mercredi 1 décembre 2010

Se faire plaisir… peut-être, mais à quel prix?


Depuis un temps, Mathieu Bock-Côté nous offre une très fréquente série d’éditoriaux dans le journal 24h. Ses articles sont en général de courts textes polémiques se spécialisent au niveau de la critique politique sous-jacente au politiquement correct, au multiculturalisme ainsi qu’à l’abstraction identitaire. Le tout mélangé avec une rhétorique de droite classique, plus ou moins empruntée au Gaullisme français, ce qui est plutôt harmonieux avec sa revendiquée étiquette de souverainiste conservateur. Ce langage « droitard », ne doit pas être pris au pied de la lettre, surtout dans le contexte nord-américain (et même français) actuel, car ceux qui connaissent ses positions savent que le fond de sa critique effleure bien souvent ce que nous appelons ici (par facilité) la droite. Constat logique, sachant que cette droite aime à se cacher derrière les positions de la gauche sur les questions de politiquement correcte et de multiculturalisme.  Cela dit, le 9 novembre dernier (1), nous avons eu droit à un papier particulièrement douteux et faisant une nette rupture d’avec le fond idéologique que nous avions appris à aimer. Malgré qu’il soit compréhensible que l’espace, particulièrement favorable du moment, à la droite lui ait donné envie de surenchérir dans un quotidien ne visant pas particulièrement un marché d’intellectuels. Ce texte a malheureusement eu comme fâcheusement conséquence d’emmener notre libre penseur dans le sombre territoire du conformisme de droite, monopolisé habituellement par les ennemies du camp souverainiste. Cela est plutôt navrant, sachant bien, que ce grand critique du politiquement correcte de gauche doit inévitablement connaître l’existence de celui de droite? Loin de moi l’idée de lui tenir rigueur par principe à sa position pro Israélienne, mais par contre je me dois de lui faire grief sur l’incohérence et l’inconséquence de ce choix en parallèle de celles normalement défendues, autrement dit, ses idées souverainistes. De plus, ce petit édito possède, en plus des casseroles sionistes habituelles, une théorie des plus farfelue qui mérite d’être regardée de plus près.

Mais d’abord, quelle est l’argumentation générale de l’édito?

1.       Il y a un consensus (sous-entendus à gauche) contre Israël, un consensus de complotiste qui encouragerait et/ou créé des calomnies non fondées contre Israël.

2.       L’explication de ce consensus n’est pas que l’antisémitisme (car il y en aurait aussi), mais serait une offensive antinationiste de mondialistes (cette fois clairement de gauche) qui manipuleraient la cause palestinienne pour attaquer la souveraineté de la nouvelle nation juive qui se défend. Ces attaques seraient symboliques et ayant pour but de discréditer le fait national dans son ensemble.

3.       Il y a (pour prouver ce consensus) une asymétrie de l’indignation quand l’un se fait attaquer par l’autre (sous-entendant qu’il y a symétrie entre les attaques).  

4.       On a le droit de critiquer Israël, mais ceux-ci ont aussi le droit de se défendre.   

Pour commencer ma critique, je me dois de souligner un détaille préalable très important et faisant office de toile de fond à la critique du sionisme et d’Israël, qui est la problématique de l’antisémitisme à la sauce hitlérienne. Cette accusation pavlovienne ne peut en aucuns cas être reprise dans la situation actuelle pour critiquer ce que par convention l’on appelle la gauche anticoloniale (ou moi étant donné que je m’apprête à la défendre sur certains principes), pour la raison simple qu’Israël n’est pas un complot, mais une réalité constatée et vérifiable. Autrement dit, les raisons pour lesquelles certains juifs sont pointés du doigt aujourd’hui sont les mêmes que celle attribuée à tout État, ce qui inclut leur ancien bourreau. Pour donner des exemples caricaturaux, mais explicites : auriez-vous accusé de racisme anti-allemand, ceux qui ont condamné hargneusement l’annexion militaire de la Pologne au 3e Reich en 1939 ? Est-ce que Mandela était un raciste anti-afrikaner lors dès sa mobilisation contre l’apartheid ? Qui oserait dire cela sans faire rire de lui ?

