samedi 24 novembre 2012

vendredi 16 novembre 2012

Tous ces connards de HEC (ou l’équivalent)


« Ils sont parmi nous.
On ne sait pas qui ils sont,
On ne sait pas d’où ils viennent,
Leur seul objectif : nous pourrir la vie. 
Et rien ne peut les arrêter. »


La dernière fois que j’ai conversé avec un connard de HEC (ou l’équivalent), j’ai eu le sentiment désagréable de regarder la télé. C’était aussi bavard, nombriliste, hystérique et d’une bêtise agressive. On aurait dit qu’il avait mémorisé : 1) tous les « dossiers » du magazine Le Point sur le Salaire des Cadres, les Francs-Maçons et l’Islam ; 2) toutes les enquêtes de l’Express sur le Salaire des Cadres, le Prix de l’Immobilier et les Musulmans ; 3) tous les numéros spéciaux du Nouvel Obs sur le Salaire des Cadres, l’Homosexualité et les Arabes.

Chez lui, le concept de « radicalité » se limitait à la lecture de Courrier International et les Guignols sur Canal+. J’ai cru un instant qu’il faisait dans l’ironie, genre pince-sans-rire. Pas du tout. J’ai même eu droit à un « tu comprends Viktor, selon la loi de l’offre et la demande... ».

Sérieusement : vous le saviez, vous, qu’il existe réellement des individus qui prononcent réellement ce genre de phrase avec tout le sérieux du monde ? Et moi qui pensais que c’était une de ces phrases « connues » mais que personne ne prononce réellement dans la vraie vie. Une phrase comme «  Attends, ce n’est pas ce que tu crois, je peux tout t’expliquer », vous comprenez ? Une phrase que personne ne prononce réellement dans la vraie vie sauf à être – et là, retenez votre souffle – totalement et irrémédiablement lavé du cerveau, avec une mini-salle de projection à la place de la cervelle et vivant littéralement dans un film où son ego tient le rôle principal.

A part ça, il y avait quelque chose qui me titillait depuis le début, un truc sur lequel je n’arrivais pas à mettre le doigt... lorsque soudain, j’ai compris. Mon Dieu, j’avais devant moi - à quelques centimètres à peine - un être que je pensais n’exister que dans les légendes et les contes de fées, à l’instar des licornes, des dragons et des Socialistes Français de gauche. Devant moi se tenait l’aboutissement de toute l’histoire de l’évolution, l’être parfait ; inébranlable, infatigable, indestructible et même indécoiffable, la toute dernière production du système médiatique moderne, celui dont tout le monde parle mais que personne n’a jamais croisé, un être parfaitement adapté à son milieu ambiant. Oui, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, permettez-moi de vos présenter... le Connard Parfait.

A la fois terrifié et subjugué, j’étais Sigourney Weaver (en petite culotte) et lui l’Alien bavant (tu m’étonnes...). Lorsqu’il ouvrait la bouche pour parler d’économie, c’était du Alain Minc qui sortait. Pour parler de société, c’était Jacques Attali plein les oreilles. Sur les questions géopolitiques, c’était BHL qui lui sortait des narines. Et de tous les autres orifices de son corps : du Jean-Pierre Pernaud.

Il regardait les films que faisaient les plus gros scores au box-office, écoutait la musique qui cartonne en ce moment, regardait sur Youtube les vidéos les plus populaires et ne lisait que des best-sellers.

Ouaip : on avait beau l’essorer, il n’y avait plus une seule goutte de lui en lui.

Pourquoi je vous parle des connards de HEC (ou l’équivalent) ? Pour rien.

* * * *
Je me souviens encore d’une époque, au temps sombre du service public, où les bureaux de poste ressemblaient encore vaguement à des bureaux de poste. On y entrait en tenant humblement à la main une lettre ou un colis dans l’espoir fragile de le faire affranchir et expédier vers une destination plus ou moins exotique (comme la Caisse Primaire d’Assurance Maladie). Aujourd’hui, on entre dans un « espace d’accueil » qui ressemble à un supermarché et où les enveloppes sont présentées sur des rayons comme des fucking tranches de saumon fumé au milieu de tout un « merchandising » qui frise le Royaume de Mickey : des tasses marquées « la poste », des clés USB « la poste » et même des sacoches de facteur « à l’ancienne » avec marquées dessus - vous allez rire - « la poste ».

Le « self-service » y est tellement de rigueur que je suis encore étonné de n’avoir pas à transporter moi-même le courrier que je viens moi-même d’affranchir (et ne croyez pas que les connards de HEC (ou son équivalent) n’y ont pas pensé, c’est juste qu’ils n’ont pas encore trouvé le moyen de nous le faire avaler. Une suggestion amicale de ma part : « l’Europe » - mot magique qui marche à tous les coups)

Au temps sombre du service public, si la lettre mettait plus de deux jours pour arriver à destination, on supputait déjà le décès impromptu du facteur en pleine tournée ou une grève sauvage lancée par un de ces syndicats dont on confondait toujours le nom. Si la lettre mettait plus de trois jours, la rumeur courait sur un probable acte de sabotage. A quatre jours, ça y est, une catastrophe naturelle s’était abattue quelque part en France, en emportant facteur, sacoche, vélo et tournée.

On l’appelait laconiquement « La Poste » et on savait en général pourquoi on y était, ce qu’on y faisait et à quoi ça servait. C’était pas cher, ça marchait super bien, et le monde entier nous l’enviait encore plus que le couple Halliday.

Il arrivait que « La Poste » brise quelque tabou ancestral en lançant des initiatives dont la témérité donnait le tournis, comme l’instauration d’un tarif d’affranchissement « économique », par opposition au « normal ». Un tarif pensé pour ceux qui n’était pas pressés (car il y en avait encore) ou ceux qui s’envoyaient à eux-mêmes des courriers. Et ce qui était jadis considéré comme un service « normal » s’appelle désormais un service «  hyper-méga-rapide, genre chrono à la main et et zip c’est parti » et vous est facturé 10 fois plus cher.

Au temps sombre du service public, les murs des bureaux de poste étaient décorés d’affiches et de timbres postes du monde entier qui faisaient rêver les gamins au lieu de les préparer à entrer dans la vie inactive. Et si d’aventure plus de quatre personnes avaient l’outrecuidance de vous précéder dans la file d’attente, on considérait que vous étiez en droit de prendre votre carte à la Ligue Communiste Révolutionnaire.

Mais un jour un connard de HEC (ou son équivalent) a eu son diplôme et son papa connaissait quelqu’un qui connaissait quelqu’un qui jouait au golf avec untel, et ce fut l’enfer.

Désormais, ce sont de grands écrans plats qui sont chargés de vous faire patienter en vous vendant le bonheur de faire la queue. Si par miracle il y a moins de vingt personnes devant vous, c’est que vous êtes retraité ou chômeur ou l’innocente victime d’une caméra cachée.

Au temps sombre du service public, le facteur était une sorte de personnalité locale qui ne se faisait voler la vedette que par le pompier, l’instituteur et, éventuellement, le maire (lorsque ce dernier n’était pas en prison). Mais un des grands mystères du monde moderne que je n’arrive pas à résoudre est celui des « lettres recommandées ».

Je vous explique : jadis, lorsqu’une « lettre recommandée » vous était destinée, le facteur sonnait à votre porte et vous la remettait en échange d’une signature. En cas d’absence, un avis était glissé avec tact dans votre boîte-aux-lettres. Fini tout ça : vous aurez beau être chez vous toute la journée et même la passer à guetter le passage du dit facteur (à quoi ressemble-t-il ? porte-il un signe distinctif ?), vous aurez beau scruter la circulation dans la rue et même l’horizon, beau tendre l’oreille derrière la porte en guettant la moindre agitation dans le couloir, beau vérifier pour la dixième fois que votre sonnette fonctionne parfaitement, ce ne sera qu’à la nuit tombée que vous trouverez un « avis de passage » subrepticement glissé dans votre boîte-aux-lettres.

Suprême affront : cet Arsène Lupin des temps modernes, pour préciser le « motif de non distribution » aura soigneusement coché la case « destinataire absent ». Affront qui sera suivi par une invitation à vous rendre au bureau de poste le plus proche où la lettre-que-nous-n’avons-pu-vous-remettre-pour-cause-que-vous-n’étiez-pas-là vous attendra, goguenarde, à partir du lendemain 14h00- invitation elle-même suivie d’un ricanement silencieux.

