mardi 5 juin 2018

Avoir les défauts de ses qualités ...


Le verdict est tombé dimanche 3 juin 2018, en après-midi. Martine Ouellet a perdu son vote de confiance, avec un appui de seulement 32%. Les adversaires de Martine se sont immédiatement félicités de cette victoire à la Pyrrhus et appellent maintenant, tout sourire, à l’unité. Maintenant que la lutte est terminée, la reconstruction du parti peut enfin se faire dans la joie et la bonne humeur, alors que leurs adversaires résident encore au tapis. Rien d’étonnant d’ailleurs, de les voir l’air béat de satisfaction devant ce résultat, puisque leur thèse tenait à limiter la crise du Bloc à la seule personne de Martine Ouellet.

Malheureusement pour eux et pour l’ensemble du parti, le mal est déjà fait, car ce genre de « guerre civile » ne fait que des victimes. Il n’y a donc très peu de raison de se réjouir, étant donné qu’il n’est rien de moins sûr que les putschistes qui ont quitté le parti (avec tout le drama qui en a suivi) ne sont absolument pas certains de revenir au bercail. Et il est non moins certain que tous les pros Martine sauront rentrer dans le rang sans une certaine amertume. En d’autres termes, les cicatrices de cette crise sont profondes et elles prendront du temps à disparaitre.

L’appel à l’unité des anti-Martine à au moins un point d’appui intéressant sur lequel baser leur volonté de refondation. En effet, 65% des membres ont plébiscité la stratégie indépendantiste, que certains disent « radicale », de mettre l’accent sur l’indépendance, plutôt que la fameuse thèse de la « défense des intérêts du Québec à Ottawa ». Il est vrai que le parti est relativement uni sur ce point, mais reste qu’il est assez incohérent de souhaiter défendre la cause indépendantiste au fédéral, tout en rejetant la personne qui défendait cette option.

Il n’est douteux pour personne que la suite réside dans une nouvelle course à la chefferie. Mais la victoire que certains festoient encore, devrait être fortement nuancée par quelques faits fortement évidents. De quoi seront faits les débats de la future course à la chefferie? Encore et toujours par cette opposition entre la priorité mise à la défense des intérêts du Québec à Ottawa et celle de la souveraineté. Encore une lutte qui verra s’affronter les deux tendances du parti. Et comme 65% des membres désirent maintenir la ligne Ouellet, le scénario de 2014 (avec une victoire contre les disciples de Duceppe) ou pire, avec une victoire sans adversaire comme en 2017, risque fortement de se reproduire. Dans tous les cas de figure, le prochain chef ou cheffe devrait normalement se faire élire sur sa volonté de maintenir cette ligne, puisqu’elle est dominante au Bloc.

Par contre, ce qui pose problème et qui ne s’est en rien réglé lors de ce vote de confiance, c’est que la mainmise des autonomistes sur une partie de l’appareil est encore bien présente. Il est donc à peu près certain que le (ou la) prochain(e) leader subira le même genre de mutinerie, s’il ou elle ose encore une fois tenir à bout de bras cette option. Je ne prétends pas cela gratuitement, car ce que l’on reprochait à Martine Ouellet c’était son intransigeance sur la ligne à suivre. Elle était têtue et n’écoutait probablement pas assez les autonomistes et les partisans de l’union à tout prix. C’est certainement vrai. Cependant, cet entêtement est aussi ce que l’on appelle avoir les « défauts de ses qualités ». Il n’en allait pas autrement de Jacques Parizeau, qui eut affaire au même type de dissidence de la part des autonomistes du PQ de l’époque pré-référendaire et qui a tenu la cause nationale jusqu’au bout. C’est d’ailleurs le propre de toutes les grandes figures historiques de la politique mondiale, toutes tendances et toutes périodes confondues, que de défendre leur option jusqu’au bout.

Il est donc prévisible que le ou la candidat(e) qui souhaitera mettre l’indépendance en avant subira la même fronde que Martine Ouellet et Mario Beaulieu ont subie. Le prochain chef ou cheffe devra donc nécessairement, s’il ou elle veut se maintenir, adopter une attitude ambivalente sur la question nationale, afin d’éviter de se voir poignarder dans le dos par les représentants de la fraction autonomiste du parti. Le ou la chef(fe) devra donc maintenir une ligne comparable à celle du PQ. C’est-à-dire parler d’indépendance pour rallier les troupes et faire du chantage à la division du vote, mais ne parler que le langage autonomiste devant les médias et le reste de la population.

Les membres du parti auront beau s’en plaindre, il ne faudra pas trop la ramener, car c’est le prix qu’ils ont décidé à 68% de payer. L’union avec les disciples de Gille Duceppe, qui ne supportent pas qu’on parle d’indépendance dans les institutions de Sa Majesté, est à ce prix! Les défauts des qualités du prochain leader conciliant et consensuel envers les deux tendances du Bloc sera donc sa mollesse et son ambivalence. Ce que plus de 20 ans d’expérience a désormais démonter n’apporter que des défaites. C’est le prix du style de « leadership » que les anti-Martine doivent s’attendre payer, puisqu’ils ont bel et bien prouvé que l’intransigeance sur la question nationale ne devait pas avoir sa place au Bloc Québécois.

À bon entendeur, salut !

Benedikt Arden (juin2018)