samedi 13 septembre 2014

Qu’est-ce que la « Novorossia » ?

La présentation des événements à Donestsk et Lougansk par la presse atlantiste passe sous silence les revendications des populations. Or, il ne s’agit pas d’un simple soulèvement contre le pouvoir de Kiev, mais bien de l’affirmation d’un idéal particulier. Alain Benajam, qui a sillonné ce pays depuis quarante ans, explique ici les symboles du nouvel État de « Novorossia ».

« Novorossia » dont la dénomination exacte est : « Union des Républiques populaires de Novorossia » ou mieux en français « Union des Républiques populaires de nouvelle Russie » est une nouvelle venue parmi les États constitués démocratiquement, bien qu’il ne soit pas reconnu par la communauté internationale il existe et fonctionne. L’existence même de l’« Union des Républiques populaires de Nouvelle Russie » est une petite révolution, voyons pourquoi.

L’ensemble des termes et symboles de cette nouvelle Russie ont été soigneusement choisis et présentent tous une signification profonde.

La nouvelle Russie, Novorossia, se détermine russe de culture et de langue, pourtant elle ne revendique pas d’être intégrée dans la Fédération de Russie. La Fédération de Russie est un État fédéral multiethnique s’étendant de la mer Baltique à l’océan Pacifique et comprenant un grand nombre de républiques autonomes et de peuples non culturellement russes.

Comment peut on définir une appartenance nationale ?

Les frontières des États sont issues de l’histoire et de ses conflits et ne tiennent pas toujours compte des frontières culturelles et linguistiques. Les États modernes sont définis par autre chose que l’ethnie ou la culture, si l’ethnie est peu précise dans ses descriptions et n’est valide que pour décrire des peuples isolés comme des groupes tribaux, la culture désigne essentiellement une communauté de langue et de référence historique. L’État moderne se définit lui par un territoire borné par des frontières reconnues mutuellement et internationalement. Comme chacun sait le premier traité de reconnaissance mutuelle de frontières fut le traité de Westphalie en 1648 suite à la terrible guerre de trente ans qui ravagea l’Europe. Sur le territoire des États reconnus internationalement, s’appliquent à chacun un corpus de lois, un droit spécifique. La définition de l’État moderne se recoupe avec celle de la nation, on parle aujourd’hui d’État-nation, donc l’appartenance nationale est définie par une légalité et rien d’autre.

L’appartenance à un espace culturel et linguistique et l’appartenance à un État-nation sont aujourd’hui parfaitement disjoints. De nombreux États intègrent des populations de culture et de langue différentes, comme en Europe la Suisse, la Belgique, l’Espagne, le Royaume Uni, la Finlande. En Afrique et en Orient, la colonisation a façonné des États sans tenir compte des différences historiques et culturelles pourtant chacun a accepté ces frontières devenues légales et chacun y tient, composant ainsi de nouvelles nations décalquées sur de nouveaux États.

Des populations possédant une même culture et une même langue peuvent aussi constituer des États différents, comme par exempte l’État français et la province du Québec appartenant à l’État fédéral canadien. Les populations anglophones d’origines européennes de l’ancien empire britannique forment plusieurs États distincts comme les États-unis, l’Australie, la Nouvelle Zélande, il en va de même pour le monde hispanique, d’Amérique latine. L’Allemagne a aussi compté deux États durant plusieurs années.

Cette existence d’États mutuellement reconnus par la communauté internationale ne signifie pas pour autant que des peuples puissent se reconnaître nationalement à l’intérieur d’États qui les ignorent culturellement et linguistiquement. Par exemple nombre de peuples colonisés par d’autres États durent combattre pour accéder à la possibilité de former un état autonome comme l’Algérie qui s’est séparée de la France. La charte de l’ONU a défini après-guerre un droit à l’autodétermination des peuples voulant se constituer en États indépendants généralement par referendum. Ce droit des peuples à disposer d’eux mêmes, cher au général De Gaulle, est un aspect important du droit international. Ainsi chaque État-nation mutuellement reconnu par la communauté internationale ne peut en aucun cas être définitif, mais doit toujours être soumis à la volonté de ceux qui le composent.

