vendredi 22 janvier 2010

Pourquoi est-ce impossible de dépasser le capitalisme par la gauche?


La Gauche est le fruit d'un "compromis historique particulièrement instable entre le socialisme ouvrier et le camp républicain, c'est-à-dire les héritiers de la philosophie des Lumières", négocié au moment de l'affaire Dreyfus. L'idéologie du camp républicain est le progressisme : son unique ennemi est "l'Ancien régime", c'est-à-dire tout ce qui, selon les républicains, s'oppose "aux effets nécessairement émancipateurs du Progrès scientifique, industriel et moral" (la monarchie, l'Eglise, la propriété foncière). C'est le "Parti du Progrès, du Savoir et de la Raison" (Jean Glavany, ministre de l'Agriculture sous Jospin). Le socialisme quant à lui, est une"création populaire", né en réaction aux "modes d'existence dégradée imposés par la modernisation industrielle". Partisan de l'idée moderne "d'égalité universelle", le socialisme ouvrier s'oppose aussi aux "hiérarchies sociales d'Ancien régime" mais il s'est surtout construit dans le rejet radical de la modernité capitaliste naissante au 19ème siècle. La gauche, c'est l'alliance dans la vie politique de deux mouvements intellectuels encore bien séparés l'un de l'autre jusqu'au 20ème siècle, le progressisme et le socialisme.
On comprend pourquoi cette alliance pratique est un compromis si instable : alors que le républicanisme est une création idéologique, abstraite, créée ex nihilo par des philosophes et des penseurs politiques, le socialisme est d'abord une réaction populaire, ouvrière aux "effets déshumanisants du libéralisme industriel" dont le pire est sans doute la disparition des "formes d'existence communautaire qui constituaient l'horizon indépassable de toute vie humaine digne de ce nom". Ce compromis historique a explosé quand les derniers vestiges de la hiérarchie sociale d'Ancien régime ont disparu à la Libération (poussée de la bourgeoisie libérale, noblesse morte dans les tranchées, perte d’influence de l’Eglise, etc.) et quand la critique radicale du capitalisme a été abandonnée (au profit d’une critique gentiment réformatrice mais plus du tout révolutionnaire). Alors, tout ce qui resta de la gauche, c'est sa philosophie progressiste : débarrassée de l'obligation morale de défendre les travailleurs (imposée par le socialisme ouvrier) et orpheline de son ennemi historique (l'Ancien régime), la gauche est devenue "une simple machine politique destinée à justifier, au nom du Progrès et de la modernisation, toutes les fuites en avant" du capitalisme. Par conséquent, la gauche, alliée du capitalisme libéral, est non seulement incapable de s'opposer efficacement à ce dernier mais elle est devenue sa caution morale. Pour donner une définition rapide et commode de cette alliance, Serge July, rédacteur en chef de Libération, a inventé en 1973 le terme "libéralisme-libertaire".
Cela explique l'incohérence de la gauche et de l'extrême-gauche à se dire anti-libérales. Car elles ne le sont que sur un plan économique (et encore, avec beaucoup de timidité puisqu’elles applaudissent la mondialisation quand celle-ci casse les frontières). Et elles sont "ultra-libérales" sur le plan culturel et sociétal, c'est-à-dire partisanes d'une libéralisation totale des mœurs et des comportements autrefois considérés comme déviants (le libertinage sexuel, la drogue, etc.). Pour résoudre cette contradiction, la gauche a donc développé la légende selon laquelle le "système capitaliste constituerait dans son essence même un ordre autoritaire, conservateur et patriarcal dont l'Eglise, l'Armée et la famille sont les piliers fondamentaux". Alors, il devient cohérent d'être à la fois anti-libéral sur le plan économique et libéral sur le plan culturel puisque le capitalisme, selon la légende, est économiquement libéral et moralement conservateur. Par conséquent, la gauche se ment à elle-même et devient l'idiote utile du capitalisme.
Et la droite dans tout ça ? "L'homme moderne dit de droite a tendance à défendre la cause (l'économie de concurrence absolue) mais a encore beaucoup de mal à admettre la conséquence (le Pacs, la délinquance, la Fête de la Musique et Paris-Plage) tandis que l'homme moderne de gauche a tendance à opérer les choix contraires". Tout est dit !