samedi 10 novembre 2012

Gabriel Nadeau-Dubois contre les scabs



C’est confirmé depuis un certain temps. Gabriel Nadeau-Dubois (GND) est maintenant coupable d’outrage au tribunal. Coupable d’avoir incité au non-respect d’une décision du tribunal accordant le droit à un étudiant probablement épris de savoir, du nom Jean-François Morasse, d’avoir accès à son cours, et ce, malgré le vote de grève de son association étudiante. Cette supposée incitation, qui n’était d’abord et avant tout qu’une opinion personnelle et non une invitation directe (à ce que je sache !), fut jugée comme telle parce que le concerné était le principal leader de la CLASSE (celle-ci incluant en son sein l’association étudiante du plaignant) et le fait que celui-ci possédait une très large tribune ayant un grand potentiel d’influence. Donc, l‘opinion personnelle du leader étudiant, amplifié par le fait que ses commentaires furent très médiatisés, fut considérée comme une incitation au non-respect de l’injonction.

La première chose que l’on peut comprendre sur cet évènement judiciaire est qu’il doit être (admettons-le) extrêmement difficile de survivre, en tant que représentant étudiant, dans un conflit de la sorte. Et ce, sans courber l’échine devant le pouvoir que l’on souhaite combattre. Cela doit en être d’autant plus difficile que le fait de ne pas donner d’opinions pouvant laisser entrevoir une certaine désapprobation envers une décision judiciaire, allant à contre sens des moyens de pression exercés par son association, si elle doit avoir lieu, peut vous donner des difficultés avec vos propres partisans. Quand l’on est le chef de file d’un mouvement combattant une philosophie politique incarnée par le pouvoir en place, il va de soit que le fond de notre pensée n’est pas toujours aligné sur celui de ce même pouvoir ! En plus de ce fâcheux constat, la situation légale des associations étudiantes est beaucoup plus complexe que l’on pourrait le croire, car il n’existe pas dans la loi de droit accordant de la légitimité aux grèves étudiantes. Pour la justice, une grève étudiante relève plutôt d’un acte de boycott. Non pas d’une grève comme celles du monde syndical professionnel, lui, considérée par le code du travail. Ce qui veut dire que juridiquement parlant, il n’existe pas de scab dans le cadre d’une grève étudiante. Cette situation de vide légal, concernant les moyens de pression que doit mettre en place la gent étudiante pour faire valoir leur point, rend la position de leader étudiant un tant soit peu futile, en plus d’être juridiquement très dangereuse comme nous le remarquons aujourd’hui. Le rôle de leader devient donc quelque chose de tout à fait esthétique ne laissant que très peu, pour ne pas dire aucune, manœuvre pour faire exercer ses fonctions de manière sérieuse. De cette façon, il est plutôt facile d’enfreindre la loi quand on est lapidé de questions par des journalistes à l’effet que des étudiants s’improvisent officieusement scab de grève. Considérons toute fois que dans la « vraie vie » ce n’est pas parce qu’il n’existe pas légalement de grévistes ni de scabs, que les circonstances ne peuvent pas faire qu’ils existent tout de même. La réalité est là pour nous le montrer ! Notons au passage que c’est souvent le propre d’une loi controversée que de ne pas tenir compte de la réalité. Et ce n’est pas parce que l’on ne considère pas un étudiant comme un travailleur qu’ils n’ont pas de revendications politiques à faire valoir. Tout ceci explique assez bien la difficulté du mandat qu’a obtenu GND et il est de très mauvaise foi que de lui renvoyer la faute, car il en aurait été tout autant (si ce n’est pas pire) avec quiconque aurait réellement essayé de jouer le nécessaire bras de fer avec l’ex gouvernement libéral du printemps dernier.