Pour en revenir à notre nouvelle Russie c’est bien d’un nouvel État russe qu’il s’agit. S’il est culturellement russe, il se veut légalement différent de la Fédération de Russie un peu comme si la province canadienne du Québec accédait à l’indépendance formant un nouvel État français, ne parlerait-on pas de « nouvelle France », comme de « nouvelle Russie ».

Que signifie « République populaire » ?

La nouvelle Russie (Novorossia) est un État fédéral intégrant des Républiques populaires. Pour le moment et provisoirement elle n’intègre que deux Républiques ; la République populaire de Donetsk et la République populaire de Lougansk dont les délimitations suivent celles des anciens oblasts ukrainiens possédant les mêmes noms. La nouvelle Russie aura pour vocation de rassembler dans le cadre d’une autodéterminations d’autres oblasts de l’ex-Ukraine qui choisiront en toute démocratie et après référendum de constituer leur République populaire et d’adhérer à l’Union des Républiques populaires de nouvelle Russie.

Rappelons que l’ex-Ukraine qui fut de toujours une province russe, lieu même ou fût fondée la Russie, la Rus, cette ex-Ukraine fut arbitrairement délimitée par l’URSS sans qu’aucun avis ne soit jamais demandé aux populations fort disparates qui peuplaient cette région. Aujourd’hui, le temps de la démocratie revenu, il est parfaitement conforme au droit international de demander leur avis aux différents peuples qui composent cet État artificiel et récent.

Les fondateurs des Républiques populaires de Donetsk et de Lugansk insistent sur ce terme de « populaire ». Il a été utilisé historiquement par des États ayant été sous influence soviétique après la Seconde Guerre mondiale, États se définissant comme construisant le socialisme. Le socialisme selon sa définition marxiste-léniniste est régi par la propriété sociale des moyens de production et d’échange. Le socialisme n’est surtout pas le communisme, selon toujours cette définition marxiste-léniniste, car dans le communisme, décrit par le Manifeste Communiste de Marx et Engels de 1848 il n’y a plus de propriété, donc plus de propriété sociale, il n’y a plus d’État, ni de salariat. Le mot « communiste » pour qualifier ces États était issu de la propagande états-unienne. Aucun État jusqu’à ce jour n’a revendiqué d’être communiste.

Dans sa conférence de presse, donnée par Skype le samedi 6 septembre à Paris, Pavel Gubarev, l’un des initiateurs de la République populaire de Donetsk et ex-gouverneur « populaire », a bien spécifié que le règne des oligarques était terminé en Novorossia et qu’ainsi la Novorossia allait accomplir une des importantes revendications de « Maidan ». Qui sont ces dénommés oligarques qui sévissent en Ukraine, en Russie et dans d’autres pays ayant abandonné la voie socialiste ? Ces gens sont pour la plus part d’anciens apparatchiks des États précédents issus de leur nomenklatura, mais aussi des criminels mafieux qui se sont accaparés par la force et illégalement les industries publiques et en sont devenus immensément riches. Ce phénomène a été un peu freiné en Russie et les oligarques qui avaient mis en danger l’État russe sous Boris Elstsine ont été mis au pas par Vladimir Poutine qui en a emprisonné certains et soumis d’autres. En Ukraine, le phénomène oligarchique a été particulièrement dévastateur, d’immenses fortunes ont été accumulées par un petit nombre d’individus tandis que le peuple s’appauvrissait. L’Ukraine était devenu le pays d’Europe ou les salaires étaient les plus bas (plus bas qu’en Chine).

Ce terme de « populaire » ne signifie pas pour autant que ce qui avait cours au temps de l’URSS où toutes les activités économiques étaient étatisées serait reproduit. Ce terme signifie que seules les grandes industries comme celles de l’énergie, l’industrie lourde et l’importante industrie d’armement seront sous le contrôle du peuple constituant les États fédéraux. L’Union des Républiques populaire de nouvelle Russie ne cherche pas à reconstituer une URSS qui était anti démocratique sous le contrôle d’un seul et unique parti, mais elle reconnaît certains aspects positifs de l’URSS où chacun avait le droit à la santé, à un logement, à un travail.

