lundi 26 février 2018

Indépendantisme et antiracisme : ce dilemme existe-t-il vraiment ?


Le 16 février dernier se tenait une conférence de Gabriel Nadeau-Dubois (GND) sur le thème de l'indépendance et du racisme intitulé l’indépendantisme est-il compatible avec l’antiracisme ? Question provocatrice s’il y en est, le conférencier assume la mauvaise foi que certains pourraient lui reprocher en répondant d’entrée de jeu qu’il a « choisi ce thème provocateur pour attirer l’attention sur un débat qui [...] est un enjeu […] d’actualité [qui a fait] beaucoup parler dans les dernières semaines ». Faisait ainsi référence aux multiples articles qui ont précédé la fusion entre Option nationale & Québec solidaire (QS), GDN souhaitait donc mettre un terme à l’ambiguïté entretenue, chez certaines franges de la gauche, entre les principes inclusifs et le projet d’indépendance politique du Québec.

Cette conférence avait évidemment pour objectif de s’adresser à la base militante de QS, puisque, hormis une petite partie de la gauche radicale et des ultranationalistes anglophones, bien rares sont ceux qui considèrent la souveraineté du Québec comme un projet fondamentalement raciste. Il n’en a pas été autrement de GDN, qui connait bien les origines sociales-démocrates du nationalisme québécois moderne. Celui-ci reconnait néanmoins que l’extrême droite se développe depuis quelques années sur le déclin du Parti Québécois et du souverainisme institutionnel en précisent que :

« Depuis une dizaine d’années au Québec, on assiste à […] la montée d’un discours qu’on appelle souvent ‘’nationalisme conservateur’’ qui est de plus en plus influent au Québec. [..] Un discours qui se caractérise essentiellement par une méfiance à l’égard de l’immigration et de la diversité culturelle en générale. Ce discours-là voit les immigrants et les immigrantes comme une menace à ce qu’ils vont appeler l’identité historique québécoise et voit que la diversité culturelle à un effet nécessairement dissolvant sur l’identité et le vivre ensemble au Québec ».

Faisant ainsi référence à La Meute et aux autres organisations comparables, GDN se fait l’écho d’un amalgame très fréquent à gauche. Soit entre le projet d’édification national et les dérives idéologiques de certains de ses partisans. C’est d’ailleurs la même chose pour les questions entourant la laïcité, la liberté d’expression ou même la saine méfiance envers les organisations religieuses. Le fait que des organisations xénophobes ou crypto xénophobes servent ou se servent de ces causes ne transforment pas ces positions politiques en position « d’extrême droite » ! Le message est toujours indépendant du messager, comme vous le savez.

Même si pour plusieurs qui liront ce billet, il est parfaitement vide de sens d’assimiler la question de la souveraineté à une forme quelconque de xénophobie, cette propagande rétrograde touche maintenant bien des esprits de gauche. Et si cette gauche, même elle sait bien que l’indépendance n’est pas un projet exclusif, sera tout de même tentée de ne plus la soutenir, puisque croyant faire le lit à l’extrême droite. C’est pour cette raison qu’il devient de plus en plus important de défendre la cause de la souveraineté à gauche, puisqu’elle est une idée de gauche ! Cette frilosité envers l’indépendance même si elle ne devrait toucher en principe que les militants antiracistes ne doit pas être rejetée du revers de la main, étant donné qu’elle ne semble toujours pas aller de soi pour nombre de militant(e)s et électeur(e)s de QS. C’est pourquoi, dans le même esprit que la conférence de GDN, je vais revenir sur une des principales notions qui expliquent pourquoi la lutte pour l’indépendance ne peut être interprétée comme « raciste ».

Pour bien comprendre l’amalgame, il est primordial de revenir rapidement sur le concept clé de la question, à savoir le fameux « nationalisme ». Comme chacun qui s’est penché sur la question devrait le savoir, le nationalisme est l’archétype même du mot ambivalent, puisqu’il change de signification en fonction du camp politique auquel on appartient et de la raison de son utilisation. La définition offerte par Wikipédia est d’ailleurs symptomatique de cette confusion, puisqu’elle se perd dans l’ensemble des usages offerts à notre disposition, sans en trouver un cœur précis. Pour ma part, j’en donnerais la définition suivante : Doctrine politique ayant pour objet de développer ou de valoriser l’entité abstraite nommée « Nation », elle-même perçue comme un corps vivant. Autrement dit, la « Nation » ne se limiterait pas au peuple, au régime politique ou bien même à l’État, mais en une notion mixte et indépendante de ces trois composantes. Celle-ci sera par contre définie de diverse façon, puisque tantôt un axé sur peuple ethnique (chez les racialistes et les sionistes, notamment), tantôt sur un régime politique (comme chez la gauche républicaine française) ou sur l’État et ses institutions (comme la fédération canadienne), mais jamais la notion de « Nation » ne s’y limitera, puisqu’elle est perçue comme quelque chose de vivant, qui donc peut mourir et naitre. 