De plus, n’ignorons pas le réflexe polémique qu’apporte la diabolisation (car il s’agit pratiquement toujours de diabolisation). Si l’accusation d’antisémitisme est si vite attribuée, c’est surtout parce que l’environnement idéologique d’aujourd’hui est hostile à ce même antisémitisme, ce qui a pour cause de brimer la crédibilité du sujet et, du coup, occulte le fond même du débat. Ce procédé est bien connu et est le même que combat Mathieu Bock-Côté quand il dénonce la rectitude politique autour des débats sur le multiculturalisme et l’immigration, mais comme celui-ci nous le rappelle si bien : « Antisémitisme ? L’explication est trop simple. » 

Effectivement, comme je viens de le démontrer l’explication manque de substance. Malgré tout, sa propre explication n’est pas moins tordue, et cela, pour plusieurs raisons. D’abord, parce que faire de l’État sioniste un exemple de souverainisme face aux hordes de cosmopolites « intoxiqués au pacifisme intégral » est soit naïf soit débordant de mauvaise foi. La première chose à souligner si l’on veut réfléchir sur la véracité de cette affirmation, serait de savoir si les partisans inconditionnels d’Israël, dans la diaspora, sont d’abord porteurs de quelconques valeurs souverainistes du pays qu’ils habitent. Rien que pour la France, citer les B.H.L., Kouchner, Attali ou Klarsfeld suffi à transformer n’import quel souverainiste (même à l’extrême gauche) en horrible antisémite nazi avant même toutes considérations. Au Canada, ce n’est pas tellement mieux avec les membres du B’nai B’rith et du C.J.C. (congrès juif canadien) qui ne sont pas reconnus pour sympathies souverainistes. Disons même que le facteur commun de tout ce beau monde, est plutôt un mondialisme des plus radical, qui s’agrémente souvent d’un double langage quand il s’agit d’Israël. Un double langage franchement insupportable qui ne peut en aucuns cas converger avec le souverainisme, même le plus basique. Il existe bien des souverainistes juifs (2) (notamment Éric Zemmour), mais ceux-ci, quand bien même seraient-ils sionistes, doivent rester silencieux à ce sujet, dans le but d’être un minimum conséquent d’avec les idées qu’ils défendent. Le deuxième point à prendre en compte pour valider l’idée d’un Israël souverainiste et conséquent, serait ses relations avec les autres pays. Tous ceux qui connaissent un minimum le Mossad et les Sayanim vous affirmeront qu’un pays qui aurait comme prétention d’être un exemple de souverainisme, n’utiliserait pas à outrance le lobbying, l’espionnage et la manipulation politique extérieure (3) comme le fait ouvertement Israël, mais aurait à cœur de ne pas nuire à ce point à leurs Alliés. Le troisième point est bien évidemment son peuple et ses dirigeants, qui ne sont pas reconnus pour être très justes et honnêtes envers leurs voisins (4). En fait, le gouvernement israélien se fait une carrière de se moquer des règlements de l’ONU, qui (rappelons-le) est ce « détestable machin bureaucratique » qui a donné aux sionistes leur pays. Comme quoi la reconnaissance n’est pas un acquis universel.

Non vraiment ! L’argumentation boiteuse de Mathieu Bock-Côté n’est pas à la hauteur de ses habitudes et se laisse même tenter par quels stéréotypes comme le fameux « complotisme » des détracteurs d’Israël et le tout aussi fameux « droit à la critique d’Israël », mais comme toujours, sans exemples de ce que serait une critique légitime. L’aberration que je crois la pire du texte, ce trouve dans sa théorie du front commun cosmopolite et pacifisme des gauchistes antisionistes (et parfois secrètement antisémite). Sans entrer dans les détails, il est important de noter que l’une des causes principales de l’antisémitisme dans le passé était justement le cosmopolitisme et l’antinationisme dont le judaïsme est historiquement le plus porteur. Je dois préciser que d’évoquer cette évidence historique n’est pas un acte de vilain antisémite, mais bien un fait très banalement logique de la part d’un peuple dont la culture s’est constituée hors de toutes terres d’appartenances (5). Néanmoins, il s’agit moins d’un peuple au sens ethnique du terme que d’un imaginaire culturel, car il est aussi assez bien reconnu que les descendants du peuple de la Torah sont en grande majorité les palestiniens d’aujourd’hui (6) et non les ashkénazes d’Europe de l’Est illuminés et racistes que semble soutenir notre ami Mathieu Bock-Côté. J’irais même plus loin en prétendant que ceux qui seraient les mieux à même de refléter ses antipathies seraient beaucoup plus des sionistes que des antisionistes.