La devise et le drapeau de Novorossia

D’ailleurs la devise de l’Union des Républiques populaires de nouvelle Russie c’est « Liberté et Travail » ce qui marque bien une volonté de garantir la liberté de chacun et d’avoir une considération particulière pour les travailleurs dont ne font pas partie les oligarques.

Ces valeurs de Liberté et de Travail sont aussi symbolisées par son drapeau, qui est le drapeau rouge des travailleurs, celui de la Commune de Paris où sur l’un d’eux repose Lénine en son mausolée, drapeau rouge frappé de la croix de Saint-André. Ce saint est le patron de la Russie car il est le fondateur de l’Église de Constantinople qui fut à l’origine de son évangélisation, il est symbolisé par une bannière blanche frappée d’une croix bleue (dite de Saint-André rappelant son supplice).

Ce drapeau peut être, mais non obligatoirement, aussi frappé des armes de Novorossia. Celles-ci présentent, l’aigle à deux têtes symbole des anciennes monarchies slaves, mais couronné par une maçonnerie au caractère industriel, ce qui indique le caractère slave et russe de cette nouvelle Russie. En son cœur, en médaillon, figure un cosaque rappelant que cette région est aussi le pays des cosaques. Sous sa serre de gauche, un marteau, celui des travailleurs de la métallurgie. Sous l’autre serre, une ancre marine, car la nouvelle Russie possède le port maritime de Marioupol, sur la mer d’Azov, qui accède à la mer Noire par le détroit de Kerch. Dans sa serre droite, il enserre un épis de blé, symbole de paix et dans sa serre gauche, un faisceau de flèches, symbole de guerre indiquant que cette nouvelle Russie veut vivre en paix, mais saura se défendre en cas de besoin comme elle a pu le démontrer. Au dessus de la couronne maçonnée figure une banderole en bannière sur laquelle est inscrit « Novorossia » en caractères cyrilliques et sous cet aigle la devise « Travail et Liberté » en russe.

Le syncrétisme des valeurs de Novorossia

Ainsi le drapeau de l’Union des Républiques populaires de nouvelle Russie compose un syncrétisme ou s’expriment deux valeurs.

Celle du travail, des travailleurs et de leurs organisations politiques passées et présentes voulant débarrasser le monde du système capitaliste, cette valeur symbolisée par le drapeau rouge. Puis la croix de Saint-André qui symbolise les valeurs traditionnelles et historiques auxquelles les Russes sont attachés et sans lesquels un peuple ne peut vivre.

Histoire passée marquée par le christianisme orthodoxe, mais aussi souvenir des combats acharnés de la Grande Guerre patriotique contre le nazisme et ses collaborateurs ukrainiens emmenés par Stepan Bandera. Ces combats contre le fascisme ukrainien et le nazisme allemand est symbolisé par le ruban de Saint-Georges, qui est celui du souvenir de l’immense sacrifice russe consenti pour sauvegarder la mère patrie. Il est maintenant porté par les soldats de Novorossia qui se retrouvent aujourd’hui à combattre cette junte de Kiev mise au pouvoir par les USA suite à un coup d’État particulièrement sanglant. Ce coup d’État utilisa des groupes et partis néo-nazis comme Pravy Sector,(Secteur droit) et Svoboda ex-Parti national-socialiste ukrainien. Ces partis arborant ostensiblement des symboles nazis, formulant bruyamment leur antisémitisme et qualifiant les Russes comme les qualifiaient les nazis de « sous-homme » (untermenshen) se sont accaparé l’État en dépit de leurs faible score aux élections. Leurs nervis composent l’essentiel des bataillons combattants les Forces armées de Novorossia (FAN) comme le bataillon Azov qui possède le même sigle que celui de la division SS Das Reich de triste mémoire en France. Ces groupes se prétendent nationalistes alors qu’ils n’œuvrent que pour les USA, un État étranger qui ne veut en rien le bien de l’Ukraine, mais qui ne cherche qu’à imposer son pouvoir économique et politique dans cette région. Cette qualification de « nationalistes » dont ils aiment s’affubler ne leur convient en rien, celle de « collaborateur avec l’ennemi » que fut leur mentor Stepan Bandera leur conviendrait beaucoup mieux. Ces néo-nazis, violents, assassins et racistes, sont bruyamment soutenus par l’élite médiatique et politique des pays soumis aux USA qui, il y a peu, condamnaient l’humoriste Dieudonné pour un geste de « quenelle » y voyant ridiculement un salut nazi inversé.