Il va de soi que le nationalisme québécois issu de la Révolution tranquille était d’abord centré sur la question de l’État, puisque le nationalisme canadien contemporain n’est que la version idéologisée, à la couleur des partis au pouvoir, de ce qu’était l’ancien nationalisme canadien-français. Le nationalisme québécois moderne était donc assez semblable à celui de l’époque, mais accompagné de l’esprit de sa période d’émergence (les années 60), donc celui-ci sera étroitement associé à un régime social-démocrate et libéral. Malgré qu’il soit peu visible dans sa version moderne, l’aspect ethnique du nationalisme québécois a toujours été bel et bien présent, même si celui-ci n’était pas raciste ou suprémaciste. Le volet ethnique du nationalisme québécois était historiquement issu de la peur de l’assimilation, il se focalise surtout sur la conservation du français comme langue commune. En d’autres termes, rien qui permettrait de le ranger dans le « nationalisme ethnique ».

Cependant, le nationalisme étant une doctrine très changeante, le caractère défensif de l’identité québécoise, chez bien des militants, est en train de prendre rapidement le pas sur son aspect politique et émancipateur. Cette transformation du nationalisme québécois n’est pas difficile à comprendre, car elle est le résultat de la perte de sens de l’État dans la mondialisation[1]. Au même titre que les Premières Nations et des autres peuples du monde, bien des Québécoi(se)s se sentent menacés dans leur mode de vie et comme plusieurs ont perdu espoir en la possibilité de changer quoi que ce soit politiquement, certains se replient sur la conservation des coutumes et des mœurs culturelles. La conservation de l’identité nationale devient donc de plus en plus le synonyme de « nationalisme québécois », ce qui change radicalement le sens du nationalisme puisque celui-ci n’est plus directement lié a la libération politique à proprement parler. Ce nationalisme, que l’on devrait qualifier de « conservateur », comme le dit GDN, ne souhaite plus vraiment changer les choses, mais bien les conserver.

Le résultat de cette transformation est que la souveraineté du Québec n’est plus le centre d’intérêt de ce nationalisme. Celui-ci peut d’ailleurs très bien s’accommoder d’un Canada moins multiculturel. Cela me parait plutôt évident, puisque la grande majorité des groupes comme La Meute ne se prétendent pas du tout souverainistes (ils sont même souvent carrément fédéralistes), même s’ils se présentent toujours comme nationalistes. Les groupes identitaires de tendances souverainistes sont d’ailleurs, eux aussi, bien plus centrés sur la protection culturelle que sur le projet de constituante et sur le retour de la souveraineté politique, ce qui crée un fossé de plus en plus grand entre la question de la souveraineté et le nationalisme identitaire.

Il est d’ailleurs de plus en plus justifié de séparer ces concepts puisqu’ils entrent désormais pleinement en contradiction sur la question même du changement de régime. Pendant que les « nationalistes » cherchent à conserver un ordre culturel issu de la défaite des Patriotes (l’autonomie culturelle catholique et française de l’Église et de la petite bourgeoisie accordée par l’élite britannique), les « indépendantistes » eux promeuvent le projet des Patriotes, soit la mise en place d’une république inclusive et créatrice de sa propre identité. Il est donc tout à fait ridicule de voir à quel point le drapeau de la République du Bas-Canada est détourné de son sens par des organisations aussi antinomiques du programme Patriote. Même s’ils se prétendent « patriotes », ils n’ont rien de commun avec les « Patriotes » !     

Donc, sans rien enlever à la pertinence de la conférence de GDN sur l’indépendance et l’antiracisme, il sera plus judicieux de dire que la position de la gauche est « indépendantiste » et non pas « nationaliste », puisque les concepts sont désormais en contradiction. Cela éviterait de revenir sans arrêt sur ces dilemmes sans autre objet que la confusion des mots.

De toute façon, si vous entendez encore le genre d’insinuation, à savoir que la liberté du peuple du Québec ne peut se faire qu’au détriment des Premières Nations et des immigrants, rappelez-leur donc cette sage parole de Marx sur la question des Irlandais :

« Un peuple qui en opprime un autre ne saurait être libre ! »

Benedikt Arden (février 2018)




[1] Comme je l’expliquais dans mon précédent billet, la « mondialisation » n’est pas un projet de mondialisation de la culture et du savoir, mais bien un projet de dérégulation global de l’économie qui vise à éliminer tout obstacle au profit des multinationales et des institutions financières. Donc un projet fondamentalement néolibéral.