lundi 15 février 2016

Que se passe-t-il en France ?

Comme plusieurs d’entre vous, j’observe la politique française de façon régulière et celle-ci avec un intérêt certain. La raison est que la politique française est un sport assez édifiant et que son contenu est bien souvent beaucoup plus coloré que cette fade politique québécoise et canadienne, un peu trop imbibé du bipartisme issu du système électoral britannique. Malgré cet intérêt et inversement des raisons qui la rende intéressante, il est parfois patent de voir à quel point la politique de nos cousins à la lourde tendance à pousser les faux-semblants idéologiques une case trop loin. Au point de prétendre des choses qui sont à des années-lumière de ce que les faits démontrent. Au niveau des politiciens professionnels, cela va de soi, mais aussi au niveau des médias et des intellectuels de plateaux télé. En tout cas, c’est le sentiment qui devrait survenir à plusieurs qui garde ce réflexe empirique[1], si propre à la philosophie anglo-saxonne. Et je vous avoue que malgré tout l’intérêt que je porte à la nature idéelle de la politique française, je commence à croire que ce pays, si cher à nos idées politiques, ne finira jamais de tomber dans les abimes. Et ceci, malgré toutes leurs qualités et surtout sur ce qu’ils disent d’eux même.

Cela me désole, mais déjà que les deux présidences de Chirac étaient mauvaises[2], celle du nabot Sarkozy me semblait battre tous les records. Après tous les exploits du petit matamore « Casse-toi po’v con ! », le couronnement de François Hollande fut ce qui me semblait l’achèvement de ce cycle de chute rapide. Évidemment, il ne me semblait pas possible qu’un personnage de ce « calibre » puisse séduire qui que ce soit, mais bon, Sarkozy ne semblait pas pouvoir être battu, tant il volait bas. La politique française, même reprit par la gauche « Flamby », ne pouvait (enfin, c’est ce que je croyais à l’époque) que se stabiliser un peu, même si le changement c’est [ne devait pas vraiment être pour] maintenant. Autrement dit, le retour d’un président « normal », sans être le réveil de la France respectable[3], aurait au moins le mérite de ralentir la chute. Mais grave erreur !

Emmanuel Todd, au sujet de son pari plus qu’erroné d’un hypothétique « Hollandisme révolutionnaire », disait qu’il « est très difficile d’imaginer qu’un type qui fait l’effort d’être en situation d’être président de la République [ait à ce point, et vu l’état de la situation, la force] de non-caractère de ne rien faire ». Et là-dessus, je ne peux que partager son sentiment, car, sans pour autant avoir partagé son optimisme de départ, je ne pouvais croire qu’un être normal (comme il se targuait d’être) pouvait laisser sombrer à ce point le pays dont il a la charge. Et plus encore, si ce n’était que de la soumission économique, je ne prendrais surement pas la peine d’écrire ces lignes, car cette situation est désormais la norme de la social-démocratie. Mais depuis les tout débuts de son mandat, le parti de François Hollande est surtout connu pour sa tentation autoritaire. Et comme l’a déjà dénoncé Frédéric Lordon dans une de ses conférences, cette tentation de la politique antisociale & autoritaire est d’autant plus grave que le simple fait qu’il soit issu de ce qui se déclare être de « gauche » rend passif tout un pan de l’opposition qui devraient s’exprimer à gauche face à ce genre de politique.  

Le parti socialiste (PS), héritier de la SFIO des Jean Jaurès, Jules Guesde, Paul Lafrague, Édouard Vaillant, etc., a une triste histoire depuis son arrivée aux affaires de l’État français en 1981. Le documentaire de Fakir[4] et l’entretien de Jean-Pierre Garnier sur son livre « La Deuxième Droite » sont édifiants à ce sujet. Et laissent un terrible sentiment de trahison pour le spectateur crédule. Mais comme je l’ai déjà mentionné, trahir le peuple par des mesures néolibérales quand on est avant tout disposé à ce coucher, comme le cas du : « mon adversaire c’est le monde de la finance », n’est pas nouveau et l’exemple grec en est la plus douloureuse et récente expérience. Les partis sociaux-démocrates du monde occidental ont la fâcheuse tendance à trahir leurs pensées depuis des décennies (hier la lutte des classes et le pacifisme, aujourd’hui le peuple et l’égalité économique) jusqu’à devenir des supplétifs de la droite, comme ce fût le cas dans l’Allemagne d’après la Première Guerre mondiale[5]. Mais là où les choses deviennent particulièrement graves, c’est quand cette gauche dérive vers l’extrême droite, comme c’est actuellement le cas en France.