Parce que t’as beau investir dans un système électronique de détection, poser des pièges et même élever une batterie d’oies pour donner l’alerte, rien n’y fait. Alors ? Comment font-ils ? Sont-ils équipés de semelles hyper-silencieuses ? Portent-ils des uniformes faits de la même matière que les avions furtifs américains ? Portent-ils une cape d’invisibilité ? Se déplacent-ils à une vitesse proche de celle de la lumière ? Mystère, vous dis-je.

Connards de HEC : rendez-nous la Poste et allez jouer ailleurs

Au temps sombre du service public, il y avait des trains. Des trains qui partaient (c’est bien) et qui arrivaient (encore mieux) à l’heure avec une fiabilité et précision tellement légendaires qu’on faisait dire aux employés de la SNCF que « Avant l’heure, c’est pas l’heure. Après l’heure, c’est plus l’heure ». C’était l’époque où lorsque vous voyiez un train partir en retard, vous saviez que c’était votre montre qui avançait. Et vice-versa . C’était une époque sombre où les TGV glissaient - je me souviens qu’on pouvait écrire dans un TGV lancé à pleine vitesse sans que la calligraphie n’en souffre (mais qui écrit encore dans un train ?). C’était l’époque où les prix des billets étaient compréhensibles, où on avait le droit de rater un train et de prendre le suivant sans être accusé d’appartenir à Al-Qaeda. Une époque où les seuls militaires qu’on croisait dans les gares étaient des bidasses en permission. C’était l’époque où pour tout incident vos étiez en droit de prendre votre carte à Lutte Ouvrière.

On l’appelait laconiquement « la SNCF » et on savait en général pourquoi on y était, ce qu’on y faisait et à quoi ça servait. C’était pas cher, ça marchait super bien, et le monde entier nous l’enviait encore plus qu’une chanson de Mireille Mathieu.

Mais un jour un connard de HEC (ou son équivalent) a eu son diplôme et sa maman jouait au bridge les mercredi avec l’épouse de quelqu’un qui connaissait quelqu’un qui jouait au tennis avec untel, et ce fut l’enfer.

Aujourd’hui, il y a toujours des trains. Des trains qui partent (c’est bien) et qui arrivent (encore mieux). Que vous faut-il de plus ? Si vous voyez un train partir en retard, ça veut dire qu’il n’est pas parti en avance. Et toc. Un voyage en TGV secoue tellement qu’on se croirait dans un avion à hélice traversant un orage et même si vous n’écrivez plus que sur un clavier, tâchez quand même de le faire sur un ordinateur portable anti-chocs.

Votre bonheur est censé être garanti car vous ne voyagez plus dans un vulgaire TGV, mais dans un iTGV – le « i » dénote une tentative désespérée de branchitude (qui est l’attitude standard d’un loser lorsqu’il se retrouve malheureusement à un poste quelconque de responsabilité). Bientôt, ils nous vendront de la i-merde et nous diront que c’est moderne.

Acheter un billet n’est plus une formalité mais une épreuve de Fort Boyard. Vous commandez vous-même votre e-billet (ah, cette fois-ci, c’est un « e ») sur Internet et/ou vous l’imprimez vous-même. Le cas échéant, vous compostez vous-même votre billet. Vous pouvez aussi acheter ou échanger votre billet vous-même via une machine automatique. Combien de temps reste-t-il avant qu’ils ne décident que le train sera conduit par nous-mêmes et que le conducteur sera choisi à la courte-paille parmi les passagers ?

Et si par hasard vous décidez - pour une raison qui vous appartient - de participer, genre baroudeur, à l’aventure « objectif-guichet », et que vous réussissez à en trouver un (ouvert, parce que les guichets fermés, ça ne compte pas), la file d’attente interminable qui vous précède vous rappellera le jour de sortie de dernier « Harry Potter ». Comment font-ils pour obtenir de telles files ? Embauchent-ils des stagiaires ou des figurants pour nous décourager ? Lancent-ils la rumeur d’une vente sauvage d’iPhones - tiens, encore un « i » - pour tel jour à telle heure (devant le guichet « départs immédiats » de préférence) ? Si oui, comment savaient-ils que vous alliez vous présenter effectivement devant ce guichet-là, tel jour à telle heure ?

Mais les connards de HEC qui pensent à tout ont même prévu là aussi des écrans plats qui diffusent des spots hilares pour vous expliquer combien c’est cool le train, alors que vous êtes bien placé (128ème dans la file) pour le savoir.

Oui, heureusement que les connards de HEC sont là. Changement d’uniformes, changement de logo. Des dizaines de millions d’euros engloutis pour «  rehausser l’image de marque », pour « redynamiser le concept ». Les employés coiffés de casquettes qui les font ressembler à des Robin des bois futuristes sortis d’un film de série B raté ; un logo TGV corniaud ; des «  s’miles » qui s’accumulent sur votre carte de fidélité ; et patati et patata, sans oublier la publicité omniprésente dans les gares, sur les quais, partout.

Connards de HEC : rendez-nous la SNCF et allez jouer ailleurs.

Au temps sombre du service public, il y avait des téléphones. Des trucs qu’on décrochait, sur lesquels on composait un numéro, et... voilà. Le téléphone quoi. Un réseau extraordinaire, construit avec notre argent. Evidemment, les plus jeunes diront que j’exagère, que j’embellis, mais il fut un temps où lorsqu’on appelait un service (commercial ou dépannage), on trouvait quelqu’un au bout du fil, une personne en chair et en os. Lorsqu’on avait un problème, le gros Dédé (ou son équivalent) se pointait avec sa boîte à outils, réparait le truc et repartait. Si tu voulais trouver un numéro, il y avait un annuaire. Pas d’annuaire à portée de main ? Les renseignements, pardi.

Ca s’appelait laconiquement « France-Télécom » ou encore « les PTT » et on savait en général pourquoi on y était, ce qu’on y faisait et à quoi ça servait. Les tarifs étaient clairs, accessibles, compréhensibles. C’était pas cher, ça marchait super bien, et le monde entier nous l’enviait encore plus que le Stade de France.

Mais un jour un connard de HEC (ou son équivalent) a eu son diplôme et son chien pissait contre le même poteau que le chien d’un autre qui connaissait quelqu’un dont le fils fréquentait la même école privée que la fille d’untel, et ce fut l’enfer.

Changement de logo qui a coûté des millions (pour « rehausser l’image de marque », pour « redynamiser le concept »), un rachat et un changement de nom qui a coûté des millions. Maintenant c’est « orange » - tu parles d’un nom... pourquoi pas « caca d’oie » ?

Désormais, nous voilà devant des sociétés à foison, prédatrices de nos investissements d’antan, des grands opérateurs, des petits opérateurs, des opérateurs sortis d’on ne sait où qui vous promettent des communications à 0,08 euros la minute vers le pôle sud, des portables « bloqués », débloqués, des forfaits « carrés », « carrés silver » (ça veut dire argent, non ?), des formules « zen », « origami ». Bref, si tu sais choisir un abonnement, tu sais lire le manuel de vol d’une navette spatiale ou bien – autre hypothèse – tu n’as vraiment rien de mieux à foutre de tes journées.

Connards de HEC : rendez-nous France-Télécom et allez jouer ailleurs.

Et pour tous ceux qui se demandent encore ce que signifient les lettres H.E.C. : « H », c’est pour « Hautes », « E » pour « Etudes » et le « C »... eh bien, tout le monde croit que c’est pour « Commerciales »...

Oui, ça y est, maintenant je me souviens pourquoi je voulais vous parler de ça. Mais ce sera pour une autre fois.

Viktor Dedaj

« un jour je vous parlerai de Sup de Co »

samedi 10 novembre 2012

Gabriel Nadeau-Dubois contre les scabs



C’est confirmé depuis un certain temps. Gabriel Nadeau-Dubois (GND) est maintenant coupable d’outrage au tribunal. Coupable d’avoir incité au non-respect d’une décision du tribunal accordant le droit à un étudiant probablement épris de savoir, du nom Jean-François Morasse, d’avoir accès à son cours, et ce, malgré le vote de grève de son association étudiante. Cette supposée incitation, qui n’était d’abord et avant tout qu’une opinion personnelle et non une invitation directe (à ce que je sache !), fut jugée comme telle parce que le concerné était le principal leader de la CLASSE (celle-ci incluant en son sein l’association étudiante du plaignant) et le fait que celui-ci possédait une très large tribune ayant un grand potentiel d’influence. Donc, l‘opinion personnelle du leader étudiant, amplifié par le fait que ses commentaires furent très médiatisés, fut considérée comme une incitation au non-respect de l’injonction.

