes se sont certes battus contre des traditions prônant l’illégalité, mais pas contre la tradition au sens large.

(5) En fait, les socialistes sont surtout opposés aux idées économistes (aujourd’hui libre-échangiste) dans la prédominance du politique sur l’économique, contrairement au système gauche/droite qui se veut surtout un dualisme progressiste/conservateur.

(6) Encore là et aussi pour confirmer la thèse, n’oublions pas que le fascisme est issu essentiellement du syndicalisme révolutionnaire.

(7) J’exclus par là l’extrême gauche (qui conserve généralement l’idéal égalitaire tout en conservant aussi un côté libéral), mais ce qu’on appelle social-démocratie et qui est de fait en contacte avec la réalité du pouvoir contrairement aux extrêmes.

(8) Dans le contexte où le libéralisme politique est dominant dans la gauche, l’idée de limiter des droits, même pour combattre les inégalités, était quelque chose de difficile à réalisée pour ne pas dire impossible. Alors pour que le terme de socialisme ne devienne pas complètement dénaturé de sens, la lutte contre les inégalités de statuts (toujours subjective, car les hommes sont inégaux par définition) devient une bonne manière de rester progressiste.

(9) La dernière grève des chargés de cours à l’UDM et qui opposaient les étudiants (qui eux risque de perdre leur session) en est un exemple parfait de droits qui s’affrontent (droit de grève VS droit à l’éducation).

(10) La société étant un ensemble de gens interreliés, le droit de jouir de sa conception privée de la vie bonne n’est possible que si l’on vit totalement seule, ce qui n’est généralement pas le cas en ville ou nous devons vivre ensemble. Mais à ce niveau, nous parlons de droits collectifs contre droit individuel, ou selon le jargon libéral « tyrannie de la majorité » contre la juste administration des choses (sic).

(11) L’instant où le « pourquoi ? » fit place au « pourquoi pas »?

(12) Comme considérer les difficultés normales de l’immigration (comme le devoir d’apprentissage linguistique et culturelle) comme de la discrimination.

(13) Le terme de « positif » dans cette discrimination n’est en aucuns cas un gage de bonne discrimination, car aucunes discriminations de l’Histoire ne c’est appelées négatives. Ne soyons pas stupides, toutes discriminations est positives pour ses partisans.  

(14) Cette logique du dominant/dominé par le faciès est très bien expliquée par Clémentine Autain, qui nous explique que l’homme blanc hétéro ne peut être qu’une ordure dominante et raciste et qu’elle-même est un peu dominante parce que blanche (http://www.dailymotion.com/video/x83033_personnalites-impopulaires-5_news (vers 16:00)). En fait, la logique est simple : si homme blanc hétéro = dominant donc méchant, alors femme noir (ou autre) homo = dominée donc bonne. Cette logique est certes l’inverse de celle du Kukuxklan, mais elle constitue tout de même un type de discrimination bien réel.

(15) Les politiciens professionnels sont beaucoup trop intelligents et cyniques pour croire en leurs propres baratins, alors ceux visés sont uniquement ceux qui y croient.

(16) Le reste est jugé arbitraire par ceux-ci.

(17) Il ne peut évidemment y avoir un avocat ou un policier entre chaque personne pour chaque situation de la vie courante.

(18) Disons pour faire simple, que l’économie oblige les gens à avoir des rapports sociaux structurés, sans nécessairement recourir à ce qui fait de nous des êtres sociaux (vision globale, empathie, solidarité, respect de l’autre, générosité, etc.).

(19) Il serait même très légitime de se demander pourquoi deux doctrines aussi incomplètes qu’elles le sont et qui se complète aussi merveilleusement, ont pu faire pour se séparer et s’accoupler avec d’autres idéologies aussi différentes?

(20) Pire encore, de par les jeux de politiques politiciennes en temps électoral, qui revient à faire voter l’électorat pour la partie de sa doctrine que l’on appliquera pas (le social à gauche et le sociétal à droite), les partisans des partis de gauche et de droite ne font que surenchérir sur des menaces qui n’existent pas (ou très peu), ce qui accélère considérablement le rapprochement desdits partis dans les périodes hors élections et radicalise du coup les communes politiques contre l’autre versant de leurs idéologies. Avec ces effets de surenchère, essentiellement dû à un mélange de manipulation des faits et d’incompréhension philosophique, nous vivons un combat à mort complètement fantasmé qui port à croire que la pensée unique serait de la résistance contre des obscurantismes dominant la société ou en vois de la dominer. Cette situation, je le crois, explique bien la véhémence des bien-pensants et leur ignoble mauvaise fois.

mardi 5 octobre 2010

La signification des Événements d’Octobre pour le mouvement ouvrier


« Y’ont ben faite! » me murmure mon père sur le ton de la confidence, alors que nous sommes assis sous le majestueux érable de la cour arrière de la maison par un bel après-midi d’octobre 1970. J’en suis tombé en bas de ma chaise. Mon père qui commentait ainsi positivement la mort de Pierre Laporte! Mon père, le pacifiste, le soumis, qui appuyait le geste des felquistes!