« Extrême droite !? », me répondrez-vous sur un ton d’étonnement. Évidemment cela peut sembler excessif pour qualifier leur tentation autoritaire, surtout dans un contexte européen où les partis identitaires de droite et d’extrême droite fleurissent dans ce bourbier qu’est l’Union européenne. Mais comme l’a écrit Viktor Dedaj dans une chronique en 2014 :

Dans « extrême-droite », il y a droite et extrême. Alors, prenez une politique de droite, et appliquez-la à l’extrême. Vous obtenez quoi, sinon une politique quasi-conforme à la politique actuelle du PS ? Si la même politique avait été menée par un autre parti, dans un autre pays, nous l’aurions qualifié d’extrême-droite. Alors, pourquoi pas ici ? À cause d’une phraséologie saupoudrée de pseudo-progressisme ? À cause du fait qu’ils chantent l’Internationale lors de leurs congrès ? Parce que le PS aurait une « aile gauche » ?

Après la lecture de cette courte citation, vous comprenez peut-être mieux que cette accusation n’est pas liée à la subjectivité symbolique liée aux mots, mais sur le sens strict que ces mots devraient signifier. Il n’est pas ici question d’associer le PS aux idées des partis traditionnellement classés à l’extrême droite, mais bien d’affirmer que ce qui fait qu’un parti d’extrême droite est d’extrême droite, n’est pas tant le point de vu que celui-ci adopte par rapport à l’identité ou à l’immigration, mais bien s’il pousse une politique de droite à l’extrême. Et il n’est plus permis de douter que le bilan de Hollande et de Valls va dans ce sens et ce n’est pas le « mariage pour tous » qui l’allégera, vu la manière dont il a été imposé.

L’autoritarisme de l’État français, incarné par Manuel Valls, se veut de « gauche », car il impose des valeurs de gauche[6], mais il les impose de telle manière que l’on peut presque sincèrement parler de politique totalitaire, car limitant depuis longtemps la liberté d’expression publique et privée, avec le renforcement du plan « Vigie Pirate ». Et dernièrement, ceux-ci ont même réussi à mettre en place sans grands heurts tout un système d’arrestation arbitraire, ou « préventif » comme ils disent. Au fil du temps, bien des mesures se sont ajoutées à cette politique générale d’extrême droite. Mais je sais que certains défenseurs du PS pourraient me rétorquer qu’il y a eu les attentats du 7 janvier et du 13 novembre 2015 et que cela change la donne. En effet, cela a changé la donne, mais malheureusement pas dans le sens escompté. Car s’il y a bien une chose qui a changé dans les têtes des dirigeants socialistes depuis ces attentats, c’est bien leurs cotes dans les sondages et pour ces sinistres personnages aucune manipulation n’est trop aberrante pour être envisagées. Souvenons-nous de cette parade de dictateurs et de politicards dans la manifestation des Charlies du 11 janvier dernier. Et d’ailleurs, le fait qu’un journal libertaire satirique comme Charlie Hebdo en devienne pratiquement la nouvelle Marianne de la République et que pour cela on en soit rendu à devoir « repérer et traiter ceux qui ne sont pas Charlie », notamment en incarcérant des enfants, devrait en faire sursauter plus d’un.

Mais depuis les événements du 13 novembre, nous arrivons à un comble qui dépasse (et de loin) toutes les phrases creuses du matamore Sarkozy sur le nettoyage au karcher. L’état d’urgence décrété au lendemain du dernier attentat pouvait se comprendre dans un périmètre de temps et d’espace donné et dans l’application de leur constitution, mais le 20 novembre 2015 celui-ci est allongé de 3 mois et ensuite, semble-t-il, maintenu « jusqu'à la défaite de Daesh ». Donc aussi bien dire « pour toujours », comme l’a fait remarquer cette journaliste de la BBC. Comme il est plus que douteux que l’État français soit bien perspicace à écraser l’un des ennemis de son ennemi (pas la finance bien sûr, mais Bachar El Assad), que celui-ci a ouvertement soutenu ce qui est à l’origine de Daesh et c’est reconnu être le vassal complet des États-Unis, en rétablissant le protocole de Paris, qui eux-mêmes (les EUA) se sont reconnus être liées à la conception même du groupe État Islamique, via l’opération « Timber Sycamore ».    