La résistance à l’impérialisme

Ce qui caractérise le peuple de Nouvelle Russie c’est justement sa volonté de ne pas être intégré au système euro-atlantique dominé par les USA par l’intermédiaire de l’Otan et de l’Union Européenne. Ce système a largement démontré son inefficacité et sa nocivité. Les nations qui s’y soumettent ne cessent de décliner et de plonger dans le marasme économique et la décadence morale.

C’est historiquement la première fois qu’un peuple européen prend les armes pour ne pas être intégré au système imposé à d’autres par les USA ne voulant pas à la fois de son système économique, mais également de ses valeurs morales.

Ce refus catégorique est similaire à celui d’un nombre croissant de Français et d’autres peuples européens qui, face au désastre cherchent à se débarrasser de ce poids infamant et à récupérer la maîtrise de leur destin.

Dans ce combat des peuples pour le recouvrement de leur indépendance, les notions de droite et de gauche ne présentent plus de signification, des forces politiques se réclamant de la gauche et de la droite soutiennent le système de dépendance aux USA via l’Union Européenne et l’Otan, d’autres qualifiées par les médias d’« extrémistes » de gauche ou de droite militent pour le retour à l’indépendance. Il en est de même pour la soumission au système capitaliste qui a perdu son caractère industriel d’antan pour n’être plus que financier et mondialiste. Des forces politiques de droite comme de gauche s’y opposent, celles-ci sont évidemment diabolisées par les médias officiels et une presse largement subventionnée par l’État.

Alors parmi ces médias, l’Union des Républiques populaires de nouvelle Russie n’est pas en odeur de sainteté car elle réussit fort justement à faire la synthèse entre la nécessaire révolution anti-capitaliste, qui est sans conteste également une révolution anti-globalisation, avec la volonté des peuples qui veulent recouvrer leurs spécificités leurs traditions a contrario du système culturel mondialiste. Celui-ci ne peut plus offrir à chacun qu’un plus petit dénominateur avec l’hédonisme à la place des valeurs de travail, d’effort et de don de soi.

Alors cette Union des Républiques populaires de nouvelles Russie est-elle un exemple pour d’autres et le début de quelque chose de nouveau qui va changer le monde ?

Alain Benajam

mercredi 10 septembre 2014

Il était une fois, le 11 septembre … 1973

Comme chaque onze septembre, le marronnier étasunien sur le terrorisme international s’enclenche, question de ne pas oublier que les restrictions liberticides du Patriot Act (qui nous touche aussi) sont faites pour notre bien et que Big Brother veille sur nous… Même si rien n’est moins efficace pour le bien et la sécurité du monde que ces croisades étasuniennes au moyen orient, au nom de cette fameuse « démocratie » dont les tours du World Trade Center étaient les symboles ($), il est impossible de ne pas entendre dire quelque part à quel point nous sommes tous en danger ! Danger toujours imminent et accompagné de cette fameuse alerte (toujours plus ou moins au rouge) rappelant les codes de la météo. Ce danger perpétuel, quoique démesurément moins meurtrier que les « sympathiques » bombardements humanitaires destinés à instaurer le régime néolibéral… euh … démocratie (je voulais dire !) partout où il y a du pétrole et des positions géopolitiques stratégique, ne sera jamais assez utiles à entretenir. Et tel un feu, qui nous garde de l’obscurité islamiste, il nous sera rabattu année après année pour que jamais nous ne manquions d’éviter avec zèle les questions fondamentales qui feraient de nous des citoyens moins crédules.