Mon père que nous n’avions presque jamais entendu regimber contre quoi que ce soit. Même pas contre la Reckitt & Coleman où il travaillait depuis 32 ans comme « chauffeur de bowler ». Une job qui l’avait obligé pendant de longues années – depuis, en fait, que nous avions quitté le « bas de la ville » en 1953 pour déménager dans le War Time Housing en face de la Canadair à Ville Saint-Laurent – à se lever à quatre heures du matin pour attraper le premier tramway et être à l’usine, coin Amherst et Craig, assez tôt pour charger de charbon son « bowler » qui allait fournir la vapeur nécessaire au fonctionnement des outils de travail.

La Reckitt, cette compagnie britannique où les contremaîtres, tous anglophones, s’adressaient tout naturellement dans leur langue maternelle aux ouvrières et aux ouvriers, tous francophones. La Reckitt, où le vendredi matin, mon père lavait les « chars » des boss pour un modeste pourboire, comme dans le monologue d’Yvon Deschamps. La Reckitt, où le salaire était si ridiculement bas qu’il obligeait mon père à avoir un « side-line » – comme on disait à l’époque – bref, un autre boulot pour nourrir sa famille et permettre à ses quatre enfants de poursuivre leurs études. Dans la nuit du vendredi au samedi, il remplissait les tablettes chez Steinberg.

La Reckitt où, après trente ans de « loyaux services », mon père gagnait moins que ce que je touchais lors de mon premier véritable emploi d’été à dix-huit ans à la compagnie de Papier Rolland de St-Jérôme. La Reckitt, où mon père avait laissé sa santé, si bien qu’à 59 ans il était, en cette belle journée d’octobre 1970, en convalescence après un infarctus qui avait failli l’emporter.

Comment cet homme si doux, si calme, qui n’aimait pas les conflits, en était-il venu à approuver le geste des felquistes?

Dompté par la crise

Je me souviens que le dimanche après-midi, quand j’avais 7-8 ans, mon père m’amenait avec lui au travail. Nous prenions le tramway 17 – les p’tits chars comme on les appelait – jusqu’à Garland, puis l’autobus jusque dans le bas de la ville. Il m’avait fabriqué une petite voiture et je me promenais dans la machine shop et la chaufferie, en évitant soigneusement les tas de charbon, pour ne pas me salir, sinon ma mère ne m’aurait pas autorisé à y retourner.

Comme tout bon fils, j’admirais mon père. Je le regardais alimenter la fournaise à grands coups de pelle de charbon et je me disais qu’il était l’homme le plus important de l’usine. Sans sa présence le dimanche après-midi pour maintenir le feu, l’usine aurait été paralysée le lundi matin, faute de vapeur; travailleurs, contre-maîtres, employés de bureau, patrons en auraient été réduits à se tourner les pouces.

Mais plus tard, adolescent, sa docilité m’avait révolté. Pourquoi n’élevait-il pas la voix contre l’exploitation dont il était victime? Ma mère essayait de m’expliquer : « Ton père a connu la crise. Il ne mangeait pas toujours à sa faim. » Ça expliquait sans doute qu’il ait consacré le peu de temps libre qui lui restait à oeuvrer dans le chapitre de la Saint-Vincent-de-Paul de sa paroisse pour venir en aide « à ceux qui sont plus pauvres que nous », comme il disait. Parfois, ma mère s’insurgeait parce qu’il aidait des familles dont le père alcoolique dilapidait les maigres ressources familiales. Après être allé leur porter un panier de nourriture, mon père lui disait : « Il y avait des enfants. Ils avaient faim ». Le débat était clos.

La revanche des « nègres blancs »

Il y avait beaucoup de frustrations accumulées, de colère refoulée au sein de la classe ouvrière québécoise des années 1960 et 1970. Les plus jeunes générations l’ont exprimé par des manifestations, des grèves. Mais certains parmi les générations plus âgées, comme celle de mon père, la plupart du temps non syndiquées, qui avaient été domptées par la crise des années 1930 – ces « Nègres blancs d’Amérique » comme les a si justement nommés Pierre Vallières – l’ont fait par procuration, par FLQ interposé. C’était le cas de mon père, comme le révélait sa confidence de cet après-midi d’octobre 1970. Il avait eu en quelque sorte sa revanche. Quelques semaines plus tard, il était terrassé par un nouvel infarctus qui allait lui être fatal.