La première chose que l’on peut comprendre sur cet évènement judiciaire est qu’il doit être (admettons-le) extrêmement difficile de survivre, en tant que représentant étudiant, dans un conflit de la sorte. Et ce, sans courber l’échine devant le pouvoir que l’on souhaite combattre. Cela doit en être d’autant plus difficile que le fait de ne pas donner d’opinions pouvant laisser entrevoir une certaine désapprobation envers une décision judiciaire, allant à contre sens des moyens de pression exercés par son association, si elle doit avoir lieu, peut vous donner des difficultés avec vos propres partisans. Quand l’on est le chef de file d’un mouvement combattant une philosophie politique incarnée par le pouvoir en place, il va de soit que le fond de notre pensée n’est pas toujours aligné sur celui de ce même pouvoir ! En plus de ce fâcheux constat, la situation légale des associations étudiantes est beaucoup plus complexe que l’on pourrait le croire, car il n’existe pas dans la loi de droit accordant de la légitimité aux grèves étudiantes. Pour la justice, une grève étudiante relève plutôt d’un acte de boycott. Non pas d’une grève comme celles du monde syndical professionnel, lui, considérée par le code du travail. Ce qui veut dire que juridiquement parlant, il n’existe pas de scab dans le cadre d’une grève étudiante. Cette situation de vide légal, concernant les moyens de pression que doit mettre en place la gent étudiante pour faire valoir leur point, rend la position de leader étudiant un tant soit peu futile, en plus d’être juridiquement très dangereuse comme nous le remarquons aujourd’hui. Le rôle de leader devient donc quelque chose de tout à fait esthétique ne laissant que très peu, pour ne pas dire aucune, manœuvre pour faire exercer ses fonctions de manière sérieuse. De cette façon, il est plutôt facile d’enfreindre la loi quand on est lapidé de questions par des journalistes à l’effet que des étudiants s’improvisent officieusement scab de grève. Considérons toute fois que dans la « vraie vie » ce n’est pas parce qu’il n’existe pas légalement de grévistes ni de scabs, que les circonstances ne peuvent pas faire qu’ils existent tout de même. La réalité est là pour nous le montrer ! Notons au passage que c’est souvent le propre d’une loi controversée que de ne pas tenir compte de la réalité. Et ce n’est pas parce que l’on ne considère pas un étudiant comme un travailleur qu’ils n’ont pas de revendications politiques à faire valoir. Tout ceci explique assez bien la difficulté du mandat qu’a obtenu GND et il est de très mauvaise foi que de lui renvoyer la faute, car il en aurait été tout autant (si ce n’est pas pire) avec quiconque aurait réellement essayé de jouer le nécessaire bras de fer avec l’ex gouvernement libéral du printemps dernier.

Ensuite, il ne faut pas être naïf des institutions et du baratin officiel. Il est d’une évidence crasse que ce jugement possède un fondement politique qui va bien au-delà du simple droit. Comme vous devez le savoir, les juges de la cours supérieure du Québec ne sont pas élus, mais politiquement nommés par le gouvernement fédéral. Alors il va sans dire que ceux qui sont nommés à ce poste ont une certaine vision politique à faire valoir en plus de celle déjà en substance dans la loi. En somme, le fait que GND est ce qu’il est pèse énormément plus que ce qui lui est reproché. Sanctionner le leader par tous les moyens possibles, et le plus sévèrement possible, est l’une des éternelles méthodes d’étouffement des révoltes, comme celle de la désolidarisions des bases par l’ego et le portefeuille. Enfin, rien n’est moins étonnant de la part du pouvoir que de le voir saigner financièrement GND afin de couper la tête d’une bonne partie du mouvement en faveur de la gratuité scolaire par l’exemple.        

Un autre point que j’aimerais apporter, un peu plus critique celui-là vis-à-vis le mouvement étudiant et qui lie la difficulté d’agir pour faire avancer la cause de la démocratisation de l’éducation postsecondaire à la légalité, est la forme du fond de la revendication. Il n’est pas vraiment surprenant que le slogan étudiant qu’est « l’éducation est un droit » soit utilisé, car il frappe l’imaginaire d’une société conditionnée à penser en termes de droit en plus d’être appuyé par le point 26,1 de la déclaration universel des droits de l’homme (DUDH). Malgré sa forme populaire et toutes les vertus que possède la DUDH, je ne crois pas que ce slogan soit efficace à long terme sur le terrain de la diffusion des idées. Je m’explique. 

Le problème avec ce slogan et, du coup, avec les fondements philosophiques sur lesquels il s’appuie, est que même s’il est effectivement inscrit dans la DUDH que l’éducation doit être gratuite(1) , il reste que cette déclaration est surtout une pétition de principe, qui peut être sujet à interprétation(2), surtout en ce qui a trait les « droits sociaux » impliquant un nécessaire financement. Un autre problème avec ce slogan, et cela dans l’espace polémique, est qu’il est trop souvent confondu avec les habituelles revendications d’ordre salariales et corporatives, relevant de l’intérêt de caste. Revendication généralement considérée comme un privilège corporatiste dans le cadre d’une situation économique en déclin. Vue sous cet angle, la « gratuité scolaire », comme bien des droits sociaux, sera considérée comme allant à l’encontre de la solidarité générationnelle (la dette future) par tous les libertariens et les naïfs de ce monde, en plus de tous les autres préjugés concernant les jeunes qui ne veulent pas faire assez d’effort et autres balivernes de ce type. D’autre part, vouloir utiliser le droit individuel, comme le faire-valoir du mouvement étudiant afin de valider un acte de « collectivisation » (car c’est bien ce dont il est question, car tous doivent savoir que l’éducation coûte beaucoup d’argent et ne peut donc être gratuit), ira inévitable se cogner au sacro-saint droit de propriété, comme l’est toutes mesures socialisantes. Droit de propriété qui est aussi clairement défini dans la DUDH comme inaliénable (point 17,1). 

Pour revenir sur le point 26.1, il ne faut pas oublier que la DUDH ne spécifie pas que l’éducation postsecondaire doit être gratuite. L’article dit que « l'éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l'enseignement élémentaire et fondamental. » En fait, ce qu’indique ce point de la déclaration est essentiellement destiné à protéger l’éducation de base (lire, écrire & compter), ce qui est pratiquement le cas présent au Québec, considérant le financement apporté et les aides aux familles pauvres. De plus, ce que dit la DUDH sur les études postsecondaires c’est que « l'accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite ». Même si ce n’est peut-être pas tout à fait l’esprit de la déclaration, le mérite est aussi vu par une bonne partie de la population comme prix que l’on a payé en terme d’effort autant comme sacrifices pour payer ses études, qu’en terme strictement d’études. C’est dommage, mais bien des gens, que l’on essaie de convaincre du bien fondé de la collectivisation des études postsecondaires, oublie que l’on doit aussi travailler à l’université et que se payer des études ce n’est pas comme se payer un char neuf ! Alors, la revendication de la gratuité comme droit, en plus de ne pas être directement destiné aux études postsecondaires dans la DUDH, est accompagnée dans l’imaginaire populaire d’une considération de mérite non spécifiquement lié à l’effort fait dans ses études, ce qui fait que l’appel aux droits de l’homme n’est pas du tout suffisant pour convaincre les trop nombreux adeptes de la mythologie du rêve américain, qui est que n'importe quelle personne, par son travail, son courage et sa détermination, peut devenir prospère. Et malheureusement, il n’est pas encore arrivé le jour où il sera aisé de défaire ce mythe par des arguments de bon sens, même si ces arguments sont empiriquement avérés comme le démontre l’exemple de tous ces pays qui ont collectivisé l’éducation postsecondaire. 