Enfin, trêve d’ironie. Les évènements du onze septembre 2001 sont un sujet fort bien traité depuis plusieurs années par toute sorte d’experts et même si tout n’a probablement pas encore été dit à ce sujet, là ne sera pas mon propos. Il va sans dire que si les évènements du 9/11 ont apporté maintes souffrances à la population étasunienne, elles ont aussi participé à masquer l’un des plus graves crimes contre la démocratie qu’a connue le 20e siècle et je ne parle même pas des guerres en Irak ou en Afghanistan. Mais bien celui du 11 septembre 1973 au Chili. Cette date qui contrairement à d'autres n’est jamais commémorée par nos médias grand public, se doit d’être insatiablement rappelée et ne doit jamais être oubliée pour que la « démocratisante » propagande étasunienne soit mise en réelle perspective. 

Mais que s’est-il passé au juste le 11 septembre 1973? Bien, simplement un coup d’État sanglant que perpétuèrent Augusto Pinochet, avec l’aide de ses sbires sous sponsoring de la CIA, et l’assassinat du président démocratiquement élu : Salvador Allende.

Pour ceux qui ne connaissent pas très bien les circonstances de la mort de ce président martyr, il serait peut-être bien de remettre un peu les choses en contexte avant de continuer. Pour ce faire, nous devons remonter jusqu’à la fameuse Doctrine Monroe » du 2 décembre 1823 qui stipulait en gros les principes suivants :

1. Le premier affirme que le continent américain doit désormais être considéré comme fermé à toute tentative ultérieure de colonisation de la part de puissances européennes.

2. Le second qui en découle est que toute intervention d'une puissance européenne sur le continent américain serait considérée comme une manifestation inamicale à l'égard des États-Unis.

3. Et le troisième, en contrepartie, toute intervention américaine dans les affaires européennes serait exclue.

À première vue, ces principes semblent être simplement une doctrine de souveraineté face aux États d’Europe, qui étaient aussi des empires coloniaux très puissants à l’époque. Là où le bât blesse, est que cette doctrine englobe, non pas uniquement les États-Unis, mais bien l’ensemble du continent américain (exception faite de l’Amérique du Nord britannique, le futur Canada, inféodé aux Anglais) si vous avez bien lu le premier point. Les États-Unis ont été à ce point de vue très actif et ont participé assez étroitement à la création des nouveaux États sud-américains issus de la déroute de l’empire colonial espagnol. Mais détrompez-vous, ceci n’avait rien de philanthropique, car ces nouveaux pays devenaient de facto des pays sous influence étasunienne, autant au niveau des structures politiques (des républiques) qu’économique (économie libérale). Il ne fallut pas attendre bien longtemps pour que les peuples latino-américains comprennent que la liberté que les États-Unis leur offraient n’était que de façade. Les Cubains l’on apprit de manière fort cruelle, ayant vu leur révolution d’indépendance de 1895, se transformer presque aussitôt en un protectorat états-unien. Et ce fut le cas pour pratiquement tous les autres peuples « libérés » d’Amérique subétasunienne, qui un jour ou l’autre finirent par comprendre que la doctrine Monroe avait plus à voir avec une doctrine impérialiste qu’isolationniste. 

La suite ne se fit pas attendre et le réveil de l’Amérique latine débuta très tôt au cours du 20e siècle. Et ceci, avec une grande quantité et variété de types de rébellion. Ces rébellions ont passé de la révolution du type classique (révolution mexicaine de 1910 par exemple) à la guérilla forestière « foquiste » ou « guévariste » (révolution cubaine, bolivarienne et guerre encore actuelle en Colombie), en passant par les révolutions politiques nationalistes-révolutionnaire (MRN en Bolivie, le courant indianiste et le péronisme en Argentine), sans oublier les rébellions de type marxiste-léniniste au Nicaragua (FSLN) et au Salvador (FMLN), etc. Cet élan socialiste révolutionnaire fondamentalement indépendantiste fut dûment combattu par la guerre contre-révolutionnaire dont les États-Unis se vanteront bien vite d’être les maîtres, au nom bien sûr de la préservation des peuples et de leurs institutions. Mais quand la révolution est issue du suffrage universel et des institutions elles-mêmes ? Dans ce cas, il devient bien difficile de maintenir une propagande pseudo démocratique. Et c’est dans ces moments que le vrai visage de l’Oncle Sam apparait vraiment. Notez que les dictateurs d’extrême droite procapitaliste comme Batista, Duvalier où Pinochet ne furent jamais vraiment combattus (contrairement aux expériences socialistes), malgré les généreux principes démocratiques dont les États-Unis se targuent orgueilleusement d’être les représentants. Mais là je prends un peu trop d’avance, alors revenons un peu en arrière.
       