Quelques années plus tard, les « fils enragés » de la génération de mon père syndiquaient les travailleurs de la Reckitt et déclenchaient une grève pour la signature d’une première convention collective. Il faisait plaisir de voir sur la ligne de piquetage les travailleurs qui se défoulaient contre les patrons escortés par des agents de sécurité pour entrer dans l’usine.

Les ouvrières et les ouvriers de la Reckitt avaient retrouvé leur dignité. Tout comme les milliers de travailleuses et de travailleurs qui se sont syndiqués au cours de ces années, ont débrayé pour appuyer leurs revendications et sont descendus dans la rue pour manifester leur colère. Au palmarès de la combativité ouvrière, mesurée par le nombre de jours de grève perdus, la classe ouvrière québécoise disputait la première place au prolétariat italien. La page des « nègres blancs d’Amérique » était bel et bien tournée.

Cette expression de « nègres blancs d’Amérique » n’était pas une figure de style. En 1961, alors que les hommes Noirs américains avaient en moyenne 11 années d’école à leur actif, les Canadiens français en comptaient une de moins. Même chose pour le salaire moyen. Celui des Noirs américains représentant 54 % de celui des Blancs. Au Québec, le salaire des hommes québécois francophones unilingues atteignait à peine 52 % de celui des hommes anglophones, bilingues ou unilingues. Le parcours de mon père n’était donc pas exceptionnel.

La fusion du nationalisme révolutionnaire avec le mouvement ouvrier

Pierre Elliott Trudeau s’est vanté d’avoir terrassé le nationalisme révolutionnaire québécois. C’est faux. Au lendemain des Événements d’Octobre, celui-ci a fusionné avec le mouvement ouvrier comme la classe dirigeante a pu l’apprécier lors de la grève illégale du Front commun et le mouvement de grèves, d’occupations d’usines, de postes de radio et même de ville – comme ce fut le cas à Sept-Iles – qui a suivi l’emprisonnement des chefs syndicaux en 1972. On n’entendait plus « SOS FLQ » sur les lignes de piquetage. Le mouvement ouvrier s’était pris en mains.

Il est vrai que le nationalisme révolutionnaire a été dévoyé par la suite par l’action d’agents fédéralistes comme Claude Morin au sein du Parti Québécois et des organisations soi-disant « marxistes-léninistes » au sein du mouvement ouvrier. Mais c’est une autre histoire. (J’en ai décrit les péripéties dans L’autre histoire de l’indépendance, Éditions Trois-Pistoles, 2003)

Le plus grand mérite des felquistes de la cellule Chénier aura été de ne pas renier leur geste, de ne pas s’excuser, de ne pas plaider « l’erreur de jeunesse », peu importent les circonstances de la mort de Laporte. On aurait tant aimé qu’ils disent que c’était un accident. Et on n’a pas lésiné sur les moyens pour y parvenir.

Aujourd’hui, on cherche encore à minimiser la portée politique du geste des felquistes en les rabaissant au rang de simples kidnappeurs. Ce n’est pas nouveau. On a toujours cherché à minimiser les épisodes importants de notre histoire. L’élan révolutionnaire des Patriotes a été réduit à une simple « rébellion ». L’extraordinaire chambardement des années 1960 est présenté aujourd’hui comme la simple continuité de la Grande Noirceur duplessiste par les historiens révisionnistes, les mêmes qui ne voient pas de rupture non plus entre les Patriotes et les Réformistes de l’Acte d’Union. Drôle de conception de l’histoire qui ne tient pas compte des bonds en avant et des reculs.

Dans sa plaidoirie, lors de son premier procès, Paul Rose déclarait : « Vous pourriez peut-être penser que j’aurais des sentiments d’amertume ou des ressentiments quelconques – ah !!! Je vous dis sincèrement que j’en ai aucun. Les seuls sentiments que j’ai actuellement sont des sentiments de fierté, d’avoir mené une lutte, de mener une lutte et de continuer à mener une lutte qui, je sais, va mener à la victoire, à la libération du peuple du Québec. Je suis coupable d’être Québécois et j’en suis fier ».

C’était bien dit ! Mon père, je pense, aurait été d’accord avec lui.