Évidemment, je ne condamne pas le fait de revendiquer l’éducation comme un droit, car c’est tout à fait justifié d’un point de vue humaniste. Mais il me semble qu’il serait beaucoup plus pertinent, pour l’avancement de la cause, de considérer la collectivisation de l’éducation comme un devoir d’État, car c’est bien comme ça que l’on justifie une collectivisation habituellement. Autant la nationalisation de l’électricité ne s’est pas faite au nom du droit de ne pas payer cher son électricité, autant la collectivisation de l’éducation ne se justifie pas par le simple avantage individuel aux étudiants, mais par un avantage collectif. Autrement dit, l’éducation serait collectivisée pour donner un atout qui concernerait tout le monde, parce que c’est d’abord rentable sur les finances de l’État, donc sur les impôts. Ensuite parce que l’éducation génère des comportements plus sains (santé, criminalité, drogue, fraude, dette, etc.) et rend les gens plus productifs et innovateurs, ce qui joue aussi sur le portefeuille de la population. Enfin, parce qu’un peuple éduqué fait rayonner notre culture dans le monde. Parce que l’éducation fait émerger une conscience politique nécessaire pour une démocratie saine, etc. Bref, pour des raisons de ce que l’on appelle « bien commun ».

Apportés de cette façon, nous nous évitons tout le pactole des arguments néolibéraux comme celui de l’investissement personnel, qui laisse à penser que l’éducation est un simple outil pour faire de l’argent, comme une action en bourse. Ou encore celui qui prétend faire de la sélection naturelle par le prix, afin de se débarrasser des paresseux. Ou, pire encore, celui qui veut nous faire croire que l’on finance l’éducation des riches… comme si les riches (les vrais) n’allaient pas déjà dans les super universités privées inaccessibles pour apprendre l’anglais, histoire d’avoir une vraie formation de boss. Et finalement, neutraliser aussi la pseudo guerre de castes (corporation contre corporation) en ne jouant pas le jeu de l’intérêt personnel contre la société.

Il va sans dire que même si GND et la Classe avaient usé un peu plus de ces types d’arguments, les problèmes juridiques n’auraient pas été moindres. Mais au moins aurions-nous pu donner des difficultés à ceux qui joyeusement répétaient comme des singes savants les arguments belliqueux et sophistiques des libéraux sur le partage du fardeau et aurait ardu le processus de diabolisation. N’oublions pas que ce qui concerne tout le monde et surtout ce qui avantage le plus grand nombre a souvent le pouvoir de sortir le petit peuple de son individualisme. Individualisme qui est, soit dit en passant, l’arme No.1 des pensées antisociales du 21e siècle. Remarquez, jamais l’argumentaire pro hausse ne porte sur la justesse ou non de la démocratisation de l’éducation, mais toujours sur le bien ou mauvais fondé du fardeau du financement. Et cela est fort compréhensible, car cette question a été clairement répondue par l’affirmative, il y a plus de 50 ans, dans le Rapport Parent. Mais au final, maintenant que le cœur de la lutte du printemps dernier s’éloigne, prenons dont un peu de notre temps afin de supporter ceux qui par leur sacrifice ont menés le combat et qui maintenant en paye le prix.

Benedikt Arden 
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[1] « Toute personne a droit à l'éducation. L'éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l'enseignement élémentaire et fondamental. L'enseignement élémentaire est obligatoire. L'enseignement technique et professionnel doit être généralisé ; l'accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite. » 
[2] Chapitre IX de la charte Québécoise des droits et libertés, article 40 : Toute personne a droit, dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi, à l'instruction publique gratuite.

jeudi 8 novembre 2012

L’Union européenne prix Nobel de la guerre !


Récompensée pour « soixante ans de paix ». On croit rêver. Une vaste et mauvaise plaisanterie. D’abord l’Union n’a pas soixante ans. Le Traité de Rome et la création d’une Communauté économique européenne date de 1957. Traité qui n’a pas changé de nom jusqu’au 1er déc. 2009 et l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne… lequel, par un tour de passe-passe, l’a rebaptisé « Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ».

Au mieux, l’Union n’a que vingt ans et naît en 1992 à Maëstricht. Il aura fallu quarante sept ans après les invasions et les prodigieuses dévastations anglo-soviéto-américaines, pour que l’agglomérat européen que nous connaissons aujourd’hui commence à se structurer quelque peu. Mais en quoi cet « ensemble gazeux » dont se gaussait ainsi l’ex ministre socialiste des Affaires étrangères, Hubert Védrine, a-t-il contribué à la paix au cours des soixante dernières années ? À part le jury du Prix Nobel de la Paix réuni à Oslo (à Stockholm pour les autres disciplines), lequel a décidément du bran dans les yeux, vraiment qui peu gober ça ?

Sophistes et sophismes

Bien sûr les sophistes ne manquent pas de souligner l’extinction des conflits intra européens durant les Trente glorieuses, autrement dit les sinistres années de Guerre froide. À l’Est, l’on se tenait coi dans le frigo collectiviste. Passons sur la révolte hongroise d’octobre 1956 et sa répression, passées par pertes et profit. À l’Ouest l’Europe – en tout cas les pays qui la composent, mais l’Europe est-elle autre chose que la somme de ses membres 1 ? – les guerres extérieures font rage. Mais extérieure ou intérieure, la guerre c’est la guerre. Après la fin des guerres dites de libération – Indochine 1945, Corée 1950, Madagascar 1947, Algérie 1954, Suez octobre 1956, Angola 1961, Mozambique 1964… pour les plus marquantes. Il n’est pas d’année sans que s’ouvre un nouveau front de guerre périphérique dans lequel l’un ou l’autre état européen ne soit peu ou prou engagé.

La construction européenne qui s’amorce concrètement après 1957 ne change rien à cela. En fait, la « paix » européenne n’est pas due au pacifisme de nations tard guéries des démons du nationalisme – d’ailleurs en reconstruction après s’être autodétruites - mais en raison de l’équilibre de la Terreur. Jusqu’en 1991 et l’effondrement soviétique, l’Europe vit dans la hantise d’un affrontement nucléaire entre les deux Blocs et l’actualisation – au sens aristotélicien – de la doctrine de la « destruction mutuelle assurée » ! La construction européenne n’a donc rien à voir avec la « paix » imposé de facto par les arsenaux atomiques et les dizaines de milliers de blindés se faisant face de part et d’autre du Rideau de fer, à chaque instant prêts à livrer l’ultime bataille du « Centre Europe ».

Puis, au contraire de ce que l’on eut été en droit d’espérer et d’attendre, la fin du monde communiste et la signature en 1992 du Traité de Maëstricht instituant l’Union, ouvre dès 1993 les portes de l’enfer avec un cycle de sept années de dures guerres balkaniques 2. Celles-ci ne s’achèvent qu’au printemps de 1999 avec la destruction économique de la Serbie par l’Otan, après soixante-dix jours de bombardements criminels au sens littéral 3. Là encore les vicieux sophistes vous diront que la Fédération yougoslave n’étant pas membre de l’Union, on ne saurait parler de guerre intra européenne. En vérité, belle et bien la première depuis 1939. Conflits à répercussions multiples – les Balkans sont toujours et encore inflammables à ce jour - et que l’on doit justement à l’Europe de Bruxelles…. L’Otan n’est pas l’Europe ajouteront les sophistes ! Certes l’on peut jouer longtemps sur les mots comme le faisait sur France Inter le 15 octobre le sénateur Jean-Louis Bourlange, gaulliste de gauche, parfait exemple des négationnistes des réalités les plus immédiates. Reste que les faits sont là : l’Otan c’est l’Europe et l’Europe c’est l’Otan, certes sous commandement américain, comme en Afghanistan où la chose est ouvertement officielle. Faut-il développer ?

Démocratie intempestive et agressive

Depuis vingt années et la naissance de l’Union, nous n’avons en vérité pas cessé d’être en guerre. Peut-être pas « chez nous », mais chez les voisins, alors qu’est-ce que cela change ? Et pas tous les États membres de l’Union à la fois, qui y vont suivant leurs intérêts du moment et leurs humeurs séparément, successivement, chacun dans son rôle et suivant ses compétences. Cela commence en 1991 en Mésopotamie, se poursuit en 2001 en Afghanistan, puis rebelote en Irak en 2003, sans oublier d’innombrables intervention « postcoloniales » dites de « maintien de la paix » en Afrique sub-saharienne, dans la Corne de l’Afrique et l’Océan Indien et autres opérations de stabilisation, en Bosnie, au Kossovo, en Macédoine, au Liban… Enfin, last but not least, directement ou indirectement en Libye et en Syrie où l’Otan – c’est-à-dire l’Europe plus l’Amérique du Nord – interviennent ou sont intervenus à des degrés divers, de façon plus ou moins conventionnelles… puisque de nouvelles formes de guerre, subversives et terroristes, sont désormais à l’œuvre sur des champs de bataille, guerres sans déclaration préalable, avec ou sans l’aval du Conseil de sécurité. Kosovo 1999, Irak 2003, Libye 2011, détournement de la résolution 1993 d’assistance humanitaire pour un bain de sang démocratiquement salafiste… guerre inavouée et inavouable, massacres de civils et des communautés minoritaires en Syrie ! Et puis enfin, les sanctions unilatéralement décrétées par l’Union européenne à l’égard de la République islamique d’Iran – la dernière en date le 15 octobre, après les rétorsions financières et l’embargo pétrolier à l’exportation, consistant pour Eutelsat à bannir les 19 chaînes iraniennes du satellite Hotbird – ne sont-elles pas autant d’actes de guerre ? Guerre qui ne dit pas son nom mais vise à asphyxier mortellement l’économie et la société iranienne ?