Le Chili est une république indépendante depuis 1826 (soit trois ans après la doctrine Monroe) qui connut une histoire assez comparable à plusieurs pays européens. Comme à peu près tous les pays avoisinants, au début du 20e siècle, le Chili connaissait son lot de problème économique en plus de devoir supporter une oligarchie économique très coriace issue de l’époque de la république parlementaire (1891 à 1925). Le Chili d’avant Allende, quoique n’étant pas le pays le plus pauvre du continent, restait tout de même un pays aux lourdes inégalités économiques. Ce qui devait ouvrir la voie à un fort mouvement socialiste et communiste.      

Le mouvement socialiste au Chili existait déjà depuis bien longtemps (milieu du 19e siècle) quand le Parti Socialiste du Chili (PSC) fût inauguré. Fort de la crise économique de 1929 et de l’éphémère « République Socialiste du Chili » de 1932, celui-ci fut composé de plusieurs mouvements de gauche et fit leur petit bout de chemin ainsi. Quelques années plus tard (1937), le PSC s’allia au Parti Communiste ainsi qu’à divers partis de centre gauche pour former autour du Parti Radical un « Front Populaire » calqué sur ceux que connaissait l’Europe dans ces années. La tactique fonctionna à merveille et cette coalition (rebaptisé « Alliance Démocratique » en 1942) sut s’imposer sur l’arène politique chilienne jusqu’en 1952. 

Médecin de formation, Salvador Allende était l’un des membres fondateurs du PSC et eut une ascension très rapide au sein du parti. Il fut même nommé ministre de la Santé dans le gouvernement Aguirre Cerda (front populaire) en 1939. Il occupa aussi plusieurs autres postes de parlementaire pendant cette période. Ces postes lui ouvrirent la voie vers de plus hautes fonctions dans le PSC et il en deviendra même le secrétaire général en 1943. Après la Deuxième Guerre mondiale, le Parti Radical prit un virage plus à droite et la coalition sociale-démocrate fût brisée, faute de compromis. 

À la suite de cette fin d’alliance, le PSC (allier aux PC, sous le nom de FRENAP) connut un net recul aux élections présidentielles de 1952 (5,2 %). Recul essentiellement dû au populisme social du candidat vainqueur Carlos Ibáñez del Campo. À la suite de cet échec, le PSC prit l’initiative de créer une nouvelle coalition élargie : le Front d’action Populaire (FRAP). Malgré la défaite, la tactique fut couronnée de succès et fit un score honorable de 28,5% à l’élection présidentielle de 1958. Parallèlement à la monté du FRAP, les tentions exacerbées entre les blocs de l’Est et de l’Ouest dans cette première moitié des années soixante, rendirent plus pressant le besoin de stopper l’ascension du socialisme d’Allende en vue des nouvelles élections de 1964. Surtout que depuis la révolution cubaine, les oligopoles liés aux États-Unis commençaient vraiment à se sentir menacés par cette poussée générale du socialisme en Amérique latine. C’est donc dans ce contexte que la droite décida de faire alliance avec les démocrates-chrétiens (3e place aux dernières élections) afin de ravir les éléments modérés de l’électorat du FRAP. Le pari fut tenu, mais à quel prix, car le FRAP ne perdu que de très peu avec son score de 38,6%. Il n’avait peut-être pas gagné l’élection, mais face à une coalition massivement appuyée financièrement par les États-Unis et qui pesait près des 2/3 des votants lors des élections de 1958, leur victoire n’avait rien de bien éclatant. Le pays était donc à toute fin pratique à la veille d’une victoire d’Allende, ce qui ne pouvait être en aucun cas tolérée. 