Ensuite, il ne faut pas être naïf des institutions et du baratin officiel. Il est d’une évidence crasse que ce jugement possède un fondement politique qui va bien au-delà du simple droit. Comme vous devez le savoir, les juges de la cours supérieure du Québec ne sont pas élus, mais politiquement nommés par le gouvernement fédéral. Alors il va sans dire que ceux qui sont nommés à ce poste ont une certaine vision politique à faire valoir en plus de celle déjà en substance dans la loi. En somme, le fait que GND est ce qu’il est pèse énormément plus que ce qui lui est reproché. Sanctionner le leader par tous les moyens possibles, et le plus sévèrement possible, est l’une des éternelles méthodes d’étouffement des révoltes, comme celle de la désolidarisions des bases par l’ego et le portefeuille. Enfin, rien n’est moins étonnant de la part du pouvoir que de le voir saigner financièrement GND afin de couper la tête d’une bonne partie du mouvement en faveur de la gratuité scolaire par l’exemple.        

Un autre point que j’aimerais apporter, un peu plus critique celui-là vis-à-vis le mouvement étudiant et qui lie la difficulté d’agir pour faire avancer la cause de la démocratisation de l’éducation postsecondaire à la légalité, est la forme du fond de la revendication. Il n’est pas vraiment surprenant que le slogan étudiant qu’est « l’éducation est un droit » soit utilisé, car il frappe l’imaginaire d’une société conditionnée à penser en termes de droit en plus d’être appuyé par le point 26,1 de la déclaration universel des droits de l’homme (DUDH). Malgré sa forme populaire et toutes les vertus que possède la DUDH, je ne crois pas que ce slogan soit efficace à long terme sur le terrain de la diffusion des idées. Je m’explique. 

Le problème avec ce slogan et, du coup, avec les fondements philosophiques sur lesquels il s’appuie, est que même s’il est effectivement inscrit dans la DUDH que l’éducation doit être gratuite(1) , il reste que cette déclaration est surtout une pétition de principe, qui peut être sujet à interprétation(2), surtout en ce qui a trait les « droits sociaux » impliquant un nécessaire financement. Un autre problème avec ce slogan, et cela dans l’espace polémique, est qu’il est trop souvent confondu avec les habituelles revendications d’ordre salariales et corporatives, relevant de l’intérêt de caste. Revendication généralement considérée comme un privilège corporatiste dans le cadre d’une situation économique en déclin. Vue sous cet angle, la « gratuité scolaire », comme bien des droits sociaux, sera considérée comme allant à l’encontre de la solidarité générationnelle (la dette future) par tous les libertariens et les naïfs de ce monde, en plus de tous les autres préjugés concernant les jeunes qui ne veulent pas faire assez d’effort et autres balivernes de ce type. D’autre part, vouloir utiliser le droit individuel, comme le faire-valoir du mouvement étudiant afin de valider un acte de « collectivisation » (car c’est bien ce dont il est question, car tous doivent savoir que l’éducation coûte beaucoup d’argent et ne peut donc être gratuit), ira inévitable se cogner au sacro-saint droit de propriété, comme l’est toutes mesures socialisantes. Droit de propriété qui est aussi clairement défini dans la DUDH comme inaliénable (point 17,1). 

Pour revenir sur le point 26.1, il ne faut pas oublier que la DUDH ne spécifie pas que l’éducation postsecondaire doit être gratuite. L’article dit que « l'éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l'enseignement élémentaire et fondamental. » En fait, ce qu’indique ce point de la déclaration est essentiellement destiné à protéger l’éducation de base (lire, écrire & compter), ce qui est pratiquement le cas présent au Québec, considérant le financement apporté et les aides aux familles pauvres. De plus, ce que dit la DUDH sur les études postsecondaires c’est que « l'accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite ». Même si ce n’est peut-être pas tout à fait l’esprit de la déclaration, le mérite est aussi vu par une bonne partie de la population comme prix que l’on a payé en terme d’effort autant comme sacrifices pour payer ses études, qu’en terme strictement d’études. C’est dommage, mais bien des gens, que l’on essaie de convaincre du bien fondé de la collectivisation des études postsecondaires, oublie que l’on doit aussi travailler à l’université et que se payer des études ce n’est pas comme se payer un char neuf ! Alors, la revendication de la gratuité comme droit, en plus de ne pas être directement destiné aux études postsecondaires dans la DUDH, est accompagnée dans l’imaginaire populaire d’une considération de mérite non spécifiquement lié à l’effort fait dans ses études, ce qui fait que l’appel aux droits de l’homme n’est pas du tout suffisant pour convaincre les trop nombreux adeptes de la mythologie du rêve américain, qui est que n'importe quelle personne, par son travail, son courage et sa détermination, peut devenir prospère. Et malheureusement, il n’est pas encore arrivé le jour où il sera aisé de défaire ce mythe par des arguments de bon sens, même si ces arguments sont empiriquement avérés comme le démontre l’exemple de tous ces pays qui ont collectivisé l’éducation postsecondaire. 