Le Nobel Obama « Monsieur Drone »

L’union a de toute évidence bien mérité son Nobel de la paix tout comme M. Obama – lequel brigue en ce moment même, toute honte bue, un deuxième mandat à la tête des États-Unis d’Amérique - a amplement justifié le sien en ayant fait participer son pays à quelque quinze conflits à travers le monde au cours de ses quatre année de présidence. Et, bien que cela n’ait jamais été officialisé, l’Administration Obama a toujours refusé de confirmer ou d’infirmer, le recours à des drones de guerre pour l’élimination des ennemis de la Grande Amérique. Un secret de Polichinelle et une pratique de règle au Pakistan, en Afghanistan, en Somalie, en Libye et cætera. L’armée américaine forme aujourd’hui à ce propos, davantage de pilotes de drones que de pilotes tout court ! Or, selon le quotidien londonien « The Guardian » du 5 juin 2012 : « le Bureau du journalisme d’investigation (BIJ), basé à Londres, estime qu’environ 830 civils, dont des femmes et des enfants, auraient perdu la vie lors des attaques de drones au Pakistan, 138 au Yémen, et 57 en Somalie ». M. Obama a de cette façon très largement justifié son Nobel de la Paix, inutile d’insister !

« L’Europe c’est la paix » - La Suisse manœuvre En 2005 l’un des arguments de vente du Projet de Traité constitutionnel européen, l’unique véritable slogan de campagne, tenait en cette sentence orwellienne : « l’Europe c’est la paix ». Et apparemment plus le mensonge est énorme plus il passe comme lettre à la poste. Avec, il est vrai, l’inlassable unanime complicité des médias… et le muselage d’opinons publiques interdites de parole. Seule voix discordante, celle de l’eurodéputé eurosceptique britannique Nigel Farage pour lequel ce Nobel de la Paix « montre que les Norvégiens ont un réel sens de l’humour… l’UE a créé de la pauvreté et du chômage pour des millions de gens » [AFP]. Magnifique œuvre de paix sociale, en attendant des poussées de fièvres et des spasmes de guerre civile européenne, assortis de massif mouvements de populations. Le tout induit par une paupérisation galopante, notamment de l’Europe orientale … dans cette occurrence la Confédération helvétique mobilise cent mille réservistes pour la protection de ses frontières. 4 Quant au « Nobel de la paix » 1983, Lech Walesa, figure charismatique du syndicat « Solidarité » lui aussi déplore un tel choix : « Je suis surpris et déçu ». Surpris ! On peut l’être en effet, déçu sans doute pas car si « la paix c’est la guerre » - Relire « 1984 » – l’Union européenne, faux-nez du laminoir mondialiste, nobélisée pour son œuvre de destruction méthodique de l’Europe réelle, a en effet bien mérité de ses commanditaires, Goldman Sachs à Manhattan et Rothschild à Londres… Plus tous les autres ! Une attribution au final révélatrice de la fonction politique et idéologique des Prix Nobel, en particulier celui d’Oslo. Après tout n’oublions pas qu’il porte le nom d’un homme qui ne fut pas seulement l’inventeur en France de la dynamite – cette nitroglycérine stabilisée – mais plus encore l’associé indirect, par le truchement de son frère aîné Ludvig, des grandes banques d’affaires américaines pour la recherche et l’exploitation de l’or noir de la Mer Caspienne. À Bakou, à travers la Petroleum Production Company Nobel Brothers, Limited ou « Branobel », la multinationale avant la lettre de Ludvig Nobel détiendra à partir de 1875 et jusqu’à la Grande guerre et la Révolution bolchévique, quelque 50% de la production mondiale de brut. Ce sont 12% des capitaux de cette compagnie qui alimentèrent à l’origine le fonds Nobel destinés aux prix du même nom.


NOTES
(1) Les sophistes parlent de l’Europe, d’une Europe abstraite indemne ou étrangère des guerres auxquelles se livrent ses membres. Mais la guerre de l’un est la guerre de tous dès lors que l’on considère l’Europe en tant que réalité ethnohistorique vis-à-vis du reste du monde. Et plus encore, dès lors qu’il existe une Union, même embryonnaire constituée. Ce qui vaut pour le projet d’Union né avec la Déclaration du 9 mai 1950 de Robert Schuman ministre des Affaires étrangères, dictée par le Commissaire au Plan Jean Monnet. Eux-mêmes faisant écho au projet strictement anglo-saxon lancé le 19 septembre 1946 à Zürich par Winston Churchill : « Il faut que notre but permanent soit d’accroître et de renforcer la puissance de l’Onu. Il nous faut créer la famille européenne en la dotant d’une structure régionale placée sous cette organisation mondiale, et cette famille pourra alors s’appeler les États-Unis d’Europe. Le premier pas pratique dans cette voie est la constitution d’un Conseil européen. Si, au début, tous les États européens ne veulent ou ne peuvent pas adhérer à l’union européenne, nous devrons néanmoins réunir les pays qui le désirent et qui le peuvent ».

(2) Bien plus que le « nationalisme » la prévalence du principe des « nationalités », lequel s’impose à la fin de la première guerre mondiale au détriment de « l’intangibilité des frontières », va constituer l’un des plus redoutables facteurs et fauteurs de guerre contemporains. Avant même la signature de Traité de l’Union, l’Allemagne, prenant les devants sur la Communauté européenne, reconnaissait l’indépendance de la Slovénie et de la Croatie créant de la sorte un appel d’air belligène.

(3) L’utilisation de bombes au graphite contre des centrales électriques relèvent du crime de guerre.

(4) 7 octobre « Schweizer Zeitung » : « le gouvernement suisse a mobilisé l’armée et Reservisti qui prendront part à des manœuvres militaires, y participeront également différents organes de police disclocati dans plusieurs cantons de la Confédération ». Selon le chef d’état-major André Blattmann suisse et le ministre de la Défense Ueli Maurer, en raison de « la situation problématique » de l’Europe du Sud et de l’Est – Italie, Espagne, Portugal et Grèce - de nombreux ressortissants de ces États pourraient tenter de franchir illégalement la frontière helvétique. Des manœuvres appelées « Stabilo 2 » mobilisant 100.000 hommes du rang, 2.000 officiers et 1.600 membres des forces de police devront assurer quatre cantons pouvant faire l’objet d’éventuels arrivages massifs de migrants, voire contenir des troubles liés à la situation générale dans l’Union. Une mise en pratique de la maxime favorite du Ministre fédéral de la Défense d’Allemagne, Thomas de Maizière « Wir dienen Deutschland » - « nous servons l’Allemagne » – et les Suisse l’Helvétie. Finalement rien d’extraordinaire à cela puis que les Européens se sont dotés en 2004 d’une Force de gendarmerie européenne - EuroGendFor – actuellement déployée en Bosnie-herzégovine et au Kosovo… et en Afghanistan. Formation de police à statut militaire dont à terme les missions sont sommes toutes identiques à celles de l’armée suisse : rétablir l’ordre en cas de soulèvement populaire non maîtrisable par les capacités disponibles de tel ou tel État.

mardi 30 octobre 2012

Déclaration politique: ELN et FARC-EP




L’Armée de libération nationale (ELN) et les Forces armées révolutionnaires de Colombie – Armée du peuple (FARC-EP), inspirées par les plus profonds sentiments de fraternité, de solidarité et de camaraderie, avec optimisme et avec un grand moral de combat, intimement unies dans l’espérance du changement révolutionnaire, nous nous sommes rencontrées pour analyser la situation politique nationale et internationale, les problèmes de la guerre et de la paix en Colombie, et pour avancer dans le processus d’unité que nous construisons pas à pas depuis 2009 pour faire converger les idées et les actions qui nous permettront avec le peuple d’affronter l’oligarchie et l’impérialisme qui imposent l’exploitation et la misère dans notre patrie.

