mardi 9 mars 2010

Le retour du grand boubou et celui de la question nationale


Depuis la sortie de Lucien Bouchard sur la désormais non-pertinence du projet souverainiste, nous avons eu l'occasion d'entendre les très prévisibles condamnations (ou insultes) provenant du camp nationaliste et des, tout aussi prévisible, propos amusés de la part de nos opportunistes fédéralistes. À entendre les analystes sérieux sur cette affaire, rien de tout ça ne devrait surprendre quand on connaît bien le personnage, d'ailleurs ses multiples sorties tendent à prouver cette affirmation. Souvenons-nous des propos qu'il a tenu sur la fameuse phrase de Jacques Parizeau, en la qualifiant de dérapage xénophobe... plutôt étrange pour soi-disant lucide? Ou encore la plus récente qualification de nouvelle « niche du radicalisme » en parlant du PQ. Cette affirmation fait plutôt sourire sachant que le seul extrémisme qu'il y a au PQ est d'être extrêmement mou et au centre. Mais bref, ces propos s'expliquent facilement, car le personnage est aux antipodes de ce que l'on pourrait appeler un « identitaire » ou un « communautarien », alors son ralliement aux forces nationalistes ne pouvait être que circonstanciel. Et qui plus est, l'homme n'a jamais eu un profil des plus éclatants, car étant d'abord un traître à son premier parti et qui (rappelons-le) s'appelait le « parti progressiste-conservateur » ce qui n'est pas juste un oxymore, mais une arnaque intellectuelle totale, mais là n'est pas la question.  

Mais bon, disons que le personnage à tout pour décevoir le souverainiste identitaire et qu'il faut bien analyser le conservatisme du grand boubou pour bien le comprendre, car celui-ci n'a que très peu à voir avec celui d'un Mathieu Bock-côté au sens qu'il n'est que néolibéral. En somme, un droitard qui aime le fric, la privatisation, le sociétal et la finance et qui déteste les valeurs traditionnelles, le peuple (en tant qu'entité en tout cas) et le social ou bien tout simplement quelqu'un qui mérite le titre de progressiste-conservateur. Bref, Lucien Bouchard est bien le frère de Gérard et ne mérite pas l'attention qu'on lui donne. Malgré cette approche plutôt négative, sa remise en cause du projet souverainiste ne devrait pas être rejetée de revers de la main, mais analysée plus profondément, car elle peut nous en apprendre sur l'évolution de notre société et l'échec du souverainisme tel qu'il a existé depuis les années soixante.  

Notre société postculturel

Ce qui différentie essentiellement notre société d'hier de c'elle d'aujourd'hui, c'est bien la question identitaire, car l'homogénéité d'hier faisait que ce type de question ne se posait absolument pas. C'est pourquoi l'indépendance allait de soit avec la liberté et l'émancipation des gens, car ceux-ci s'identifiant d'abord comme québécois. Donc construire un État québécois revenait à prendre le contrôle de son destin et pouvait ainsi mettre fin aux éternelles batailles de constitution, qui ont d'ailleurs le mérite de démontrer la non-existence d'un potentiel peuple canadien, car toujours imposée non démocratiquement(1). Maintenant, la question de se libérer en tant que peuple est prise à partie avec la focalisation (pour ne pas dire obsession) sur les minorités ethnicoreligieuses depuis la mise en place du multiculturalisme canadien et ensuite québécois. Toute une société est maintenant aliénée de ses leviers d'actions parce que ne voulant pas être suspecté de sectarisme(2). On peut dire sans exagérer, que l'obsession de ne pas brusquer les immigrants, la peur d'être taxé d'extrémisme par nos fédéraleux (ils n'attendent que ça) et de racisme par les ligues de vertus, annihile toute chance d'avoir une quelconque liberté d'action politique. Si le projet souverainiste avait un sens dans les années 60-70 c'est bien parce que nous formions un peuple distinct et c'est pour cela que nous voulions avoir un pays à nous, pas juste pour des questions de péréquation.

