lundi 24 mars 2014

PKP, le PQ et la cause du peuple

C’est arrivé le 9 mars dernier, l’un des deux grands magnats du Québec en ce qui concerne le monopole médiatique et l’abêtissement public officialisait sa candidature dans la circonscription de St-Jérôme sous les couleurs du PQ. Cette nouvelle, quoique très peu surprenante, a tout de même fait couler beaucoup d’encre sans compter qu’elle a provoqué l’éveil de quelques Elvis Gratton, comme le grand intellectuel Sam Hamad! « Intellectuel » cuistre évoquant tout le respect qu’il porte à ses électeurs dans cette citation : « les gens de Québec, ils ne veulent pas un pays, ils veulent une équipe de hockey »! Cet épique commentaire est tout à fait digne de celui qui l’exprime. Il est seulement fort désolant de constater qu’encore autant de gens dans notre société soient à ce point éloignés de tout esprit civique pour toujours plébisciter ce genre d’individu.

Enfin, pour revenir à notre candidat « vedette », l’inénarrable Pierre Karl Péladeau (dit PKP) change maintenant de peau et laisse tomber son ancien rôle de capitaliste sans scrupule pour devenir l’homme de la Nation! Outre les commentaires des fédéralistes et autres personnes du même acabit, qui n’ont dans le fond aucune espèce d’importance, il est fort intéressant de voir les réactions des péquistes « de gauche », comme ceux du SPQ libre, qui se vautrent dans l’argumentaire du front uni tout en cachant à peine l’énormité de la couleuvre qu’ils doivent avaler afin de maintenir l’impérative unité. Évidemment, militer au côté d’un des pires patrons auxquels le mouvement syndical a dû faire face relève évidemment du grand art, mais aussi d’une des grandes difficultés que pose la position des militants souverainistes et socialistes. Car la lutte d’indépendance parasite autant la lutte des classes que la lutte des classes parasite la lutte d’indépendance dans une situation de peuple colonisé. Il est sûr que ce paradoxe n’est pas perçu avec autant d’aplomb dans le tiers-monde que dans le monde occidental et il est certain que ces projets se sont toujours mieux mariés dans des périodes plus difficiles du point de vue économique et social, un peu comme nous l’avons connu avant les années 1970. Malgré tout, et surtout depuis les années 1980, ce problème tend à refaire surface lors des situations d’« unions sacrées », qu’elles soient d’un point de vue d’une union des gauches (Québec Solidaire) que d’union des souverainistes (Parti Québécois), car ces unions ont en partie le même électorat. Le problème est donc d’abord une question de priorité, car tous ceux qui veulent un changement radical sont contraints de vouloir l’union des forces progressistes, même s’il n’existe pas de place pour deux fronts unis de ces types dans notre paysage politique. Cette situation rend donc le terrain politique assez complexe d’un point de vue stratégique et il n’est pas aisé de voir quelle stratégie est la plus convaincante pour les militants de la gauche souverainiste.

Le point de vue du SPQ Libre est qu’il faut distinguer le terrain syndical du terrain politique : « (…) avec M. Péladeau. Nous passons du terrain syndical au terrain politique. Notre lutte est une lutte de libération nationale et (…) cette lutte implique, par sa nature même, différentes classes sociales et groupes sociaux dans un front uni »[i]. De l’autre côté, à QS et aussi à la CSN, malgré le soutien que porte PKP à la souveraineté, aucune collaboration de classes de ce type n’est envisageable. En ce sens, Dominique Daigneault (CSN) nous rappela les paroles de Michel Chartrand, qui disait : « J'ai toujours été contre ces nationaleux qui voulaient sauver la langue et laisser crever ceux qui la parlent »[ii]. Donc, inutile de chercher une issue évidente à ce problème et les éléments purement tactiques sont en ces circonstances trop trompeurs pour peser à ce point dans la balance.

Au PQ, on ne se lassera jamais d’user de l’argument sur la possibilité effective que le « bateau amiral » du mouvement souverainiste puisse prendre le pouvoir, avec tous les sous-entendus que cela évoque. Évidemment, cet argument est loin d’être faux et les derniers sondages le démontrent bien. Là où le bât blesse, c’est que le PQ agit moins en coalition qu’en parti de gouvernement cherchant le pouvoir à tout prix. Car, sans même critiquer leur court bilan politique, l’avantage qu’un PKP apporte au PQ c’est d’abord d’aller chercher le vote nationaliste[iii] de la CAQ quand le bon sens voudrait qu'on propose plutôt une ligne consensuelle autour de la cause de la libération nationale. Par contre, comme l’expérience nous l’a appris, gains pour le PQ ne signifie pas gain pour la cause indépendantiste, loin de là, puisqu’un virage à droite, en plus d’encore maltraiter davantage son aile gauche, impliquera nécessairement des prises de position relevant de l’univers du statu quo. Ne l’oublions pas, la création d’un pays comme le nôtre est un processus fondamentalement révolutionnaire, qui malgré un nationalisme honnête, n’est pas du tout naturel chez l’électorat de droite. Mais enfin, il est tout de même vrai que de présenter un bonhomme d’argent comme PKP risque de donner des difficultés rhétoriques au parti des « vraies affaires ».