Évidemment, je ne condamne pas le fait de revendiquer l’éducation comme un droit, car c’est tout à fait justifié d’un point de vue humaniste. Mais il me semble qu’il serait beaucoup plus pertinent, pour l’avancement de la cause, de considérer la collectivisation de l’éducation comme un devoir d’État, car c’est bien comme ça que l’on justifie une collectivisation habituellement. Autant la nationalisation de l’électricité ne s’est pas faite au nom du droit de ne pas payer cher son électricité, autant la collectivisation de l’éducation ne se justifie pas par le simple avantage individuel aux étudiants, mais par un avantage collectif. Autrement dit, l’éducation serait collectivisée pour donner un atout qui concernerait tout le monde, parce que c’est d’abord rentable sur les finances de l’État, donc sur les impôts. Ensuite parce que l’éducation génère des comportements plus sains (santé, criminalité, drogue, fraude, dette, etc.) et rend les gens plus productifs et innovateurs, ce qui joue aussi sur le portefeuille de la population. Enfin, parce qu’un peuple éduqué fait rayonner notre culture dans le monde. Parce que l’éducation fait émerger une conscience politique nécessaire pour une démocratie saine, etc. Bref, pour des raisons de ce que l’on appelle « bien commun ».

Apportés de cette façon, nous nous évitons tout le pactole des arguments néolibéraux comme celui de l’investissement personnel, qui laisse à penser que l’éducation est un simple outil pour faire de l’argent, comme une action en bourse. Ou encore celui qui prétend faire de la sélection naturelle par le prix, afin de se débarrasser des paresseux. Ou, pire encore, celui qui veut nous faire croire que l’on finance l’éducation des riches… comme si les riches (les vrais) n’allaient pas déjà dans les super universités privées inaccessibles pour apprendre l’anglais, histoire d’avoir une vraie formation de boss. Et finalement, neutraliser aussi la pseudo guerre de castes (corporation contre corporation) en ne jouant pas le jeu de l’intérêt personnel contre la société.

Il va sans dire que même si GND et la Classe avaient usé un peu plus de ces types d’arguments, les problèmes juridiques n’auraient pas été moindres. Mais au moins aurions-nous pu donner des difficultés à ceux qui joyeusement répétaient comme des singes savants les arguments belliqueux et sophistiques des libéraux sur le partage du fardeau et aurait ardu le processus de diabolisation. N’oublions pas que ce qui concerne tout le monde et surtout ce qui avantage le plus grand nombre a souvent le pouvoir de sortir le petit peuple de son individualisme. Individualisme qui est, soit dit en passant, l’arme No.1 des pensées antisociales du 21e siècle. Remarquez, jamais l’argumentaire pro hausse ne porte sur la justesse ou non de la démocratisation de l’éducation, mais toujours sur le bien ou mauvais fondé du fardeau du financement. Et cela est fort compréhensible, car cette question a été clairement répondue par l’affirmative, il y a plus de 50 ans, dans le Rapport Parent. Mais au final, maintenant que le cœur de la lutte du printemps dernier s’éloigne, prenons dont un peu de notre temps afin de supporter ceux qui par leur sacrifice ont menés le combat et qui maintenant en paye le prix.

Benedikt Arden 
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[1] « Toute personne a droit à l'éducation. L'éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l'enseignement élémentaire et fondamental. L'enseignement élémentaire est obligatoire. L'enseignement technique et professionnel doit être généralisé ; l'accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite. » 
[2] Chapitre IX de la charte Québécoise des droits et libertés, article 40 : Toute personne a droit, dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi, à l'instruction publique gratuite.