Mon dernier point de critique est le classique : « Israël a le droit de se défendre » déjà évoqué. Ce point serait fort acceptable dans une situation normale, mais Israël n’est pas un pays comme les autres et a une légitimité particulièrement contestable. Je m’explique. Ce projet de pays, quoiqu’imaginé bien avant 1948, n’a pu être réalisé que par trois conditions ; d’abord la Deuxième Guerre mondiale et ses conséquences sur les juifs (7). Ensuite, l’Angleterre (grand colonisateur) ayant justement un terrain les intéressait : la Palestine. Pour finir, un mépris non négligeable pour les autochtones sur place (ce qui est un classique britannique assez reconnu ici par ailleurs). C’est trois conditions réglées, une belle grosse colonie d’européens se disant maintenant propriétaire des lieux, par leur titre de propriété que sont leurs textes sacrés, ont pu faire le ménage et écarter les envahisseurs impurs sur place. J’exagère, je sais ! C’est vrai qu’il y a eu des ententes et des partitions non respectées, mais au final cela revient à un Israël au centre de deux petites parcelles de terre coupées du monde et sans possibilités de vies étatiques saines. En fait, tout a été fait pour que la Palestine ne puisse pas exister comme état normal, ce qui explique assez aisément les sursauts de radicalisme islamique (8) que nous constatons aujourd’hui. Ce radicalisme est, nous le savons tous, la situation idéale pour être moralement en mesure de continuer à coloniser illégalement le reste du territoire, de bombarder les populations (9) quand ils s’énervent trop et de jouer au gendarme chez leurs voisins quand le moment s’y prête ! (10) Grosso modo, plus leurs ennemis deviennent radicaux, plus l’armée israélienne peut s’en permettre (vous savez, un terroriste n’a aucuns droits !) et du coup nous donner l’illusion d’un Israël, « seul vrai pays démocratique de la région », qui se défend contre les fanatiques tout autour de lui. Voilà quelques remarques qui, je le crois, laissent percevoir une asymétrie bien plus condamnable que celle que pourraient avoir les opinions d’une gauche obstinée à toujours prendre parti pour les faibles plutôt que les forts.

Avant de finir, il me faut m’exprimer sur le concept d’inconséquence entre l’idéologie souverainiste normalement défendue par Mathieu Bock-Côté et sa position sioniste nouvellement déclarée, car c’est sur ce point que culmine mon malaise quand je lis ce genre de textes. Ce que je veux dire c’est que le nationalisme se justifie normalement par l’addition d’un peuple et d’une terre. Les deux seules raisons qui font qu’un peuple peut se réclamer moralement d’une terre sont soit : « la loi du plus fort » ou bien « la loi du respect de celui qui est tout simplement là ! » La première loi a été un peu le résumé de l’Histoire de l’humanité (la colonisation) et qui peut encore se justifier aujourd’hui par des alibis universalistes, mais difficilement par le vol pur et simple d’un territoire (11). La seconde est celle qui est avancée surtout par ceux qui essaient de se libérer ou bien seulement de survivre. Quand on est de la seconde option, on se fait généralement le porteur d’un juste partage du monde et on se doit de rester cohérent si l’on veut éviter les tracas qu’impose l’anéantissement. L’exemple du Québec en est une incarnation des plus évidente, car quelle légitimité morale peut-on avoir auprès du Canada, dans notre affirmation identitaire, si nous la refusons aux autochtones du Québec ? Évidemment, on peut bien se dire « ils sont des vaincus », mais alors que pouvons-nous dire de nous ? Ne sommes-nous pas aussi des perdants dans l’Histoire ? Donc pas de droits moraux en tant que peuple, mais seulement l’acceptation tranquille de l’assimilation anglo-canadienne et mondiale au nom de la force brute et culturelle (ou pour se conformer à l’époque, disons multiculturelle) que porte la loi du plus fort (12). Thèse dure à soutenir pour un défenseur de la cause du Québec ! À moins d’être adepte de la double pensé ? Pour les relations Israélo-palestinienne, disons que c’est la même chose en pire, car ils n’ont même pas la chance de se faire offrir l’assimilation étant donné qu’il y a partition. Partition évidemment asymétrique puisque séparée en deux et ghettoïsée. Un peu comme si nous avions déporté les autochtones dans des réserves sur l’île de Baffin, où ils ne pourraient ni sortir ni faire de commerce (13). Dans un cas équivalent, nous n’aurions évidemment pas à nous surprendre de voir les Amérindiens poser des bombes (la crise d’oka devrait lever tous doutes à cette théorie). En résumer, qu’un partisan du fédéralisme canadien (ou plus généralement du nouvel ordre mondial) se port défenseur d’Israël est une chose tout à fait cohérente avec la pensé de la loi du plus fort, mais pour un souverainiste… il y a évidemment double langage qui ne s’explique absolument pas par des raisons philosophiques. En fait, mon analyse sur ce papier serait plutôt que Mathieu Bock-Côté, en bon homme de droite, veut se faire le plaisir de défendre la loi du plus fort, mais étant donné qu’il est aussi un souverainiste, il force la chose en faisant passer les bourreaux pour les victimes. Le tout en attaquant le consensus de ceux qui jouent constamment le monopole de la vertu, soit les mondialistes adepte du multiculturalisme. C’est tordu, mais ça me semble cohérent.       