De l’autre côté, il y a la coalition de gauche qu’est QS, même si l’argument tactique de la prise du pouvoir à court terme fait évidemment défaut. Il reste qu’ils possèdent tout de même un bon jeu du point de vue éthique. Car bien des désistements au PQ, sans même être totalement à « gauche », touchent tout simplement la souveraineté du peuple et bien sûr un parti se présentant comme une coalition souverainiste se doit de ne pas abandonner certaines positions élémentairement souverainistes. Pensons simplement à la libéralisation de nos ressources naturelles ouvertes à outrance par le Canada, mais aussi par les gouvernements du Québec. Pensons aussi à tous ces symboles (statuts, croix, nom de rues, etc.) à la gloire de meurtriers notoires de notre peuple et qui demanderaient encore moins de consensus parlementaire pour être éliminés que l’adoption de leur Charte. Sans oublier les gestes de rupture avec l’ingérence canadienne et l’investissement public dans les secteurs stratégiques, chose qui ne semble pas plus que ça intéresser le gouvernement actuel. Mais, d’abord et avant tout, QS reste le seul parti à mettre de l’avant l’idéal républicain, avec toutes les réformes démocratiques qu’il implique, qui sans être fondamentalement de droite ou de gauche est sans conteste la base radicale sur laquelle tous les indépendantistes devraient minimalement être en mesure de converger.

Ne l’oublions pas, pour qu’il y ait convergence, il faut qu’il y ait un élément sur lequel converger et l’idée de séparation seule et sans substance libératrice n’est pas un projet porteur d’espoir et ne peut donc que dégénérer en un projet aux apparences factices. Et comme la nature a horreur du vide, ne soyez pas étonnés de voir émerger des partis de droites et de gauches parasiter le combat indépendantiste en ses marges!           

Évidemment, je sais bien que plusieurs me rétorqueront que QS est d’abord et avant tout un parti de gauche et qu’il n’est qu’accessoirement souverainiste. Et ce fait je le déplore comme vous, car sachant que même les intérêts de la classe ouvrière pancanadienne ne sont que difficilement conciliables, il n’est dès lors pas possible d’envisager le projet socialiste que j’appelle de mes vœux sans au préalable proclamer l’indépendance politique de notre Nation. Et de là, nous revenons à la tactique du front uni… Mais pour que ce front uni soit suivi, encore faut-il que le parti qui se présente comme le « bateau amiral » de la souveraineté agisse comme une coalition. Et non pas comme un vieux parti de placement de carrière utilisant le thème de la souveraineté de la même manière que le Parti libéral utilise celui de l’économie, soit comme un slogan publicitaire servant à garder son segment de marcher électoral.  

Mais enfin, outre le paradoxe de la gauche souverainiste, où est le problème avec PKP? Bien, en principe, si le combat indépendantiste dans un pays comme le Québec nécessite inévitablement une collaboration de classes, il n’en demeure pas moins qu’il doit y avoir minimalement un intérêt de classes mutuel à l’aboutissement du projet. Et s’il me semble évident qu’un Québec indépendant provoquera pour l’empire de Péladeau une situation de monopole médiatique des plus profitables pour lui et ses amis actionnaires, la construction d’un Québec « inc. » basé sur la même confiscation démocratique que nous propose le Canada n’est rien d’autre qu’un projet bourgeois sans intérêts pour la classe ouvrière. Mais ne vous méprenez pas sur mes intentions! Je suis et je resterai un indépendantiste quoiqu’il arrive, ne serait-ce que pour régler la question culturelle et le paradoxe entre le socialisme et le souverainisme. Le jour venu, je voterai pour l’indépendance, peu importe le parti qui nous le proposera, mais sachez qu’à ce prix la classe ouvrière, contrairement à ma personne, ne risque plus d’être à l’avant-garde du projet et une coalition qui ne s’ouvre qu’à droite n’est pas appelée à se maintenir.  

Il y a des temps où l’espoir fait défaut et il est plutôt triste de voir se diviser de manière aussi artificielle les forces progressistes (car oui la souveraineté est en soi progressiste) quand il ne tiendrait pas à grand-chose de changer la donne. Malheureusement, le PQ est clairement responsable de l’émergence des forces concurrentes qui émergent autour de lui, par le vide que génèrent ses stratégies. Il est donc le seul à blâmer pour cette fameuse « division du vote ». D’ailleurs, outre les problèmes reliés à la coalition, ce n’est pas comme si le PQ n’avait pas enlevé de son programme la réforme vers le scrutin proportionnel, ce qui aurait réglé une fois pour toutes la question du « vote utile » (et accessoirement affaibli leur chance de gérer la « province »). Mais bon, les péquistes devront un jour comprendre que les indépendantistes n’appartiennent pas au PQ et que s’ils veulent former une coalition nationaliste[iv] à droite aux dépens de leur frange gauche, bien qu’il l’assume et les choses n’en seront que moins confuses. Alors, d’ici à ce que des gestes concrets vers le retour à la coalition soient réalisés, ne me parlez plus de division d’un vote soi-disant stratégique, car il serait plus que douteux que 46 ans après sa formation, un nouveau chèque en blanc donné PQ soit la solution à tous nos problèmes.    

Benedikt Arden



[iii] Il est important de préciser qu’il existe au Québec une fraction significative de l’électorat que l’on peut appeler « nationaliste » et que l’on peut distinguer des « indépendantistes », au sens où, quoique favorables à une politique identitaire et pro-française, ceux-ci ne sont pas toujours acquis à la souveraineté complète du Québec. Cet électorat pourrait fort bien se contenter de réformes constitutionnelles autonomistes au sein du Canada ainsi que de quelques mesures renforçant l’autonomie culturelle du Québec.

[iv] Se référer à ma définition au point [iii].