Notre tenace détermination est de poursuivre le recherche de la paix qui apportera à la Colombie et au continent la véritable démocratie, la souveraineté populaire, la justice sociale et la liberté.

Nous tenons cette réunion alors que nous assistons à la plus profonde crise du système capitaliste mondial, caractérisée par une multiplication des guerres d’invasion, de pillage et de surexploitation des ressources naturelles, de précarisation des conditions de travail, qui condamnent à la faim et à la mort des millions d’êtres humains sur une planète soumise à la voracité de l’impérialisme, allant vers le chaos et la destruction.

Dans notre patrie les calamités générées par ce système de surexploitation et d’exclusion des plus pauvres, les inégalités sociales se sont accentuées et l’affrontement de classe s’est aggravé et prend des dimensions jamais vues auparavant. Cela est le résultat direct de l’application massive et ininterrompue des politiques néolibérales qui favorisent les grands groupes financiers et les grandes entreprises transnationales, au détriment de la grande majorité.

Dans le panorama international de crise systémique du capital qui montre ses multiples visages de débâcle financière, économique, environnementale, urbanistique, énergétique, militaire, politique, institutionnelle, morale et culturelle, la Colombie se profile comme un pays à l’économie de type primaire et financier.

Les détenteurs du pouvoir en sont arrivés là pour permettre le pillage, représenté par l’extraction effrénée, le vol de nos ressources naturelles et la spéculation financière. Des millions de compatriotes ont été jetés dans la misère et la guerre, imposée par les élites pour réduire au silence le mécontentement de la majorité face à l’iniquité.

Le gouvernement du Juan Manuel Santos a été instauré pour garantir la continuité des plans de dépossession et de pillage imposés par l’impérialisme au peuple colombien. L’espace nouveau du capital, les nouveaux ordonnancements juridiques et les dispositifs militaristes de sécurité et de défense issus de la vieille doctrine de sécurité nationale et du terrorisme d’État prennent de l’ampleur dans notre pays en défense des « droits » du capital, du bien-être des riches aux dépens des travailleurs et du peuple humble. Dans cette perspective se déroule la nouvelle étape de vols de terres qui est aujourd’hui déguisée sous le nom de restitution. Dans les faits, aux millions de déplacés et de victimes des étapes précédentes des vols de terres, parrainés par l’État, s’ajoutent maintenant de nouvelles légions de paysans, d’Indiens, de gens modestes en général, à qui furent enlevées les terres, ou à qui la terre sera refusée au moyen de la tromperie légale, ce qui fera augmenter les chiffres de la pauvreté et de l’indigence qui situent la Colombie comme le troisième pays le plus inégal du monde.

Voilà le cruel résultat de la sécurité de l’investissement et de la prospérité dont parle le président Juan Manuel Santos, alors que les opposants continuent d’être victimes de la répression, d’emprisonnements et d’assassinats.

Face à cette réalité, pour les révolutionnaires il n’y a pas d’autre voie que l’unité et la lutte, l’action des masses dans la rue, le soulèvement populaire dans les campagnes et dans les villes, défiant la criminalisation de la contestation sociale et exigeant du gouvernement des faits réels de paix, qui ne peuvent pas être autre chose que des solutions aux problèmes sociaux et politiques que subit la majorité en raison du terrorisme d’État de la caste gouvernante dont les tendances les plus guerrières ont conduit le destin du pays cette dernière décennie.

Ce n’est pas par la démagogie et les menaces de répression, avec davantage de guerre, que sera mis un terme au conflit. Ce n’est pas l’achat de plus de matériel de guerre ni en livrant le pays au Pentagone que l’on parviendra à la paix, ce n’est pas avec des plans guerriers, des plans de destruction du territoire, comme le Plan « Patriota » ou le Plan Espada de Honor que l’on parviendra à la réconciliation des Colombiens, et encore moins en donnant des ultimatums aux insurgés à partir de l’idée vaine selon laquelle la paix serait le résultat d’une chimérique victoire militaire du régime, qui mettrait les insurgés à genoux, lesquels se rendraient et se démobiliseraient, avec ce simulacre appelé cadre juridique pour la paix.

Notre volonté de paix se nourrit de la conviction que le destin de la Colombie ne peut pas dépendre des intérêts misérables de l’oligarchie. Les changements politiques et sociaux, avec la participation et la pleine décision du peuple, sont une nécessité et un requis inévitable. Pour cela l’unité et la mobilisation du peuple en faveur des changements structurels pour construire la paix, sur la base de la justice, sont la vraie clé de sa conquête.

Avançant fermement unis dans la pensée et dans l’action, fraternellement,

Commandement Central Armée de Libération Nationale

Secrétariat de l’État Major Central Forces Armées Révolutionnaires de Colombie – Armée du Peuple

Montagnes de Colombie 
Septembre 2012

Traduction : Numancia Martinez Poggi

mardi 23 octobre 2012

Fidel Castro est à l’agonie?

Photo prise le 19 octobre 2012

Il a suffi d’un message aux diplômés de première année de l’Institut des Sciences médicales « Victoria de Giron » pour que le poulailler de la propagande impérialiste se déchaîne, et que les agences de presse se lancent derrière le mensonge, avec voracité. Mais ce n’est pas tout, dans leurs dépêches, elles ont ajouté sur le patient les stupidités les plus insolites.

Le journal espagnol ABC a publié qu’un médecin vénézuélien, établi on ne sait où, a révélé que Castro a souffert d’une embolie massive au niveau de l’artère cérébrale droite, « je peux affirmer que nous ne le reverrons plus en public ». Le soi-disant médecin qui, si c’en est un, a dû d’abord abandonner ses propres compatriotes, a qualifié l’état de santé de Castro de « très proche de l’état neurovégétatif. »

Même si beaucoup de gens dans le monde sont trompées par les organes d’information, presque tous aux mains des privilégiés et des riches, qui publient ce genre de bêtises, les peuples croient de moins en moins à ces mensonges. Personne n’aime être trompé, même le menteur le plus incorrigible attend qu’on lui dise la vérité. Tout le monde a cru, en avril 1961, les nouvelles publiées par les agences de presse affirmant que les envahisseurs mercenaires de Giron ou de la Baie des Cochons, comme on veut bien l’appeler, arrivaient à La Havane, alors qu’en réalité, un petit nombre d’entre eux tentaient vainement de rejoindre en canot les navires de guerre yankees qui les escortaient.

Les peuples apprennent les leçons, et la résistance grandit face aux crises du capitalisme, qui se répètent de plus en plus fréquemment ; aucun mensonge, aucune répression, pas même les nouvelles armes ne pourront empêcher l’effondrement d’un système de production toujours plus inégal et injuste.

Il y a quelques jours, peu avant le 50° anniversaire de la « Crise d’Octobre », les agences ont signalé trois coupables : Kennedy, fraîchement arrivé à la tête de l’empire, Khrouchtchev et Castro. Cuba n’a rien eu à voir avec l’arme nucléaire, ni avec le massacre inutile d’Hiroshima et de Nagasaki perpétré par le président des États-Unis Harry S. Truman, instaurant la tyrannie des armes nucléaires. Cuba défendait son droit à l’indépendance et à la justice sociale.

Lorsque nous avons accepté l’aide soviétique en armes, en pétrole, en aliments et en autres ressources, ce fut pour nous défendre contre les plans yankees d’invasion de notre Patrie, soumise à une guerre sale et sanglante que ce pays capitaliste nous a imposée dès les premiers mois et qui s’est soldée par des milliers de vies et de mutilés cubains.

Lorsque Khrouchtchev nous a proposé, au nom de la solidarité, d’installer des projectiles de moyenne portée semblables à ceux que les États-Unis avaient en Turquie – encore plus proches de l’URSS que Cuba des États-Unis –, Cuba n’a pas hésité à accepter un tel risque. Notre conduite a été moralement irréprochable. Jamais nous ne présenterons d’excuses à quiconque pour ce que nous avons fait. Une chose est sûre, c’est qu’un demi-siècle s’est écoulé et nous sommes toujours là, la tête haute.