Les élections de 1964 mirent donc au pouvoir Éduardo Frei Montalva, représentant de la démocratie chrétienne. Avec son slogan « la révolution dans la liberté », il se voulait le représentant du centre gauche réformiste. De ce point de vu, il se devait donc d’être à la hauteur des attentes qui on fait battre le FRAP et comme il arrive à peu près toujours qu’une coalition trop large ne puisse satisfaire que très peu de ses membres, car en même temps trop à gauche et trop à droite, elle ne pouvait immanquablement qu’échouer. Cette situation déjà très grave pour la droite, les oligopoles chiliens et les intérêts étatsuniens, et ceci malgré tous les compromis qu’ils purent faire en termes de social-démocratie, se devait en plus d’affronter la création d’une nouvelle coalition, encore plus large. Soit l’« Unidad Popular » (UP). Il s’agissait en fait d’une coalition de coalition entre le FRAP, les éléments dissidents de la démocratie chrétienne (le MAPU – mouvement d’action populaire) ainsi que des groupes plus modérés, comme de l’action populaire indépendante (API). Le tout soutenu (sur le terrain extra parlementaire) par l’extrême gauche marxiste-léniniste du MIR (mouvement de gauche révolutionnaire). Cet ultime mouvement de gauche n’était malgré tout pas encore certain de gagner, car eux aussi se devaient de faire face à une très large coalition de droite, appelée « Parti National ». Et dirigé par l’ex-président Jorge Alessandri Rodriguez encore très populaire. Le Parti National, fort de la montée générale de la droite (généré par l’échec des politiques centristes) et de son soutien par les États-Unis, se sentait fin prêt pour le pouvoir. La surprise fut de taille, au jour de ce fameux 4 septembre 1970, quand l’on connut les résultats. Un score très décevant pour la droite (35,3%) ainsi qu’un score étonnamment élevé pour la démocratie chrétienne (28,1%). L’UP de son côté connut un score assez stable, mais tout de même plus faible qu’en 1964, avec 36,6%. C’est ironiquement cette différence qui emmena Allende aux affaires de l’État et non pas la montée stricte de la gauche dans l’opinion chilienne. Donc, bien que décevant, le résultat était quand même là pour confirmer la victoire.

Ces éléments de hasard de la démocratie, et qui donnent bien souvent l’avantage aux forces conservatrices étaient cette fois inacceptable pour les oligarques chiliens et les intérêts étatsuniens qui en découlent. Alors, comme le peuple avait mal voté, les forces de la droite, avec l’aide de la CIA, mirent en place deux plans afin de rejouer les cartes. Le premier fut une astuce électorale* qui obligerait une nouvelle élection présidentielle, où la droite se rallierait à la démocratie chrétienne comme en 1964. Celle-ci ne fonctionna pas, car l’UP et les DC avaient un accord secret de soutien pour éviter l’usage de cette manœuvre malhonnête. La seconde tactique, beaucoup plus brutale, était l’organisation d’un putsch sous couvert d’instabilité politique préalablement mise en place. Le plan, même si officiellement abandonné par la CIA, fut tout de même malhabilement tenté par le général Roberto Viaux et, en plus de provoquer la mort du commandant loyaliste René Schneider, ne fonctionna pas le moins du monde.

Après que l’élection fut pleinement réalisée, et plus ou moins acceptée par tous, le projet de société socialiste de Salvador Allende pouvait enfin débuter. Celui-ci consistait d'abord en la nationalisation des éléments clefs de l'économie du pays (c'est-à-dire le cuivre, l'industrie agroalimentaire, la compagnie aérienne nationale et l'industrie sylvicultrice). Ensuite, il fallait accélérer les réformes agraires, geler les prix des produits de grande consommation, augmenter les salaires de 40 à 60 % de tous les travailleurs, établissement d’une nouvelle constitution et mettre en place une seule chambre représentant le peuple. Ces réformes allaient bon train et même si l’affrontement politique entre avec les partis de l’opposition (les DC ont fait un virage à droite entre temps) le tout était strictement en règle avec la constitution chilienne. 