Enfin, vous comprenez probablement que la « défaite de Daesh » n’est pas pour demain et que même Manuel Valls ne cache même pas le fait que cela puisse durer le temps d’une génération (le temps requis pour habituer le peuple à cette situation nouvelle ?)[7]. L’état d’urgence, n’est évidemment pas l’état de siège[8], mais cette situation ressemble beaucoup à notre Loi sur les mesures de guerre, car donnant d’énormes pouvoirs judiciaires à l’exécutif. Ce qui fait que la police peut essentiellement arrêter quiconque pouvant être soupçonné, et ceci, de manière parfaitement arbitraire. L’État français n’a d’ailleurs pas chômé depuis le 13 novembre et s’est rendu responsable de nombreuses dérogations à la convention européenne des droits de l'homme en plus d’un nombre impressionnant d’arrestations et perquisitions arbitraires. De plus, noter que cet état d’urgence fut bien pratique afin de « raisonner » les militants écologistes lors de la COP21. Il est donc impossible de ne pas voir dans ces mesures antiterroristes, une manière d’étendre l’autorité de l’État sur l’ensemble de ses opposants et non pas uniquement aux seuls djihadistes. D’ailleurs ce gouvernement ne s’en cache même pas.  

Au-delà de l’autoritarisme à proprement parler, même les mesures politiques prisées par l’extrême droite identitaire sont maintenant à l’ordre du jour, avec la déchéance de la nationalité pour les binationaux. Ce qui crée, de fait, deux types de citoyens (adieu égalité devant la loi !) et qui, vous l’admettrez surement, ne risque pas d’affecter beaucoup les terroristes « mononational », comme les équivalents français de notre islamiste « de souche » (Martin Couture-Rouleau), ou ceux qui n’ont pas de papiers du tout.

À l’évidence, la France passe un mauvais coton qui ne finit plus de ne pas finir et si l’on croit que le fond est atteint, un peu de prudence devrait nous laisser prévoir un fond peut-être encore bien profond. Qui sait ? Il n’est pas impossible qu’au gré d’un nouvel attentat, les élections soient annulées pour des raisons de sécurité d’État. Après tout, il n’y a pas eu d’élections lors de la Deuxième Guerre mondiale. De cette façon, le PS pourrait garder le pouvoir qu’il a su créer tout au long de sa fameuse « guerre contre Daesh » tout en continuant de se prétendre de « gauche » et (pourquoi pas) « socialiste » ! Ce genre d’allusion n’est pas mon genre, mais le contexte si prêt tellement bien qu’après tout, un incendie du parlement français (ou autre chose d’équivalent) pourrait être une excellente occasion de mettre un terme aux libertés individuelles par une loi d’exception, comme l’a fait le Valls Allemand d’une autre époque ! Scénario finalement assez comique, car il est à peu près sûr que l’attentat serait imputé à extrême droite (pas celle du PS, mais de celle qu’on nomme la dissidence[9]), comme c’est constamment le cas depuis les délires anti Dieudonné de 2014. Ce qui ferait qu’une nouvelle extrême droite se servirait d’une autre[10] pour se constituer définitivement.

Enfin, tout cela n’est pas mon souhait, mais il n’est plus permis de croire que le PS soit en mesure de se pondérer lui-même. Ce gouvernement, comme l’a justement évoqué François Asselineau dans une récente vidéo, est celui qui se révèle être le plus à droite de la période d’après-guerre. Et ce n’est pas parce que ce parti se dit de « gauche » et « socialiste » qu’il doit être vu comme tel. On doit toujours juger les hommes par leur action et non par leur nature, c’est l’une des leçons de l’Histoire et ce n’est pas parce que les Français sont un peuple particulièrement idéologue et que beaucoup soient parfois aveugle à une multitude de faits que le réel ne finira pas par frapper durement un jour ou l’autre. Simplement, souhaitons que ce retour du réel ne soit pas aussi le coup de grâce !

Benedikt Arden (février 2016)   



[1] Autrement dit, juger les politiques d’après l’expérience concrète de leurs résultats et non pas seulement sur des valeurs ou des idéologies.
[2] Via cette pathétique élection face à Jean-Marie Lepen de 2002, cette calamiteuse gestion des émeutes de 2005, le très démagogique référendum sur la constitution européenne et j’en passe …
[3] Celle qui s’est notamment opposée aux États-Unis à une autre époque.
[5] Notamment avec la présidence d’Friedrich Ebert, l’assassin indirect de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht.
[6] Pas des politiques de gauche, mais ici ce sont bien des valeurs morales qui sont imposées.
[7] L’état d’urgence c’est d’ailleurs constitutionnalisé officiellement le 8 février dernier avec seulement 24% des députés. Comme quoi les libertés civiques n’ont plus la cote chez les politiciens français !
[8] Transfert de pouvoirs des autorités civiles aux autorités militaires.
[9] Comprendre ici la mouvance autour de Dieudonné et de Soral.
[10] Je sais que le terme d’extrême droite n’est pas vraiment le mot qui convienne pour les qualifier, mais c’est celui qui est utilisé par la presse en générale et le gouvernement.