J’aime écrire et j’écris ; j’aime étudier et j’étudie. Il y a beaucoup de tâches dans le domaine du savoir. Jamais les sciences, par exemple, n’ont avancé à une vitesse aussi vertigineuse.

J’ai cessé de publier des Réflexions parce que ce n’est certainement pas mon rôle de remplir les pages de notre presse, qui se consacre à d’autres tâches dans l’intérêt de notre pays.

Oiseaux de mauvais augure ! J’ai même oublié ce qu’est un mal de tête. Pour prouver à quel point ils sont menteurs, je vous offre les photos qui accompagnent cet article.

Fidel Castro Ruz 
Le 21 octobre 2012 
10h12

vendredi 19 octobre 2012

Vingt-cinq ans après la mort de Thomas Sankara : « on peut tuer un homme mais pas ses idées »



« On peut tuer un homme mais pas ses idées », avait l’habitude de dire Thomas Sankara, le « président du Faso », comme l’appellent encore les Burkinabés.

Sankara a été tué il y a vingt-cinq ans, le 15 octobre 1987, mais ses idées, ses valeurs, ses enseignements sont plus vivants que jamais. Le jour de ce sinistre anniversaire, nous devons nous rappeler qui était Thomas Sankara, le Che Guevara de l’Afrique. Son histoire révolutionnaire commence en Haute-Volta le 4 août 1983 lorsque, capitaine de l’armée voltaïque, il prend le pouvoir à la faveur d’un coup d’État sans effusion de sang. Le pays, ancienne colonie française, abandonne bientôt son nom colonial et devient officiellement le Burkina Faso, qui signifie « terre des hommes intègres ».

Et c’est cette intégrité qui poussa Sankara à changer les choses. « Nous ne pouvons pas faire partie d’une riche classe dirigeante alors que nous sommes dans un pays pauvre », disait-il. Les actes valant souvent mieux que les paroles, il fit très rapidement remplacer les très confortables voitures bleues des hauts fonctionnaires du gouvernement par des voitures plus « utilitaires ». « Il est inacceptable qu’il y ait des hommes propriétaires d’une quinzaine de villas à cinq kilomètres de Ouagadougou quand les gens n’ont même pas assez d’argent pour acheter de la nivaquine », disait le Président du Faso qui continuait de vivre dans un foyer modeste. Á lire sa déclaration de revenus de 1987, on estime qu’il possédait à l’époque une vieille Renault 5, des livres, une moto, quatre vélos, deux guitares, des meubles et un appartement d’une chambre avec un prêt hypothécaire. Afin de relancer l’économie du pays dont la terre n’a jamais été fertile, il décida de compter sur ses propres forces, de « vivre à l’africaine ».

« Il n’y aura pas de salut pour notre peuple si nous ne tournons pas résolument le dos aux modèles que des charlatans ont essayé de nous vendre à tous crins pendant des années ».

« Nous consommons Burkina Faso », pouvait-on lire sur les murs de Ouagadougou, tandis que, pour encourager l’industrie textile locale, les ministres étaient obligés de revêtir le faso dan fani, le vêtement traditionnel de coton, tout comme Gandhi l’a fait en Inde avec le khādī. Sankara a utilisé les ressources de l’État pour lutter contre l’analphabétisme, les maladies telles que la fièvre jaune, le choléra ou la rougeole, et fournir au moins dix litres d’eau et deux repas par jour à chaque Burkinabé, tout en faisant en sorte que l’eau ne tombe dans l’escarcelle des multinationales étasuniennes et françaises.

En très peu de temps, le président du Burkina a acquis le rang de célébrité en Afrique, ce qui soulève l’inquiétude des grandes puissances et des multinationales. Et ses grands combats - le problème de la dette en Afrique, la lutte contre la corruption, l’émancipation de la femme, les problèmes des zones rurales, l’éducation - ont été très vite considérés comme des exemples à suivre. Mais sa renommée et sa détermination ont fini par lui coûter cher. C’est à l’occasion de l’assemblée de l’Organisation de l’unité africaine réunie le 29 juillet 1987 à Addis-Abeba, en Éthiopie, que Sankara signa son arrêt de mort en annonçant son intention de ne pas payer la dette : « Nous sommes étrangers à la création de cette dette et nous n’avons donc pas à payer pour cela. (...) La dette sous sa forme actuelle est une reconquête coloniale organisée avec soin. (...) Si nous ne payons pas, nos bailleurs de fonds ne mourront pas, soyons-en sûrs ; par contre si nous payons, c’est nous qui allons mourir, soyons-en sûrs également ».

En outre, dans son discours à Addis-Abeba, Sankara a déclaré, en présence de dirigeants africains : « Nous devons dans la lancée de la résolution de la question de la dette trouver une solution au problème de l’armement. Je suis militaire et je porte une arme. Mais monsieur le Président, je voudrais que nous désarmions. Parce que je ne possède qu’une unique arme, alors que d’autres ont camouflé les leurs. Alors, chers frères, avec le soutien de tous, nous pourrons faire la paix chez nous. Nous pouvons également utiliser ces immenses potentialités pour développer l’Afrique parce que notre sol et notre sous-sol sont riches ».

Quelques mois après ce discours, le président Sankara a été assassiné avec ses camarades lors du coup d’État orchestré par son meilleur ami Blaise Compaoré, avec le soutien de la France, des États-Unis et de la Côte d ’Ivoire. Sur le certificat de décès du président assassiné, la mention « mort naturelle » apparaissait encore en 2008, date à partir de laquelle l’ONU a contraint les autorités du Burkina Faso à supprimer le mot « naturel ». Son corps a été jeté dans une fosse commune à Ouagadougou, situé à un jet de pierre d’une décharge à ciel ouvert. Vingt-cinq années plus tard, la justice n’a toujours pas été rendue et la plupart des protagonistes de sa mort, parmi lesquels figure en bonne place l’actuel président Blaise Compaoré, sont encore au pouvoir. Mais le mythe de Sankara est plus vivant que jamais ...

mercredi 17 octobre 2012

De la chasse au Che à sa vente aux enchères

Che Guevara à cheval dans la Sierra Maestra, 1959

En mars 1967, une vingtaine d’hommes des forces spéciales étasuniennes, dont quelques-uns provenaient du Sud Viêtnam, s’installa en Bolivie. Spécialistes en contre-insurrection, ils faisaient partie des Equipes mobiles d’Entrainement (Mobile Training Team). A leur tête se trouvait le major Ralph « Pappy » Shelton, vétéran de la guerre de Corée et des opérations spéciales au Laos et au Viêtnam. Ils étaient chargés d’organiser et d’entraîner un bataillon de « chasseurs » de la forêt, corps d’élite connu aussi sous le nom de « Rangers ».

Shelton décida qu’une bonne partie des recrues devait être d’origine quechua. Selon ce militaire, leur connaissance du terrain, de la langue et leur tempérament faciliteraient les relations et la collaboration avec la population rurale. En outre, Shelton soutenait que les Quechuas résistaient mieux aux rigueurs de la jungle que les indiens Aymara.(1)

Parallèlement au groupe de Shelton, arrivèrent Félix Rodríguez Mendigutia et Gustavo Villoldo Sampera, d’origine cubaine, membres de l’Agence centrale de renseignement des Etats-Unis, CIA. Howard Hunt, l’un des hommes clés de la CIA lors du renversement du président guatémaltèque Jacobo Arbenz, en juin 1954, se joignit à eux. Lors du « Projet Cuba », qui préparait l’invasion ratée de Cuba à partir de Playa Giron, en avril 1961, Hunt avait été le responsable chargé de l’organisation du « Gouvernement provisoire cubain ». Il y avait aussi Antonio Veciana Blanch, d’origine cubaine, qui travaillait à l’ambassade étasunienne à La Paz, en tant que fonctionnaire de l’Agence des Etats-Unis pour le développement international, (United States Agency for International Development, USAID), une institution créée en 1961, dépendant du Département d’Etat et principal agent d’exécution des actions de la CIA à l’étranger. Veciana avait été l’un des principaux intermédiaires entre la CIA et la mafia de la « Cosa Nostra », lorsque le président John F. Kennedy autorisa cette « relation » dans le but d’assassiner Fidel et Raul Castro, ainsi que Che Guevara. (2)

Tous étaient en Bolivie pour poursuivre, capturer ou faire disparaître Che Guevara. La CIA n’avait pas pu remplir cet objectif au Congo. Le 24 avril 1965, le Che était arrivé en Tanzanie avec un petit groupe de Cubains. De là, ils étaient passés au Congo, prenant contact avec les rebelles qui combattaient le dictateur Joseph-Désiré Mobutu, lequel comptait sur l’appui d’Etasuniens et d’Européens. Le Che s’était rendu au Congo pour répondre à l’appel du dirigeant Laurent-Désiré Kabila qui avait demandé au gouvernement cubain de l’assistance en techniques de guérilla. Le Che et ses hommes quittèrent le Congo en novembre, en accord avec les rebelles.