Plus les réformes avançaient, plus les États-Unis et l’opposition étaient inquiets de l’évolution, ou plutôt de la continuité d’Allende (beaucoup mirent de grands espoirs sur la potentielle compromission d’Allende envers ses électeurs), sans compter que celui-ci se rapprochait de plus en plus de Fidel Castro et de Cuba. Parallèlement à cela, la situation politique se radicalisait de manière fulgurante dans la rue, avec une augmentation d’actes terroristes. Ceux-ci étaient souvent liés à des groupes comme le MIR, mais aussi à des groupes d’extrêmes droites, comme « patria y libertad ». En plus de cette tension dans la rue, il fallait gérer une grande quantité d’autres problèmes d’ordre économico-social bien souvent orchestré de l’extérieur par vous savez qui. Au sein même de la coalition, les tensions étaient déjà palpables entre les éléments centristes et socialistes, mais l’assassinat d’Edmundo Pérez Zujovic (DC), le 8 juin 1971 par des activistes d’extrêmes gauches, provoque un schisme qui renforcera grandement leur opposition. Cet évènement amplifiera grandement le gouffre entre l’opposition et les allendistes dans un pays qui a pourtant grandement besoin de stabilité pour mettre en place ce type de réformes. Autrement, les avancées sociales seraient anéanties par l’inflation (ce qui est effectivement survenu par la suite). La situation économique et politique dégénéra vraiment à partir de ce moment et la radicalisation des deux côtés empirera jusqu’à devenir irrécupérable.

Lors des élections législatives de 1973 (mi-mandat), la polarisation est à son zénith et toute la campagne de l’opposition est fixée sur le renversement d’Allende. Encore une fois, les moyens électoraux pour démettre Allende échouent et peu de temps plus tard, une nouvelle tentative de putsch est évitée de justesse. Conscient de la crise qui traversait le pays, Allende voulut tenter un plébiscite afin d’apaiser les esprits en assoyant sa légitimité populaire. Mais celui-ci ne put arriver à ses fins, car, au lendemain des délibérations qui devaient apporter un semblant de consensus au sein de son propre parti (sur le projet d’apaisement de classe lié au plébiscite), le nouveau commandant en chef de l’armée prit la tête d’un nouveau putsch organisé par les commandants de la Marine et des Forces aériennes. 

La suite est assez connue : aussitôt mis au fait du coup d’État, Salvador Allende refusa l’exil et prit publiquement la parole et dit entre autres « Enfermé en un moment historique, je paierai de ma vie la loyauté du peuple. Et je vous dis que j’ai la certitude que la semence que nous avons plantée dans la digne conscience de milliers et milliers de Chiliens ne pourra être flétrie éternellement.

Travailleurs de ma Patrie ! J’ai confiance en le Chili et son destin. D’autres hommes vaincront ce moment gris et amer où la trahison prétend s’imposer. Vous savez toujours que, bien plus tôt qu'attendu, s’ouvriront à nouveau les grandes allées par où passe l’homme libre pour construire un monde meilleur. »     

Peu de temps après ce discours héroïquement sobre pour la situation, Allende fut retrouvé, l’arme toujours à la main, une balle au visage. Celui-ci contrairement à bien des hommes politiques, n’a jamais fui et a affronté son destin en face jusqu’à la fin. Il incarna jusqu’au bout ses convictions et su garder la tête haute face à cet empire si puissant. Empire qui ne tolérait pas que l’on essaie de le priver de sa mainmise sur l’économie. Même si à cette époque au Chili, il était pratiquement surhumain de faire vivre une révolution sociale par la voie démocratique (social-démocratie), Salvador Allende, par sa croyance sincère envers les promesses républicaines, releva tout de même le défi et aurait vraisemblablement réussi si la démocratie n’avait pas été qu’un mot creux de propagande pour ceux qui se prétendent ses défenseurs. 

Retenons les leçons de l’histoire et sachons que lorsqu’on se bat contre la tyrannie, il est plus sage de ne s’attendre à aucune moralité ou faiblesse de sa part. Maintenant, plus de 41 ans plus tard, il est important d’honorer, certes, le souvenir des grands hommes et des grandes causes du monde, mais comme certains l’ont déjà si éloquemment dit « pour toutes les victimes de l’oppression, pas une minute de silence, mais toute une vie de lutte ! »

Benedikt Arden

*Cette astuce électorale est appelée Track One (aussi connu sous le nom de « gambito Frei ») et a pour objectif de faire élire Alessandri par le Congrès. Une fois élu, ce dernier renoncerait à sa charge et de nouvelles élections où la droite soutiendrait alors Eduardo Frei seraient organisées.