Pour conclure, si Mathieu Bock-Côté est un intellectuel brillant, il n’en demeure pas moins que l’influence du mouvement dit conservateur est suivie avec un peu trop de zèle. Le sionisme occidental de type « conflit de civilisation », n’a rien de bon à proposer aux souverainistes quoi qu’on en dise et serait plutôt à ranger parmi les ennemis, même si parfois conservateur et antigauchiste. Quoiqu’il soit très vrai qu’il y a des conservateurs qui sont souverainistes, ceux-ci ne doivent pas oublier que ce qu’un conservateur cherche à conserver n’est pas toujours la même chose, tout dépendant d’où il vient.

Benedikt Arden (décembre 2010)

(1) http://bock-cote.net/La-faute-a-Israel         

(2) Je ne parle évidemment pas de souverainisme israélien, mais de souverainisme français. 

(3) La guerre de 4e génération à l’Américaine notamment.  

(4) Je sous-entend par-là les colons, qui ont entrepris de conquérir parcelle par parcelle les territoires Palestiniens jusqu’à l’obtention du grand Israël, et du gouvernement qui est un grand partisan de la guerre préventive, de la démesure dans ses contre-attaques (voir l’histoire de la flottille), sans oublier son constant non respect du droit international.

(5) À ceux qui ont l’antisémitisme facile, je ne vois pas en quoi l’idée que la religion juive serait à l’origine d’une idéologie tout à fait en vogue dans les milieux d'élite serait une quelconque insulte.

(6) Voir la thèse de l’historien Israélien Shlomo Sand :

http://www.dailymotion.com/video/xdbkah_shlomo-sand-sur-les-vrais-descendan_webcam

(7) Ce qui a donné aux juifs un bien plus grand poids moral pour réclamer un terrain que par le passé.

(8) Cette souffrance extrême qui fit naître le radicalisme à base religieuse du Hamas et qui eut comme fâcheuse conséquence de remplacer le nationalisme laïc du Fatah, ce qui est parfait dans un cadre de diabolisation. 

(9) Sous prétexte qu’ils cacheraient des terroristes

(10) voir la guerre du Liban ou l’attaque de la flottille de Gaza pour s’en convaincre.

(11) Certains diront qu’il y a la justification de celui qui était là le premier (c’est ce que revendiquent les Israéliens), mais que cette affirmation soit vraie ou fausse, elle résultera nécessairement une purge de population par la force qui revient à la première option (loi du plus fort). Cette situation est une quasi constante dans les périodes de décolonisations.    

(12) Effectivement, il y a toujours l’option du radicalisme armé, mais n’oubliez pas qu’un terroriste n’a aucuns droits !  

(13) Quoique certains prétendent le contraire, il n’y a pas d’autres obstacles à la sortie de leur réserve autres que celle que leur impose leur propre volonté.