Le révolutionnaire était arrivé en Bolivie en novembre 1966, sous le nom d’Adolfo Mena Gonzalez, avec un passeport uruguayen. Peu de jours après, il s’incorpora à la guérilla naissante. Son intention était de consolider un mouvement rebelle qui serait le début de l’expansion des processus de libération à travers l’Amérique du Sud.

Presqu’un an auparavant, le 3 octobre 1965, lors de la cérémonie de constitution du Comité Central du Parti Communiste de Cuba, Fidel Castro avait lu l’émouvante lettre d’adieu du Che, dans laquelle il renonçait à toutes ses fonctions officielles que lui avait confié la Révolution naissante. « D’autres terres du monde réclament le concours de mes modestes efforts. Je peux faire ce qui t’est refusé, en raison de tes responsabilités à la tête de Cuba et l’heure est venue de nous séparer.

Je veux que tu saches que je le fais avec un mélange de joie et de douleur ; je laisse ici les plus pures de mes espérances de constructeur et le plus cher de tous les êtres que j’aime [...] Sur les nouveaux champs de bataille je porterai en moi la foi que tu m’as inculquée, l’esprit révolutionnaire de mon peuple, le sentiment d’accomplir le plus sacré des devoirs : lutter contre l’impérialisme où qu’il soit ; ceci me réconforte et guérit les plus profondes déchirures. Je répète une fois encore que je délivre Cuba de toute responsabilité, sauf de celle qui émane de son exemple […] ».

L’ordre d’envoyer cette équipe « chasser » le Che avait été donné après que la CIA eût pris connaissance des photos prises depuis un avion espion, de type U-2. Cet « oiseau invisible » avait réalisé ses premiers vols en 1956. L’existence de ce type d’avions fut brusquement révélée à la une de la presse mondiale lorsque les Soviétiques en abattirent un spécimen au-dessus de leur territoire, le 1er mai 1960, provoquant une grande tension entre les deux nations. Deux ans plus tard, le 14 octobre, ce furent les photos prises au-dessus de Cuba par l’un de ces appareils qui déchaînèrent la Crise des Missiles. Le U-2 jouissait d’un grand prestige grâce à sa capacité à réaliser des photographies du sol tout en volant à une altitude de 20 kilomètres. Ses caméras étaient équipées d’un système de détection à infrarouge, qui imprimait le moindre rayonnement thermique sur une pellicule ultra sensible. Cet avion de reconnaissance ne fut pas le seul moyen auquel eut recours l’Equipe Spéciale étasunienne afin de localiser avec exactitude la colonne du Che. Si l’information tirée de transfuges et de prisonniers – qui parlèrent volontairement ou sous la torture – fut importante, on compta aussi avec la surveillance d’autres avions.

Dans la journée, des avions loués par la CIA, camouflés au milieu de ceux des entreprises pétrolières et de gaz, surveillaient toute la partie méridionale de la Bolivie, depuis Santa Cruz jusqu’à la frontière avec le Brésil, le Paraguay et l’Argentine.(3)

Lorsqu’on eut la certitude que c’était bien le Che qui commandait la colonne de guérilla, une autre section de la CIA apporta son soutien aux agents sur le terrain. Elle leur remit le dossier de l’étude psychiatrique personnelle (Psychiatric Personality Study, PPS), du dirigeant révolutionnaire. Comme le fait la CIA avec toute personne qu’elle met sous sa loupe dans le monde, le PPS du Che contenait les enquêtes de psychologues, de psychiatres et même de journalistes, sur sa personnalité présumée et son comportement depuis sa jeunesse, en incluant les maladies probables et même les préférences sexuelles.

La capture ou l’assassinat du Che était d’importance stratégique, ce qui fut démontré le 9 avril 1967. Ce jour-là, comme cela se fit en peu d’occasions, les hauts responsables civils et militaires pour l’Amérique Latine se réunirent afin de débattre de la marche à suivre. Pour le Pentagone étaient présents le général en chef de l’Etat Major de la US Army, et le commandant du Southern Command, ainsi que les chefs des troupes d’intervention et de renseignement. Y participaient également, pour la Maison Blanche et le Département d’Etat, le Secrétaire d’Etat adjoint pour les affaires régionales, un conseiller du Conseil National de Sécurité, et divers experts. Le secrétaire d’état Dean Rusk ainsi que Richard Helms, le chef de la CIA présidaient la réunion.

Le centre de la zone de combat se situait près du fleuve Ñancahuazu. Rodriguez Mendigutia et Villoldo Sampera dirigeaient les effectifs boliviens. Blessé au combat, le Che fut capturé le 8 octobre 1967 et assassiné le lendemain, alors qu’il se trouvait totalement sans défense, à l’intérieur de l’humble école de La Higuera.

Des années après, Félix Rodriguez Mendigutia se glorifiait d’avoir été le dernier Etasunien et le dernier Cubain à voir le Che vivant. Ce fut lui qui transmit à un sergent bolivien l’ordre, venant de Washington, de tirer sur le guérillero. Dans son actuelle maison-bunker des alentours de Miami, il a son « musée » personnel où il exhibe la montre Rolex en acier et la pipe qu’il prit au Che. Il décrivit les détails de son action dans cette opération dans un rapport à la CIA, déclassifié en 1993.(4)

Exécutant les directives de Washington, Gustavo Villoldo Sampera se chargea d’enterrer le Che en secret, « pour empêcher La Havane de vénérer ses restes comme un monument à la révolution. » (5)

Ce qu’il ne put pourtant pas éviter, tout au contraire : le Che devint l’un des plus grands symboles de la lutte révolutionnaire pour la liberté, dans l’histoire de l’humanité.

Il ne put pas non plus empêcher le retour du Che à Cuba. Le 28 juin 1997, un groupe d’experts cubains et argentins découvrit à Vallegrande en Bolivie, une fosse commune qui renfermait les restes du Che et de six autres guérilleros. Le 12 juillet, ils furent transférés à Cuba et reçus par leurs familles ainsi que par tout le peuple de Cuba, lors d’une cérémonie simple mais extraordinaire. Aujourd’hui, leurs restes reposent dans le mausolée de la Place Ernesto Che Guevara à Santa Clara.

En 2007, une vente aux enchères eut lieu dans une librairie du Texas, à la demande de Villoldo Sampera. Y figuraient les empreintes digitales du Che, une touffe de cheveux coupés sur le cadavre, ainsi que des cartes de la mission de détection et de capture. Il espérait en obtenir un demi-million de dollars. Même si la grande presse mondiale s’en était fait l’écho, cette vente aux enchères attira beaucoup de curieux mais un seul acheteur à qui Villodo dut vendre ses « trophées » pour 100 000 dollars. La plupart des gens étaient d’avis que leur acquisition porterait malheur.

Hernando Calvo Ospina, journaliste et écrivain. Auteur de "L’équipe de choc de la CIA", Le Temps des cerises, Paris, 2009.

Traduction : Hélène Vaucelle.

Notes :

1) Gillet, Jean-Pierre. Les bérets verts. Les commandos de la CIA. Albin Michel. Paris, 1981.

2) Rapport de la Commission spéciale présidée par le sénateur Frank Church : “Alleged Assassination Plots Involving foreign Leaders.” An Interim report of the Select Committee to Study Governmental Operations With Respect to Intelligence Activities United States Senate Together UIT Additional, Supplemental, and Separate Views. November, 1975. U.S. Government printing office 61-985. Washington, 1975.

3) Jean-Pierre Gillet. Op.cit.

4) http://www.gwu.edu/ nsarchiv/NSAEBB...

5) El Nuevo Herald, “Villoldo : Yo enterré al Che” Miami, 21 septembre 1997.