S'il est vrai que notre sentiment national a été profondément forgé par les tentatives d'assimilation au néant qu'est l'Amérique du nord britannique, la non-assimilation des immigrants au Québec est par contre la base même de notre situation postculturelle. C'est bien là que l'on voit notre faiblesse en tant que peuple ouvert d'esprits, car la culture(3) a été notre arme de résistance principale face à l'assimilation canadienne, et ceci, depuis le tout début. En instaurant le multiculturalisme(4) dans nos pseudos valeurs québécoises, nous nous sommes condamnés au suicide en tant que peuple, car détruisant notre singularité en nous nous standardisant au diapason de l'occident multiculturel. Alors inutile de dire que la question de l'indépendance perd de sa pertinence si nous sommes comme partout allieurs (et de ce fait comme les canadiens anglais). Pourquoi ajouter des frontières, si l'on a comme objectif de les mettre à bas pour s'ouvrir au merveilleux monde du marché apatride sans couleur ni spécificités, où tous les hommes parlent, consomment et pense de la même façon? Alors, si ce qui est moderne c'est l'individualisme cosmopolite, le progressisme fait mauvaise figure et de ce fait le qualificatif de réactionnaire pourrait devenir une belle qualité dans ce monde en pleine mutation si nous pouvions ravaler cette mauvaise conscience imposée qui ne nous a jamais appartenu. 

La nouvelle question nationale

Au vu de cette évolution de la société, nous nous trouvons en fait derrière le point zéro et donc nous ne devons pas recommencer au début, mais bien avant le début. Notre acquis national, n'étant plus un acquis, la question d'un référendum ou de quelconques projets d'indépendances à court terme ne peut être que de l'ordre du fantasme si nous ne renouvelons pas avec notre esprit de communauté forgé par notre singularité culturo-historique. À moins de croire que l'on peut convaincre plus de 50% des gens avec des arguments d'intérêt personnel (ce auquel je doute fortement). Et même si l'on faisait l'indépendance de cette façon, notre nation ne serait que fictive, car nous nous fonderions dans le mondialisme à l'Américaine aussitôt celle-ci faites.

Le message que j'essaie de faire passer dans ce texte, c'est qu'il nous faut cesser de croire que la seule séparation d'avec le Canada nous apportera l'indépendance, car le monde à changé (et du même coup le nôtre) et le problème de l'indépendance est maintenant global. Le mondialisme néolibéral, qui attaque tous les peuples de l'intérieur et détruit au final toutes nations, ne peut être ainsi balayé du revers de la main pour des questions d'empressements et de facilités. En fait, ce que je veux dire c'est que la révolution aujourd'hui est d'abord identitaire avant d'être national (au sens institutionnel), car une nation sans identité n'est qu'une coquille vide et, de ce fait, sans intérêt, pouvoir et indépendance. Alors, sans oublier l'objectif final qu'est l'indépendance nationale, au lieu de faire du surplace et s'embourber comme nous le faisons depuis trop longtemps avec des moyens désuets, réfléchissons à notre place en tant que peuple sur Terre pour pouvoir penser en nation plus qu'en province.   

Benedikt arden

  1. C’est le problème fondamental du fédéralisme multinational, qui ne peut instaurer de base commune que par la voie de la technocratie libérale, les peuples ayant des volontés généralement distinctes dues à leurs singularités historiques.
  2. Diviser pour mieux régner est un beau proverbe pour les despotes, mais dans le cas d’une société démocratique l’unification est la seule façon d’avancer, alors la singularité identitaire devient le seul creuset possible pouvant transcender les divisions idéologiques et les divergences d'intérêts.
  3. La religion étant inclues dans le terme de culture.
  4. Ici je définis le multiculturalisme comme la vision d’un peuple sans culture commune. En fait, c’est l’exacte définition moins le baratin.